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Olivier Giroud : « Je ne veux changer mon poste pour rien au monde »
Deuxième meilleur buteur de l'histoire de l'équipe de France, Olivier Giroud, 36 ans, s'est confié avant de s'envoler pour le Qatar sur son rapport à sa cible favorite : le but.
Comment a commencé ta relation avec le but ?Comme mon fils, Evan, j’ai frappé dans un ballon dès que je me suis mis à marcher. Il y a d’ailleurs une photo assez mythique de moi que ma mère garde précieusement : j’ai un peu plus de deux ans, un biberon dans la main et je suis en train de frapper du gauche. Devenir attaquant, c’est ensuite venu très rapidement. Petit, j’aimais bien mettre des mines à mes potes. C’est ça qui me faisait kiffer. J’habitais aussi à 100 mètres d’un stade, et il y avait un mur en béton contre lequel tu joues normalement au tennis. J’enchaînais les frappes dessus. J’ai toujours été dans ça : frapper au but, travailler le geste, bosser ma technique de frappe.
Tu n’as jamais voulu inverser les rôles ?Ça m’est arrivé d’aller au but. J’aimais bien plonger. Encore aujourd’hui, il m’arrive d’y aller en fin de séance d’entraînement, même en équipe de France, mais dans ma tête, ça a toujours été mettre le but plutôt que d’empêcher le but.
Avec ton frère, Romain, c’était aussi ça ?Mon frère a été en sélection de jeunes entre ses 14 et ses 16-17 ans. Il a eu une quarantaine de sélections avec l’équipe de France. Il a un temps été dans la même génération que Titi Henry, que David Trezeguet, que Nico Anelka. C’était mon héros, la star du village. À chaque fois qu’on croisait des gens dans la rue avec ma mère, on nous disait que c’était la fierté du coin. Il était promis à une grande carrière et m’a même filé mes premières tenues de l’équipe de France, que j’avais retroussées quinze fois évidemment. Aujourd’hui, le fait qu’il y ait cette petite course au record de buts en équipe de France avec Thierry Henry est d’ailleurs un beau clin d’œil (avec ses 49 buts, il est à deux longueurs du recordman, NDLR). Mon frère et Titi s’étaient perdus de vue et, quand je jouais à Arsenal, ils se sont un jour retrouvés comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Romain est même ensuite allé voir Titi à New York, a intégré le staff médical de l’AS Monaco comme diététicien lorsque Titi était entraîneur là-bas… Ils ont renoué contact un peu grâce à moi, finalement.
Henry, c’était le modèle absolu d’attaquant à tes yeux ?Ça a clairement été l’une de mes premières références, même si mon modèle numéro un a toujours été Andreï Chevtchenko. Il y a aussi eu Roberto Baggio, au Mondial 1994 : ce sont mes premiers souvenirs de Coupe du monde, il n’y avait pas la France, j’ai des origines italiennes, et Baggio avait un style, une élégance, un truc fort.
Comment ça se passe pour le jeune attaquant Olivier Giroud du coup ? Il copie ?Oui, j’ai essayé d’imiter Chevtchenko. À un moment donné, j’ai même voulu courir comme lui. Il avait une allure à lui, avec ses hanches… Le problème, c’est qu’on n’a pas du tout la même morphologie, donc ça ne rimait à rien. (Rires.)
Qu’est-ce que tu cherchais en tant qu’attaquant ?L’adrénaline du but. J’ai tout de suite compris que je voulais faire ça de ma vie et marquer, c’est d’ailleurs le premier objectif du foot, ce qui fait gagner un match. C’est aussi ce qui est le plus dur, mais j’ai tout de suite été attiré par ça. Quand j’étais petit, on était deux joueurs majeurs dans mon équipe : Jérôme et moi. Lui était défenseur, moi attaquant. En général, plus le niveau monte, plus tu as des chances de redescendre d’un cran. Moi, je n’ai jamais reculé.
Pourquoi selon toi ?Je crois que j’avais quelque chose d’inné : une bonne frappe, un bon placement, une capacité à garder mon sang-froid dans certaines situations… J’ai énormément travaillé, attention, mais je pense avoir toujours cette force. Je n’ai pas besoin de savoir où est le but quand je suis dans la surface. Je sais exactement où il est, même quand ça va vite. D’ailleurs, si on regarde, beaucoup de mes buts inscrits dans la surface l’ont été en une touche.
C’est ça qui explique ton but marqué récemment face à La Spezia ? Sur cette action, je suis assez proche du but. Là, il faut rester concentré au maximum, les yeux fixés sur le ballon jusqu’au dernier moment, et surtout, parce que ce genre de reprises finit huit fois sur dix dans les tribunes, il faut utiliser la bonne surface de contact pour pouvoir parfaitement redresser le ballon. Face à La Spezia, en toute humilité, je la prends tellement bien que le ballon part sans effet. Si je réussis ce geste, c’est aussi parce que j’ai réussi à développer un sens du but, de l’appel… Quand on parle de technique dans le foot, on parle souvent d’un crochet, d’une feinte de corps, d’un passement de jambes, d’une roulette, mais finir devant le but, c’est aussi de la technique et ça se bosse au quotidien.
Est-ce que tu as fait, à un moment donné, un travail de visualisation ?On m’a proposé de le faire, mais non, je n’ai jamais été là-dessus.
Comment vis-tu le fait d’être à une époque où on dit ton profil en voie d’extinction ? J’espère qu’après moi, il y aura d’autres target men parce que c’est un profil qui aide beaucoup l’équipe, qui est utile, mais je sais qu’on a aujourd’hui tendance à favoriser les mecs qui vont vite, qui prennent la profondeur, qui sont plus explosifs… En contre-exemple, il y a Haaland. On a un peu le même physique, le pied gauche, la qualité dans les airs, mais lui a cette explosivité en plus. Pour un joueur de son gabarit, c’est impressionnant.
Il y a des trucs que tu prendrais chez tes coéquipiers offensifs en équipe de France ?Chez Antoine (Griezmann), sa qualité de passe, le fait qu’il ait une main à la place du pied. Je pense que je prendrais l’explosivité de Kylian (Mbappé), forcément, même s’il sait faire plein d’autres choses. Karim (Benzema) sait aussi tout faire, mais peut-être que je prendrais son aisance technique dans les petits espaces.
Et eux ?Je pense que Kylian pourrait prendre mon jeu de tête. Karim pourrait peut-être me prendre ma finition de volée face au but, un geste que je travaille beaucoup, et il m’arrive de les écœurer à l’entraînement. (Rires.) Griezi, je pense qu’il pourrait prendre un peu de ma puissance.
Être attaquant, c’est aussi le poste le plus ingrat. Tu peux passer 90 minutes à ne pas toucher un ballon, gagner un Mondial sans marquer de but, c’est souvent toi qui prends les sifflets… En fait, tu es toujours sous les feux. Si tu marques, c’est très bien, mais si tu ne marques pas, tu es le premier que l’on va pointer du doigt. C’est comme les gardiens, tu es exposé. Après, j’ai toujours aimé ça. Je n’ai jamais cherché la gloire, mais j’ai toujours été prêt à assumer les critiques. Je ne veux changer mon poste pour rien au monde. C’est difficile d’expliquer ce que l’on peut ressentir lorsqu’on marque un but à la dernière minute contre La Spezia. Quand ça arrive, tu t’oublies, et tu t’oublies tellement que tu prends un rouge. (Rires.) Tu ne peux pas ressentir des émotions comme ça en faisant autre chose. D’ailleurs, on en parlait récemment avec Zlatan, c’est ce qui nous manquera le plus quand tout s’arrêtera. C’est pour ça que tant que notre corps nous le permet, on s’accroche.
Vous avez noué une grosse relation avec Ibrahimović ?On parle souvent, de tout, de rien. Après le match contre La Spezia, je lui ai dit que je pense qu’il n’avait jamais vu ça : le mec qui marque et prend un rouge après ! On déconne pas mal ensemble. On a quand même cinq ans d’écart et il sait que j’étais fan de lui quand j’étais ado. Quand j’avais 17 ans, il était déjà devenu Zlatan.
Est-ce tu penses que l’on ne comprend pas toujours les subtilités de ton poste ? On se dit par exemple qu’en 2018, après la Coupe du monde, tu aurais aimé avoir une palette pour expliquer à tout le monde ce que tu as fait pour aider l’équipe de France.Oui, même si je ne vais pas refaire l’historique. Allez : contre l’Australie, je rentre et je fais le une-deux avec Paul (Pogba). Face au Pérou, si Kyks ne vient pas la pousser, peut-être que je marque. Contre l’Argentine, je lui fais une passe décisive. Derrière, c’est un travail de sape sur les défenses, j’aide à ouvrir des espaces, et au bout, il n’y a rien de plus beau qu’être champion du monde, même si c’est sûr qu’il y aura toujours ce petit manque. Je me dis qu’en faisant preuve d’un peu plus de promptitude, je dois marquer contre la Belgique. Après, ça s’est goupillé comme ça. Maintenant, j’ai lu des mecs qui disent que je n’ai jamais marqué en phase finale, mais j’ai marqué contre la Suisse en 2014, j’ai marqué trois buts et même fait deux passes décisives à l’Euro 2016… Chez moi, j’ai même un soulier de bronze parce que j’ai été troisième meilleur buteur de la compétition. Au bout, il y a aussi ce record de buts, qui n’est pas une obsession, mais qui est au chaud dans un coin de ma tête.
Si tu ne dois garder qu’un seul but, c’est lequel ?Vous allez me répondre vous-même quand même. (Rires.) C’est le scorpion contre Crystal Palace (en janvier 2017, NDLR), évidemment, parce que c’est un truc de fou. À la mi-temps, je vois le ralenti et les mecs me disent : « Tu te rends compte de ce que tu as fait ? » Je pense que je l’ai revu 50 fois et je l’ai souvent retenté à l’entraînement, mais il faut que tout soit réuni, que tout soit parfait. Déjà, il faut que ce soit un droitier qui te fasse le centre, que le terrain soit un peu humide pour que le ballon puisse fuser sur ton talon… Là, j’ai été touché par la grâce. J’ai voulu faire ce geste, les truc acrobatiques, c’est mon truc, mais là, comme ça, c’était dingue. Il faut aussi avoir une souplesse de hanche, l’équilibre, un maximum de réussite. Encore une fois, que tout soit parfait.
Tu as toujours eu cette souplesse ?Toujours, et je m’étire beaucoup pour ne pas la perdre. En Italie, ils ont récemment redit que j’ai fait de la danse contemporaine en STAPS. Dans un article, ils ont écrit : « Les secrets de Giroud, c’est de manger des kiwis et la danse. » C’est vrai que je mange des kiwis tous les matins, mais la danse, non, ça n’est pas du tout un point fort. (Rires.)
Aujourd’hui, quelle est ta relation avec les gardiens ?Une relation assez forte, même si ici, maintenant, ils anticipent de fou sur certaines situations parce qu’ils me connaissent par cœur. Hugo (Lloris) est malin parce qu’en général, c’est pas lui qui fait le travail devant le but avec nous. On ne le fait avec nos gardiens que la veille des matchs et souvent, c’est avec Steve, Mike ou Alphonse, mais quand Hugo participe, il regrette parfois d’être passé dans le coin. (Rires.)
Propos recueillis par Maxime Brigand et Mathieu Rollinger, à Clairefontaine