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On a discuté avec Sylvano, ultra de Lens et nouvelle voix de Bollaert
S'il a troqué un micro à la place d'un mégaphone, Sylvain Lemoine aura toujours la mission d’animer l’antre du football nordiste. Même si un Bollaert qui sonne creux est une vision qui désole l'ancien capo et nouveau speaker des Sang et Or.
« On me dit que je suis le Franck Haise des speakers », s’amuse Sylvano. Inconnu dans le milieu, sans expérience au poste, nomination surprise… « Et un début de saison réussi », plaisante-t-il. L’ancien capo des Red Tigers 1994, principal groupe ultra de Lens, a pris le micro de Bollaert lors de la réception du PSG, le 10 septembre dernier. Ce n’est pas lui qui a lancé des « Ibiza, Ibiza, Ibiza » pour chambrer les stars du PSG ce soir-là. « Je suis speaker et plus capo », prévient-il. Cyril Jamet, son prédécesseur qui avait fait le buzz en mars dernier en célébrant un but contre Orléans dans un stade vide, est parti. Contre toute attente et « pour raisons personnelles ». Ce dernier a posé sa voix, à la demande de Cyril Hanouna, sur le lancement de la 11e saison de TPMP en août dernier. Place désormais à Sylvano, le premier ultra à se retrouver aux commandes d’un stade de football en France.
Sylvano, à Lens, ta nomination inattendue en septembre a été largement plébiscitée sur les réseaux sociaux. Quelle surprise, quand même… En effet, et pour moi le premier. J’étais en vacances avec ma femme et nos deux filles quand le club m’a contacté. Je devais envoyer une vidéo de présentation sous 48 heures. J’étais au milieu des montagnes, en rando, sans réseau. J’ai dû aller chez un ami qui habitait pas trop loin. On a accroché un étendard du Racing dans son garage et il m’a filmé. À mon retour, j’ai fait un essai grandeur nature au stade, devant un jury de quatre ou cinq personnes. Je crois que je les ai fait rire : j’ai annoncé le prochain match contre l’Atlético de Madrid en Ligue des champions. J’ai vite retrouvé mes sensations au micro. Il y avait d’autres candidats, mais ils m’ont choisi. Je l’ai appris le mardi soir. On jouait le PSG le jeudi soir.
Beaucoup y voient un bon signal envoyé par le club. Il fait confiance à un coach non « bling bling » , il prend un ultra pour animer son stade…Je trouve que ça colle bien avec la politique menée par la nouvelle direction. Il y a ce hashtag « Guidés par notre fierté » sur les réseaux sociaux, ce blason du club devant l’ombre d’une lampe de mineur sur la nouvelle appli. Il y a une volonté de revenir à une identité forte, à une certaine simplicité et authenticité. Là où d’autres clubs font le chemin inverse. Je trouve ça bien. Ils auraient pu prendre un mec de l’événementiel ou un autre animateur radio. Je n’ai pas ce cursus-là. Moi, je suis facteur. (Rires.)
Tu es surtout identifié dans les travées de Bollaert en tant qu’ancien capo…Ouais, je suis un gars du cru. J’habite à côté de Béthune. Je suis le Racing depuis mes 7 ans, en 1986. J’ai toujours été dans la tribune du kop. Je suis devenu capo un soir de novembre 1998. Le nôtre avait pété un câble à la mi-temps d’un match. Il fallait le remplacer. C’était contre Bastia. Je m’en souviens très bien. Debève marque à la dernière minute. On gagne 1-0, comme contre Paris. Je démarre toujours par une victoire. (Rires.) Ce soir-là, quelqu’un devait donc monter sur le perchoir. Avec quelques potes, on avait ce côté « un supporter doit chanter pendant 90 minutes ». On secouait tout le monde en tribune. J’y suis allé. Le mégaphone n’avait plus de piles. La cata. Mais ça s’est bien passé. Et j’y suis resté 15 ans jusqu’à mon dernier match contre Bordeaux en quarts de Coupe de France en 2013.
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— supplensois (@supplensois) September 11, 2020
Tu arrêtes justement sur ce match qui, de l’avis de nombreux supporters lensois, est celui où il y a eu la plus grosse ambiance de la dernière décennie…On dit qu’il faut toujours partir sur une bonne note. Ça faisait déjà quelque temps que je ne montais plus au perchoir à chaque match. J’en avais un peu marre. Ce jour-là, dans l’après-midi, on m’avait envoyé des messages. Il fallait que j’y aille. C’était en semaine, à 19 heures, mais le stade était plein. On était en Ligue 2, c’était Bordeaux, le Lens de Siko (Éric Sikora, N.D.L.R.). On avait plein de titulaires absents. Le coach avait mis des jeunes de la réserve. Tu sentais que tout le monde voulait galvaniser les tiots. Bon, on a perdu, mais quelle ambiance ! Le stade tremblait. Tu sentais une telle électricité. Limite, quand c’est comme ça, t’as pas besoin d’avoir un capo. Ni de speaker. (Rires.)
Comment comptes-tu utiliser cette expérience de capo pour ce rôle de speaker ?L’avantage, c’est que je connais bien le public de Bollaert. C’est un public de supporters, pas de spectateurs. Y a peut-être un ou deux coins de tribunes un peu moins chauds. C’est eux qu’il faudra aller chercher. Disons qu’à Bollaert, il y a une très bonne autonomie d’ambiance. Ça pue le foot. Ce n’est pas un stade qui a besoin d’être guidé, où tout doit être orchestré. Il suffit parfois juste de souffler sur les braises pour que ça reprenne. Mon but sera de trouver l’étincelle, par les mots et les gestes, pour que ça parte au bon moment juste avant l’entrée des joueurs. Mais, attention, je ne suis plus capo. Le speaker doit respecter tout un protocole, strict et minuté, avant les matchs. Le moteur du stade, ça reste le kop de la Marek. À l’issue de la Covid, j’espère pouvoir échanger avec les capos pour savoir comment on peut collaborer. Je sais, par exemple, qu’un speaker peut être précieux pour la réussite d’un tifo. Il peut passer des infos, donner des consignes. Un tifo réussi ou raté, ça se joue en quelques secondes, mais ce sont des heures de travail en amont.
Est-ce frustrant de démarrer en mode Covid avec un stade quasiment vide, ou idéal pour prendre tes marques ?Contre Paris, je me suis dit : « Bon, pour débuter, c’est peut-être mieux. » Mais finalement non. Quelques minutes avant le match, c’était vide. C’était un jeudi soir, avec la Covid et une jauge à 5000 personnes… Avec Karine (Mayeur, salariée du club depuis 1999 et organisatrice des matchs à domicile, N.D.L.R.), on était perplexes. Et puis, les supporters sont tous arrivés d’un coup et ils ont mis une grosse ambiance. C’est l’avantage à Lens, on a gardé notre stade, à l’anglaise, en centre-ville. Tu poses ta pinte au comptoir, et dix minutes après, t’es dans le stade. J’en ai connu des stades à l’extérieur où il y avait moins de bruit qu’avec les 5000 Lensois de ce soir-là. Alors, j’ai vraiment hâte que l’on retrouve un Bollaert au complet avec des parcages visiteurs remplis. C’est ça le football qu’on veut, qu’on aime. Et puis, j’ai mes idées aussi à mettre en place, mais elles ne sont pas vraiment adaptées au mode Covid.
Cette situation risque cependant de durer une bonne partie de la saison…Oui, j’ai l’impression que ça n’est pas près de s’arrêter malheureusement. Et on passe à côté de belles choses. Quand on regarde le calendrier : Paris, Bordeaux, Saint-Étienne, maintenant Nantes. Ce sont des affiches qui auraient fait guichets fermés à Bollaert. Ça faisait dix ans qu’on attendait de revoir des matchs de Ligue 1 à la maison. Il ne faudrait pas que l’enthousiasme incroyable suscité par ce retour s’estompe. Déjà qu’on n’a pas pu fêter la montée. Après, je pense que le jour où on reviendra à un stade plein, ça va créer un super engouement. Mais il ne faut pas que ça dure deux ans. Sinon ça sentira un peu le réchauffé comme un énième épisode de Marvel. J’espère que je serai encore là pour vivre tout ça. Je ne veux pas être transféré, je veux faire toute ma carrière à Lens. (Rires.)
Tu as eu le dos tourné au terrain pendant 15 ans, et te voilà au bord de la touche… Ça change quoi ?Tout. Avant, je suivais le match avec les réactions du public. Désormais, je suis hyper concentré sur le jeu. Je regarde qui est dans la surface, je repère les numéros au cas où il y ait but. On n’a aucun retour sur images, donc il ne faut pas se louper. Avec les cinq changements, t’as intérêt à bien connaître les tronches des mecs parce que ça va vite, t’as pas toujours le temps de voir le panneau de l’arbitre assistant. Pareil pour la VAR, ça complique les choses. Si tu rajoutes les protocoles d’avant-match, c’est vraiment pas de la rigolade. Contre Paris, le match a démarré avec 40 secondes de retard, on a eu une remontrance de la Ligue. C’est fini le temps où Roger (Rudinski, célèbre speaker de Bollaert des années 1990, N.D.L.R.) amusait la galerie. (Rires.) Enfin, ça reste une source d’inspiration. Mes premiers matchs à Bollaert, c’était lui, un phénomène. Un jour, je vais faire mes courses à Cora, Roger Rudinski était là, il faisait une animation pour le club, il y avait la queue pour lui faire signer des autographes.
Ça se passe comment avec les joueurs, les entraîneurs ?Déjà, t’as intérêt de bien connaître leurs noms et surtout les prononciations. Je prépare ça en amont, chez moi, le matin des matchs, en buvant mon café. Sinon, bon, il n’y pas vraiment de contacts. Je n’ai jamais été un fan avec une vision « groupie » . Et puis, j’ai 40 balais quand même. Un gamin trouverait ça magique. Moi, j’aime bien regarder les attitudes, le physique. J’ai été impressionné par Costil par exemple, un beau bébé. Tu vois Tuchel, tu te dis, tiens il est plus grand que je pensais et c’est tout. Ce qui est marrant, ce sont les différences de personnalités. Lens-Bordeaux, t’as d’un côté un Gasset old school, râleur, avec le survêt’ et la casquette, et de l’autre un Franck Haise tout calme, classe avec son polo Fred Perry, super pédagogue, qui replace tranquillement ses joueurs.
En provenant du milieu ultra, appréhendais-tu la réaction des autres fans ?Un peu, ouais. Le truc du genre : « Il s’est vendu au club », alors que les ultras se veulent indépendants. Finalement, non, pas du tout. Les gens sont contents de ce choix, ils m’ont félicité. J’ai toujours été, en tant que capo, quelqu’un qui a cherché l’unité de la tribune, au-delà de la notion de groupes. Ils savent que je peux apporter ma pierre à l’édifice. Ils ont compris que c’est dans l’intérêt du club, de tous les supporters, de l’ambiance à Bollaert. Et puis, bon, je reste à la maison quand même, je ne suis pas parti à Pierre-Mauroy. (Rires.)
Justement, tu as bien verrouillé tes réseaux sociaux pour pas qu’on te retrouve à Pierre-Mauroy ou avec un maillot d’un autre club comme un prédécesseur ?Ça ne risque pas. Avec un maillot des Celtics de Boston ou des Spurs de San Antonio, oui, sans doute, mais ils ne m’en voudront pas. Je suis un gros fan de basket et de hip hop. Ça m’a pris ado, en 1991, je suis devenu américain. (Rires.)
Quelle vision as-tu du supporterisme en France aujourd’hui ?C’est devenu hyper contraignant. Entre les interdictions, les parcages dans des recoins de stades qui ressemblent plus à des centres commerciaux, les escortes où on vous fait attendre pendant trois ou quatre heures dans une zone industrielle ou sur une aire de repos… Il faut être jeune ou sacrément motivé pour en avoir envie. Après, il y a le sujet de la violence et de l’éducation qui dépasse le cadre du football. Aujourd’hui, c’est sans doute trop répressif. Mais quand il y a davantage d’autorisations et de libertés, il faut aussi savoir se tenir à carreau. Pour moi, c’est donnant-donnant. Un dialogue et un respect doivent être instaurés de part et d’autre. Les autorités devraient assouplir leurs règles et les ultras se responsabiliser, individuellement et collectivement. Les fans doivent aussi prendre conscience qu’en déplacement, ils véhiculent l’image de leur club. Et les clubs, en tout cas à Lens, ils sont réglos avec leurs supporters.
Propos recueillis par Yannick Lefrere
Photo de home : RC Lens.