- Disparition de Diego Maradona
Omar da Fonseca : « Quand je pense à Maradona, j’en oublie même le football ! »
Consultant pour la chaîne beIN SPORTS, Omar da Fonseca était très sollicité depuis hier et l’annonce de la mort de Diego Maradona. Lors d’une conférence de presse téléphonique, l’Argentin, ancien footballeur du PSG et de l’AS Monaco, a rendu hommage au Diez et fait le point sur l’impact de cette nouvelle à l’échelle planétaire.
Bonjour Omar. Comment est-ce que tu as appris le décès de Diego ? Je ne m’y attendais absolument pas. Ma fille m’avait appelé pour me demander si je pouvais garder ses trois enfants à Tours. J’ai accepté, donc j’ai pris le TGV et je suis arrivé vers 17 heures. Là, je suis dans un parc et je commence à recevoir des textos et des appels dans tous les sens… Je voyais que Nagui ou Carlos Bianchi voulaient me contacter, mais je ne voulais pas y faire attention et profiter de l’instant. Quand j’ai ouvert mon téléphone, j’ai ouvert un premier message et j’ai compris la nouvelle par mes proches.
Comment décris-tu ce qui se passe en toi au moment d’apprendre cette nouvelle ?Au début, tu ne fais pas trop attention à la mesure de la nouvelle et tu ne réalises pas vraiment. Tu es dans un parc, dans un contexte vivant. Mais Maradona, cela représentait tellement de souvenirs pour moi : combien de fois j’en ai parlé avec mon père, mon grand-père… À l’époque, nous avions une autre manière de vivre le football, cela passait par les discussions et l’éloge du caractère du footballeur. J’ai commencé à le voir à Argentinos Juniors quand il devait avoir 13 ans : à la mi-temps des matchs, Diego faisait du jonglage avec un ballon, voire avec une orange !
Hier, Jorge Valdano a fondu en larmes devant la télévision espagnole… Est-ce que toi aussi, cela t’a affecté de la même manière ?Oui. Nous sommes de la même génération. J’ai joué contre lui, j’ai même eu la chance d’être son coéquipier en équipes de jeunes, je m’entraînais avec lui et je voyais qu’il avait une forme d’insouciance, un côté intouchable. De notre côté, on galérait pour se trouver des chaussures dignes de ce nom pendant qu’il avait un contrat avec Puma. À ses 17 ans, il était déjà millionnaire, alors qu’il venait des villas de Buenos Aires dans les années 1960. Il fallait voir l’état du truc au départ, c’était archi précaire. Toute sa vie est surréaliste. À cette époque, il disait que son rêve était d’avoir une Ferrari noire. Finalement, il l’avait reçue en cadeau à Naples. Tous ces souvenirs me ramènent à ma jeunesse. Diego ne représentait pas que le football, il y a une dimension iconique car il était le représentant de l’Argentine. Quand je faisais des voyages en Afrique noire par la suite, les gens me demandaient ma nationalité, et tout de suite c’était « Maradona ! Maradona ! » Il a enrichi l’histoire de notre pays dans une période où il n’y avait pas autant de matchs et de produits dérivés qu’aujourd’hui.
Qu’est-ce qui fait que Maradona est devenu un mythe ? Le match contre l’Angleterre ? Pas uniquement. Avant d’être le mythe, c’était d’abord le génie. Le génie, c’est celui qui peut réaliser ce que les autres sont incapables de faire, et c’est ce qui correspondait le mieux à Maradona. J’ai joué trois fois contre lui : à chaque fois, je voyais ses contrôles, ses dribbles incroyables et sa vivacité avec son aspect trapu. Maradona, c’était le caractère sur le terrain, l’homme qui a sublimé le football de rue dans le football professionnel. C’était un virtuose et dans le même temps un débrouillard. Diego est devenu plus grand que Diego lui-même parce que nous avons aussi participé à créer ce phénomène, ce mythe.
Maradona était un footballeur génial, mais respectait-il aussi ses coéquipiers ? Oui. C’était un mec qui allait vraiment au mastic. Il ne faut pas oublier que l’époque dans laquelle a vécu Maradona en matière de football, c’est probablement la plus ignoble, malsaine, violente et intimidante. En Copa Libertadores, quand il fallait se déplacer au Pérou, il fallait voir l’intensité des duels ! Les adversaires ne jouaient pas contre Boca, mais contre Maradona. L’état des terrains à Naples ou au stade Azteca contre les Anglais, tu vois la balle qui saute tout le temps ! Quelque part, Diego était obligé de s’adapter. Maradona était un footballeur qui faisait la différence, mais il ne prenait pas la grosse tête avec ses coéquipiers. Il n’avait pas de stratégie malsaine au moment d’entrer sur le terrain, au contraire.
Quel est le meilleur souvenir que tu gardes de Diego ? Ohlala, il y en a tellement. J’ai le souvenir d’une interview avec Nagui à Cuba qui s’était très mal passée sur les deux premiers jours, tout simplement parce qu’il n’était pas venu. Mais finalement, nous avions pu le voir, et je me souviens qu’il nous avait fait sourire. Diego n’était pas quelqu’un de très ordonné du point de vue organisationnel et horaire, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais cela ne l’empêchait pas de rester très inspirant quand il te parlait. On voudrait tous être Maradona. J’ai aussi le souvenir d’une remise du Ballon d’or honorifique de France Football où j’avais dû l’accompagner, nous étions partis au Crazy Horse après la cérémonie et c’était parti… Bref, il y a beaucoup de bons moments. J’en oublie même le football ! Quand j’étais à l’AS Monaco, j’allais même le voir quand il jouait à Turin ou à Milan… Diego, c’est aussi le souvenir des embrassades avec des amis sur ses buts avec l’Argentine. Contre Diego, je suis très fier de dire que j’ai été mieux noté que lui deux fois en trois matchs ! J’ai même encore les coupures de journaux pour le prouver. (Rires.)
Quelle trace va laisser Diego en Argentine ? Elle sera totale. Déjà qu’il était perçu comme un dieu avec ces peintures murales dans Buenos Aires, mais là, c’est indéniable qu’il va rester dans le cercle très fermé des génies. Quand il jouait au football, il faisait des choses parfois inimaginables. Diego est parti du plus bas possible pour aller se mélanger avec les étoiles, dans des galaxies que nous ne connaîtrons même pas. Les génies possèdent aussi la volonté d’une existence propre et brute, sans changer leur manière de penser. C’est un peu ce qui l’a trahi, car il s’est tout permis grâce à son génie. Cela rend son personnage complexe.
Diego Maradona a toujours eu cette image d’une synthèse de l’Argentine, avec ses hauts et ses bas. Penses-tu que l’Argentine va se remettre d’une perte aussi grande ? L’Argentine est un pays merveilleux dans l’excès. Nous sommes fanatiques, passionnés, fusionnels, romantiques et nostalgiques. Maradona, c’était tout ça, mais aussi avec un côté rusé. Cela dit, l’Argentine va se remettre du décès de Maradona, car quand j’en discute avec mes meilleurs amis, il y a des problèmes en permanence avec les crises économiques et politiques successives. Ils sont habitués à affronter ce type de situations. J’adore cette manière de concevoir les choses, car nous gardons un côté inconscient dicté par le fait de profiter de l’instant, sans jamais prendre le temps de s’organiser. Maradona contre l’Angleterre, c’était aussi ça : quand tu voyais ces enfoirés de militaires dans une guerre avec d’un côté des fusils et de l’autre des pierres, tu te dis qu’il faut profiter du moment pour leur rendre la pareille. Maradona n’a jamais protégé son image, il s’en foutait des manières et il l’assumait. En même temps, il n’avait jamais appris cela quelque part, car il a été déscolarisé très tôt. Cela a forgé son caractère. S’il aimait bien quelqu’un, peu importe qu’il soit communiste ou président, il y allait sans calcul. S’il ne l’aimait pas, il l’envoyait chier.
Comment vivait-il cette passion continuelle qui gravitait autour de sa personne ? Honnêtement, c’est impossible d’imaginer le bidonville dans lequel il vivait au départ. C’était un endroit sans eau courante, électricité et sans évacuation, des maisons sans porte et sans fenêtre… S’il est allé trois fois à l’école dans sa vie, c’est sans doute le maximum. Alors comment gérer cette gestion populaire qu’il y avait derrière ? C’est inconcevable. Le but de Diego, c’était d’aimer avant tout. Quand il a acheté une maison à ses parents après sa signature à Boca, cela s’est fait juste après la signature de son contrat. Dès la signature de son nouveau contrat à Barcelone, c’était pareil : il était tout de suite dans la dépense et il ne s’occupait pas de compter. D’ailleurs, personne ne s’en occupait vraiment. Diego avait tout fait dans sa vie sans avoir de modèle, il était incontrôlable. C’était parfois très avantageux, mais souvent très problématique.
Tu as connu bon nombre de grands joueurs comme Cruyff, Platini, aujourd’hui Messi… Est-ce qu’on peut quand même parler du meilleur joueur de l’histoire ? Oui, je ne suis peut-être pas le mieux placé pour juger parce que je le connaissais aussi dans sa personnalité. Mais bon, j’ai vu Pelé aussi au cours de ma jeunesse… Si on doit parler du plus grand joueur de l’histoire, je dis oui. S’il faut parler du plus fort, là il faut discuter. Pelé n’a pas joué dans les mêmes conditions et son championnat principal reste le Brésil. Maradona jouait dans un football agressif. En Espagne par exemple, c’était la période de la Furia Roja où la majorité des joueurs étaient des bouchers ! Où que tu ailles sur Terre aujourd’hui, absolument tout le monde connaît Maradona. En Argentine, un dicton dit que si Maradona se balade à côté du pape, les gens se demandent qui est à côté de Maradona.
Propos recueillis par Antoine Donnarieix