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On a dit adieu à Javier Zanetti

Par Markus Kaufmann, à Milan
7 minutes
On a dit adieu à Javier Zanetti

Samedi soir, Milan disait « Grazie » à trois de ses héros : Javier Zanetti, Diego Milito et Walter Samuel. Trente-quatre années d'Inter à eux trois. Dix-neuf saisons pour le seul Javier. Les supporters, les ultras interdits de stade, les vieux messieurs qui ont longtemps cru ne plus jamais voir le sommet, les petits garçons qui n'ont pas connu les années difficiles, et les Milanistes respectueux et même admiratifs devant un tel monstre sacré du football. Tout Milan, donc. Une journée, un match, une fête, une victoire, une cérémonie officielle et une autre cérémonie, minuit passé, avec les ultras. Samedi, c'était soirée Zanetti.

À la gare centrale, les maillots de l’Inter affluent de telle sorte que le centre de Milan se retrouve vite rempli de Zanetti dans l’après-midi. Partout, ce flocage mythique : « J. ZANETTI 4 » . Il y en a de tous les âges. Même les plus petits garçons, âgés environ d’un tiers de la carrière de l’Argentin, se sont fait offrir une réplique de la tunique du capitano. Dans les journaux et les cafés, Zanetti est au centre de l’attention. Forcément, après vingt ans d’histoire, un millier de matchs, une quinzaine de trophées, une vingtaine de buts et une infinité d’histoires, de dribbles et de souvenirs… Dans tout Milan, on est heureux pour Javier. On est heureux parce que l’on se souvient de l’arrivée de Zanetti en Europe, tel un inconnu, on se rappelle du 26 avril 1998 et la faute de Iuliano sur Ronaldo, ou encore du 12 avril 2000 et la blessure tragique de ce même Ronaldo à l’Olimpico, des années de douleur jusqu’en 2005, et puis des années de gloire jusqu’en 2011.

Enfin, on ne peut comprendre ce moment si l’on oublie la rupture du tendon d’Achille du 28 avril 2013 à Palerme, il y a à peine plus d’un an. À presque 40 ans, l’homme du quartier de l’Avellaneda avait décidé de « changer de pneus » pour « finir sur le terrain » . Voilà en quoi consistait cette soirée : donner au joueur Javier Zanetti un hommage là où il s’est construit, sur le terrain. Ainsi, difficile de raconter cette soirée sans employer d’inévitables adjectifs pompeux : « magique » , « merveilleux » ou encore « fantastique » , choisis pour la Une de la Gazzetta dello Sport. Et pourtant, la fête avait été gâchée avant de commencer. La faute à la suspension de la Curva Nord pour l’occasion, pour cause de « chants à discrimination territoriale » lors d’Inter-Napoli. Ceux qui l’ont suivi partout ne pourront lui dire au revoir chez eux, à San Siro. Ni à lui, ni à Diego Milito, ni à Walter Samuel.

Mazzarri est sifflé, Kovačić joue dans le futur

Esteban Cambiasso suspendu, c’est Walter Samuel qui porte le brassard. Ce brassard de l’ArgentInter, celle de cette génération d’Argentins aux noms italiens, Zanetti, Cambiasso, Milito… Dans le rond central, un maillot géant : GRAZIE. Les Intéristes s’échauffent tous avec le numéro 4. C’est la soirée de Zanetti. Dans le stade, les drapeaux argentins et les banderoles nagent au-dessus de la masse. Lorsque le speaker annonce les compositions, Mazzarri en prend pour son grade, lui qui n’avait pas offert à Zanetti quelques minutes d’un ultime derby dimanche dernier. Dommage, le geste aurait effacé la défaite. Quand le speaker arrive au bout de la liste des remplaçants, le patronyme Zanetti est répété cinq fois. Et encore, le stade en redemande. Vient alors une vidéo des meilleurs moments de l’Argentin. Des slaloms et des buts. Beaucoup de slaloms, et ce chant mythique : « Tra i nerazzurri c’è… un giocatore che… dribbla come Pelé… » (Chez les Noir et Bleu, il y a un joueur qui dribble comme Pelé). Côté Lazio, Lorik Cana joue libéro, Candreva est sur le banc, Klose est en pointe.

À peine une minute et demie de jeu, et sur un corner « d’échauffement » , la Lazio arrête la fête. Évidemment, personne n’a rien compris. « Ce match devait être une fête, non ? » La surprise a le mérite de rappeler à tous que la course à l’Europe n’est pas terminée. Il y a Kuzmanović, qui peine à manœuvrer autrement qu’en passes en retrait, et il y a Kovačić. Le Croate prend alors les choses en main. S’il lui fallait un match référence pour faire comprendre à tous – et surtout à Mazzarri – la grandeur de son talent, alors, c’est celui-là. Deux passes décisives dignes du meilleur Xavi, de la verticalité, des dribbles, des coups de génie. Une fois Palacio, puis Icardi, qui fait plaisir à tout le monde en allant dédier son but à son capitaine. Le match devient fête. Trois minutes plus tard, une ouverture lumineuse de Kovačić met Nagatomo sur orbite. Centre au ras du sol, Palacio surgit. 3-1 et nouvelle occasion d’aller célébrer Zanetti sur le banc. Dans l’euphorie générale, Mazzarri demande enfin au capitaine d’aller s’échauffer. La folie. Le secteur sud se rue vers les barrières pour voir de plus près celui qu’ils ne verront plus jamais en crampons.

« Le ballon comme un aimant »

Au début de la deuxième mi-temps, le public attend encore. Pas de Zanetti. Pas tout de suite. Puis, à la 50e, Javier se lève. Applaudissements, cris, larmes, chants et flashs. Ça y est, enfin. À chaque ballon touché, une standing ovation. Pour lui, il aurait suffi de mettre un pied sur le terrain pour gagner cette foule : cela fait une quinzaine d’années que Zanetti n’a plus à convaincre les Milanais. Il aurait même pu être gagné par l’émotion. Mais Zanetti en a vu d’autres. Ses quarante minutes sont trépidantes : des slaloms, des doubles contacts, un grand pont et ces raids dont il a le secret. Comme disait Mourinho : « Quand Zanetti prend la balle, personne ne peut la lui prendre. » Avec lui, le ballon est « comme un aimant » , écrivait Paolo Rossi, acteur et célèbre intériste, dans un édito de la Gazzetta dello Sport le matin-même.

À l’heure de jeu, c’est au tour de Diego Milito de faire vibrer le secteur sud. La Curva Nord a beau être la grande absente de la soirée, ses chants pour son chouchou sont repris par tout le stade : « Ed è la Nord che te lo chiede, Diego Milito facci un gol » (c’est la Nord qui te le demande… Diego Milito, mets-nous un but). Un échauffement plein d’émotions, pour une entrée en jeu tardive. Sans ballon, El Principe rappellera une dernière fois à San Siro que c’était bien son intelligence de jeu qui avait porté l’Inter aux sommets en 2010. Une dernière faute tactique comme seul fait de jeu. Un symbole. Autre symbole, en écho à l’immortalité de Zanetti : le fameux Joseph Marie Minala fait son entrée en jeu, et provoque les sourires : « Ah oui, le type de 100 ans » , « Il court bien, pour son âge. » Un fan parviendra à entrer sur la pelouse et à se faire escorter par Zanetti en personne, décidé à ne rien gâcher. À dix minutes du terme, après un show Handanović – auteur de huit arrêts – Hernanes enterre les espoirs européens de son ex d’un enroulé du gauche dans le petit filet. Quand le quatrième arbitre annonce trois minutes d’arrêts de jeu, San Siro se rend compte du moment qu’il est en train de vivre. Trois minutes de Zanetti, et c’est fini.

« L’Inter, c’est vous »

Ou pas. Pour remercier son champion, l’Inter avait préparé une cérémonie qui aura fini une heure après le coup de sifflet final. Une haie d’honneur formée par ses coéquipiers, les dirigeants du club, d’anciens joueurs, les familles et les amis. Une soirée parfaite. Puisque c’est l’Inter, il fallait qu’il y ait ce but encaissé à la 2e minute. Pour qu’il y ait de la folie. Et puis, quatre buts pour le plus grand des numéros quatre… Une fois que le public accepte enfin de le laisser parler – et pleurer – Zanetti entame un beau discours : « Maintenant, je vais faire autre chose. Je ne sais pas si je le ferai bien ou mal, mais je suis sûr d’une chose : je défendrai l’Inter comme je l’ai fait sur le terrain. (…) Merci pour avoir poussé un petit vieux de 40 ans à continuer à courir sur un terrain de foot. » Émotions. San Siro se vide, et l’histoire est loin d’être finie, pour celui qui devrait occuper le poste de vice-président du club. La cérémonie officielle terminée, il est temps pour Zanetti de rendre aux ultras de la Nord ce qu’ils lui ont donné durant ces dix-neuf saisons.

Zanetti, Milito, Samuel et Cambiasso descendent vers minuit au pied de San Siro, là où les ultras leur avaient donné rendez-vous : au Barretto. Les banderoles les accueillent : « Exemple d’un football qui n’existe plus, Walter Samuel honneur des couleurs neroblu » , « Nous resterons toujours ivres de tes buts, Diego Milito tu resteras toujours dans le cœur de la Nord. » Devant les fumigènes et les drapeaux, sur une scène irréelle, un Zanetti en costume et écharpe autour du cou (le même style que lors de son arrivée) se lève et parle à la foule : « Nous avons traversé tant d’années ensemble, je n’oublierai jamais votre amour parce que vous m’avez adopté. Je suis l’un des vôtres, j’ai défendu le maillot de l’Inter partout. Je porterai toujours avec moi votre amour. Vous êtes l’Inter. Vous êtes la chose la plus importante. Je referai un match d’adieu pour vous avoir à mes côtés. » Les ultras montrent alors qu’ils savent en fait s’adapter aux temps nouveaux, et lancent leur nouveau chant : « Traaaa i nerazzurri c’è… un dirigente che… »

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