- Italie
- 5e division
- Bagnolese-Agazzanese (3-0)
Omar Daffe : « C’est là qu’il m’a répété à quatre reprises « Nègre de merde » »
Dimanche 24 novembre, match de cinquième division dans les environs de Piacenza en Émilie-Romagne. Omar Daffe, 37 ans et gardien d’origine sénégalaise du club visiteur de l'ASD Agazzanese 1920, est victime d’insultes racistes d’un supporter local de Bagnolese. Contrairement à d’autres victimes de ce fléau, il a décidé de quitter la pelouse. Il témoigne.
Il y avait-il un enjeu particulier lors de ce dernier match, dimanche 24 novembre, sur la pelouse de Bagnolese ? C’était un match du dimanche comme les autres. Mais dès le début du match, l’ambiance était un peu « nerveuse » , car Bagnolese restait sur deux défaites de rang. Les deux équipes voulaient gagner, ce qui est normal car tu joues toujours pour gagner.
Et puis, autour de la trentième minute de jeu, il y a ce contact avec un attaquant local…C’était vers la 25e minute de jeu.
Il y a effectivement un contact avec l’un des adversaires dans ma surface, mais l’arbitre ne siffle pas, car il estime que tout est licite. À partir de là, les supporters locaux ont commencé à haranguer l’arbitre. Ils lui disaient qu’il y avait penalty. L’arbitre a stoppé le jeu, a demandé à l’attaquant d’arrêter ses simulations et m’a averti parce que j’avais été lui parler pour lui dire d’arrêter son cinéma. Le jeu a repris normalement, mais cinq minutes plus tard, un homme a commencé à crier dans ma direction : « Nègre de merde ! » Je me suis tourné vers lui et je lui ai dit : « Oui, c’est moi. Viens me le redire dehors ! » C’est là qu’il m’a répété ensuite à quatre reprises : « Nègre de merde ! » Je n’ai appris que quelques jours plus tard que c’était le père du joueur en question, avec qui j’avais eu un accrochage sur l’action précédente. Les autres supporters n’ont rien fait, certains l’applaudissaient même, tandis que la plupart des autres étaient encore énervés après l’arbitre. Du coup, j’ai dit que je ne me sentais plus en état de jouer et j’ai quitté le terrain. Alors que lui, personne ne lui a demandé de quitter l’enceinte.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que tu es victime de racisme. L’an dernier, déjà, tu avais vécu un épisode similaire…
Oui, c’était face à une autre équipe. Mais tu sais, je suis arrivé en Europe à l’âge de 16-17 ans, et cela arrive plusieurs fois par an dans ce championnat. Les auteurs m’insultent, puis se cachent dans la foule et font comme si de rien n’était. L’an dernier, j’avais raconté la scène à un journal. Et un jour après les faits, on m’avait reproché d’avoir inventé l’histoire…
Revenons à ce match de Bagnolese. Dans ta tête, tu as immédiatement l’idée de quitter le terrain ? Qu’est-ce qui te pousse à le faire ?Non, pas du tout. Sur le moment, je pensais que l’arbitre ou quelqu’un d’autre allait faire quelque chose. J’ai préféré sortir, car je ne voulais pas répondre par la violence, il y a des règles et il faut les suivre. L’unique chose que j’aurais pu faire, ça aurait été de sortir et d’appeler la police pour me défendre. Mais il faut savoir qu’entre ces quatre insultes, il s’est quand même passé une ou deux minutes. C’était impossible de ne pas les entendre, mais je ne voulais pas non plus ne rien faire. La première fois, je n’ai pas réagi. C’est à la quatrième reprise que ça m’a énervé. Je n’ai pas peur de me défendre physiquement, attention. Mais je suis père de famille, j’ai deux enfants et il y a une question que je me pose : qu’est-ce que je peux leur dire si, en tribunes, ils voient un homme insulter leur père de « nègre de merde » ?
Quelle a été la réaction des autres joueurs ?À vrai dire, sur le coup, ils étaient paralysés. Après cinq ou six minutes à l’intérieur du stade, mes coéquipiers m’ont rejoint. Ils m’ont dit qu’ils ne rejoueraient pas après ce qu’il s’était passé. Et puis, quand le match a été définitivement arrêté, les joueurs de Bagnolese et leur coach sont venus me voir pour me demander pardon. Pour m’apporter leur soutien.
Qu’est-il advenu de la fin du match ? L’arbitre m’a mis un rouge car – dans les règles – je n’ai évidemment pas le droit de quitter le terrain. Il a ensuite sifflé la fin du match car le reste de mon équipe ne voulait plus jouer. On devrait savoir ce qu’il advient aujourd’hui. (Le « Giudice Sportivo » , juge sportif, du comité régional n’a pas tenu compte des incidents, et a donné match perdu 3-0 à l’équipe d’Omar et infligé un point de pénalité, N.D.L.R.)
Dans la vie, tu es aussi entraîneur d’une équipe d’U6 et entraîneur des gardiens pour le compte de la Fédération italienne. As-tu eu l’occasion de reparler de l’incident avec les enfants ?Je n’en ai pas encore parlé avec eux, car je ne pouvais pas me présenter sur les terrains vu que j’étais suspendu. Mais eux, ils m’ont envoyé une vidéo de soutien où ils disaient « Non au racisme » . J’ai aussi reçu des messages de soutien partout d’Italie, du Sénégal ou même de France. Ça fait du bien, forcément.
Propos recueillis par Andrea Chazy