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On a causé avec Marcel Baudiot, speaker de l’AJA pendant 45 ans
Après avoir empêché l’AC Ajaccio de monter directement en Ligue 1 (1-1), l’AJ Auxerre a fait ses adieux à l'un de ses piliers, dans les cartons depuis presque aussi longtemps que Guy Roux : le speaker Marcel Baudiot. Resté quarante-cinq ans au micro du club icaunais, cet ancien ingénieur commercial se préparer à entamer une nouvelle vie, à tout juste 74 ans.
Comment s’est passée votre dernière contre l’AC Ajaccio ?C’était à la fois comme d’habitude, mais en même temps, forcément un peu spécial. Le match s’est déroulé normalement et ce n’est qu’après le coup de sifflet final, en retournant dans les salons, que j’ai ressenti le contrecoup. Toutes ces marques d’amitié, ces banderoles déroulées, les interviews avec la presse… L’émotion a commencé à m’envahir.
Pourquoi le club a-t-il décidé de vous remplacer ?
C’était il y a un mois. Le président Francis Graille m’a convoqué dans son bureau pour me dire qu’il voulait un peu de changement et que j’étais là depuis maintenant très longtemps. Je suis un peu déçu d’arrêter comme ça, j’aurais volontiers continué encore plusieurs saisons. Enfin, c’est lui le patron. Il faut bien une fin à tout. Maintenant ça va mieux, j’ai encaissé le coup, mais je pense que quand les amicaux de préparation reprendront cet été, ça va me faire un deuxième choc émotionnel.
Connaissez-vous déjà votre successeur ?Oui, il m’a été présenté il y a trois semaines, avant le match contre Bourg-en-Bresse. Il a un peu observé la manière dont je procédais et je l’ai laissé communiquer la composition d’Ajaccio lors du dernier match.
Qu’allez-vous faire, maintenant que vous ne serez plus au micro de l’Abbé-Deschamps tous les quinze jours ?Le président m’a confié deux missions importantes. Je continuerai d’assurer l’animation des salons des partenaires et, à partir du mois de septembre, je serai en charge du musée qui commémorera le centenaire de l’installation de l’AJ Auxerre sur le terrain de la route de Vaux qu’elle occupe encore aujourd’hui.
Au total, vous avez été le speaker de l’AJA pendant 45 ans. On ne doit pas être loin d’un record au sein du football français !Oh certainement, mais je n’ai pas demandé à la LFP ce qu’il en était, car je doute qu’elle ait des statistiques en la matière. Cela ne doit faire qu’une dizaine d’années que les speakers apparaissent sur la feuille de match.
Ce club, c’est toute votre vie ?
Il y a d’autres choses qui comptent, quand même. Mais j’y ai tout connu, le stade avec 300 places assises, le dindon sur la pelouse avant les matchs… c’est vous dire. Je suis un vrai Bourguignon, né à Auxerre, je me sens proche de cette image de club du terroir. L’AJA, j’y suis entré à quatorze ans, j’ai joué avec Guy Roux et été dirigeant de l’équipe première avec lui pendant deux saisons, je m’occupais de l’intendance, jusqu’à la montée en division 3 en 1970. C’est lorsque nous avons accédé à la deuxième division qu’il m’a demandé d’être speaker, au pied levé.
On est en 1974, vous jouez alors gardien de but avec la réserve. Alors que vous vous apprêtez à entrer sur le terrain, Guy Roux vient vous chercher pour remplacer le speaker habituel, absent ce jour-là. Pourquoi vous et pas un autre ?C’est une excellente question à laquelle je suis incapable de répondre. Il faudrait que je la lui pose un jour. Peut-être parce que le courant passait bien entre nous et que dans le vestiaire, j’étais quelqu’un qui rigolait, qui chahutait. J’avais l’habitude de parler beaucoup, ce qui n’a pas changé depuis. (Rires.)
Votre voix est connue de tous les fidèles de l’Abbé-Deschamps, tout comme votre phrase-culte : « Supporters de l’AJA, êtes-vous là ? » Vous vous rappelez la première fois que vous l’avez sortie ? J’en serais absolument incapable. D’où ça vient, quand est-ce que je l’ai trouvée, je ne sais pas. La seule chose dont je suis sûr, c’est que j’avais déjà entendu quelque chose comme : « Êtes-vous là les supporters ? » Par la suite, mon collègue de Troyes m’a dit : « Marcel, je t’ai pris ta formule. » Comme quoi, ça a fait des émules !
Que faisiez-vous en parallèle de votre métier de speaker ?J’étais ingénieur commercial dans un groupe agronomique suisse. J’ai eu beaucoup de chance, car l’entreprise organisait des stages de formation chaque année pour animer les réunions avec nos clients, comment parler en public et interagir avec lui. Cela m’a bien servi en tant que speaker, comme l’AJA m’a aidé dans mon métier pour m’adapter à mon auditoire.
Avez-vous toujours été bénévole au sein du club ?Je vais vous répondre avec une anecdote. Un jour, Jean-Michel Larqué et le regretté Thierry Roland sont au bord de la main courante à l’Abbé-Deschamps, en train de parler avec Guy Roux. Je m’approche d’eux pour les saluer et il leur dit : « Regardez, lui c’est mon speaker. Il est tellement bon que je vais tripler son salaire. » Je lui réponds alors : « Guy, trois fois zéro, ça fait toujours zéro ! » Mais c’est mon club, donc c’est normal. J’ai connu une AJA qui fonctionnait avec 250 bénévoles à l’époque où nous étions amateurs. Aujourd’hui, ce n’est plus possible, le statut professionnel entraîne des contraintes salariales, mais moi, je n’ai jamais rien demandé.
Nous sommes au lendemain d’une finale de Coupe de France, dont le nom reste fortement associé à celui de l’AJA. Quel est votre souvenir le plus fou dans cette compétition ?
En 1979, nous perdons en finale contre Nantes alors que nous sommes encore en D2. À l’époque, tout le monde voyait Strasbourg à notre place, à tel point que les fanions Nantes-Strasbourg avaient déjà été imprimés. Finalement, nous avons déjoué tous les pronostics et il a rapidement fallu corriger cette erreur en réimprimant le blason de l’AJA par-dessus celui du Racing. Si vous en trouvez un original aujourd’hui, vous verrez que ce dernier apparaît en filigrane derrière le nôtre.
Vous avez côtoyé plusieurs générations de joueurs assez marquantes. Y en a-t-il certains qui vous ont davantage marqué ?Oh vous savez, c’est impossible de tous les citer et je ne voudrais offenser personne ! (Rires.) Entre les internationaux comme Martini, les joueurs qu’on a relancés comme Blanc, les champions du monde comme Guivarc’h, la liste est tellement longue qu’on pourrait en parler toute la nuit. Comme ça, je dirais Jean-Marc Ferreri parce que c’est un garçon que j’ai connu tout jeune et parce que c’est le premier joueur issu de notre centre de formation à avoir été appelé en équipe de France. Mais ils sont tous tellement gentils. Cela a à voir avec le statut d’Auxerre, un club familial, pas comme à Marseille, où les joueurs sont sous pression permanente.
Quel est votre souvenir le plus fort sur la scène européenne ?Le tir au but raté de Stéphane Mahé en demi-finale de C3 contre Dortmund. Ça, c’était dur. Mais globalement, ce n’est pas quelque chose qu’on voit tous les jours à Auxerre, des grands d’Europe comme Milan, Arsenal ou Liverpool. L’Abbé-Deschamps est en feu et à guichets fermés, ça vous remue les tripes ! Plus récemment, il y a eu le Real Madrid de Cristiano Ronaldo. C’était l’année avant que l’on ne descende en Ligue 2. Mon pire souvenir.
Racontez-nous ce soir du 20 mai 2012, lorsque Montpellier est sacré champion de France à Auxerre.
(Soupir) Ne m’en parlez pas ! J’étais sur le terrain aux côtés du préfet et du directeur de la Ligue, tous prêts à intervenir. Le match a été interrompu vingt minutes en raison d’incidents dans les tribunes, les CRS sont intervenus pour évacuer les tribunes, c’était vraiment très difficile. Devant les débordements, rien n’a été fait pour sacrer Montpellier, alors qu’un podium avait été monté pour Lyon lors de leur titre gagné sur la pelouse de l’Abbé-Deschamps en 2008. Je me rappelle que mon collègue lyonnais Dominique Grégoire avait pris le micro pour présenter les joueurs au public et tout s’était très bien passé. Mais bon, tout allait bien pour nous à ce moment-là.
Club estampillé terroir, l’AJA évolue désormais sous pavillon chinois. Un mal nécessaire ?Je dirais plutôt un mal pour un bien. Au départ, l’arrivée de James Zhou en avait laissé plus d’un sceptique, mais nos finances étaient mauvaises, et dans l’Yonne, aucun investisseur local ne pouvait reprendre le projet sérieusement après la mort d’Emmanuel Limido. Après, M. Zhou a emmené avec lui Francis Graille, qui connaît bien le football français et les finances sont stables. On sent que le club bouge.
L’année prochaine, Auxerre entamera sa septième saison consécutive en Ligue 2. Comment voyez-vous l’avenir ?Descendre, c’est facile. Remonter, ça l’est beaucoup moins. Depuis 2012, l’objectif en début de saison, ça reste de retrouver la Ligue 1. Comme chaque année, le groupe va beaucoup bouger cet été, et bien malin celui qui peut dire si l’on remontera l’an prochain. Mais il faut rester confiant. Pablo Correa me disait vouloir redonner à l’AJA son lustre d’antan. Regardez Nîmes qui retrouve la L1 après vingt-cinq ans. Même Nantes a dû patienter sept saisons avant de remonter. Peut-être que ce serait la bonne année pour les imiter. En 1995, ils étaient champions un an avant nous.
Propos recueillis par Julien Duez