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Olivier El Khoury : « Je suis fier de ce patrimoine de banquettes pourries en Belgique »

Propos recueillis par Alexandre Lejeune
5 minutes
Olivier El Khoury : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je suis fier de ce patrimoine de banquettes pourries en Belgique<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Bien camouflé derrière son pseudonyme @Bench_Guru sur Instagram, Olivier El Khoury est un amoureux de l'ES Boninne, son club depuis bientôt trois décennies, évoluant dans la plus basse division belge. Depuis quelques mois, ce libraire s’est découvert un nouveau passe-temps : photographier les bancs des équipes qu’il affronte, tous plus mal en point les uns que les autres. Entretien avec un mec qui préfère être remplaçant que sur le terrain.

D’où t’est venue l’idée de créer un compte Instagram dédié aux photos de bancs de foot ? Ça fait 27 ans que je joue dans le même club, à Boninne, en quatrième provinciale belge, soit le plus bas niveau référencé. Il y a 2-3 ans, on s’est retrouvés à jouer une montée pour la première fois et j’ai commencé à être sur le banc. Je me suis dit : « Merde, mon temps est fait, j’ai la trentaine… » Je jouais toujours nonante minutes avant, donc c’est seulement à ce moment-là que j’ai commencé à découvrir les banquettes et que je me suis rendu compte de leur état, à la fois charmant et désolant. Elles sont quasiment toutes en ruines et beaucoup de cahutes sont toutes pourries. Alors, j’ai décidé de les prendre en photo et de lancer ce compte pour faire marrer mes potes du foot. Ça part de là.

Sur ton compte, il y a effectivement des bancs sacrément délabrés, mais d’autres qui sont assez innovants. Est-ce qu’il y en a un qui t’a marqué particulièrement ?C’est fatalement le banc de mon propre club. Sans doute celui que je connais depuis des années, celui avec lequel j’ai presque une histoire d’amour. Mais une fois, je suis allé voir mon frangin jouer dans une autre région et il jouait sur un terrain qui n’avait même pas les bonnes dimensions, les lignes étaient tracées n’importe comment et la banquette se résumait à un vieux banc le long du terrain sans cahute pour le protéger. C’est un banc qui m’a marqué même si je n’ai jamais posé mon cul dessus – Dieu merci d’ailleurs.

Ceux qui m’intéressent vraiment, ce sont ceux où tu as la tôle qui s’effondre sur ta gueule quand il y a du vent, ceux qui ont des trous…

Selon toi, il faudrait retaper tout ça ou on doit laisser ça dans son jus ?Depuis le moment où j’ai commencé à fréquenter ces bancs, je me dis que c’est vraiment charmant comme truc. Ça représente vachement bien l’image du foot que je pratique depuis des années. J’ai toujours bien aimé les trucs un peu cabossés, un peu foireux, et là, on est à fond dedans. Des fois, je suis un peu déçu du banc sur lequel je suis assis, car il est trop propre ! Ceux qui m’intéressent vraiment, ce sont ceux où tu as la tôle qui s’effondre sur ta gueule quand il y a du vent, ceux qui ont des trous…

Ton club sait que tu rigoles de l’état des bancs ?Oui, tout le monde est au courant ! Mais ils savent que je le fais avec beaucoup d’attachement, ce n’est pas juste pour me foutre ouvertement de la gueule des infrastructures. En revanche, il y a un vrai truc derrière, puisque c’est assez symbolique du manque d’investissement dans le sport amateur en Belgique. Je ne veux pas rentrer dans un truc politique, mais selon moi, ça montre bien qu’on se fout des petites divisions amateurs.

Donc il y a quand même un petit message derrière.Disons que ça signifie bien que les clubs n’ont pas de budget. Et ça contribue à la mauvaise qualité du football en général d’avoir des infrastructures toutes éclatées. Si tu cherches à t’améliorer, il te faut des terrains et des bancs convenables, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui chez nous.

Est-ce que tu as déjà vu pire ailleurs qu’en Belgique ?Pire, j’ai l’impression que ça n’existe pas. J’ai vécu au Havre, à Rome, à Bruxelles, et partout où je suis allé, j’ai toujours vu des banquettes de meilleure qualité que les nôtres. Même si ce n’était pas forcément un truc auquel je faisais attention à l’étranger, j’ai l’impression que c’était déjà bien mieux en France par exemple. Mais je suis fier de ce patrimoine de banquettes pourries chez nous.

J’ai vécu au Havre, à Rome, à Bruxelles, et partout où je suis allé, j’ai toujours vu des banquettes de meilleure qualité que les nôtres.

Hormis ces fameuses banquettes, quelle relation as-tu avec le ballon ?Déjà, je suis un fou du Club Bruges. Sinon, j’habite à Bruxelles, à soixante kilomètres de mon club. Donc ça veut dire que je me retrouve à faire 1h30 de transports en commun à chaque fois pour aller jouer, ça en dit long sur mon histoire d’amour avec le foot. Ce que j’aime, c’est retrouver mes potes sur le terrain et surtout profiter de la troisième mi-temps pour boire des coups.

Et tu parviens aussi à faire le lien entre le foot et la littérature, ton autre grande passion…Je suis libraire dans la vie de tous les jours désormais. Il y a cinq ans, j’ai sorti un roman où je raconte la vie d’un supporter du Club Bruges justement, à qui il arrive plein de merdes et qui a tendance à lier le sort de son équipe au sien dans la vie de tous les jours. À la suite de ça, j’ai commencé à écrire des chroniques pour Sport/Foot Magazine. Et maintenant, j’essaye de me dégager du temps dans ma vie pour essayer d’écrire un deuxième bouquin. Le décor serait celui des buvettes des clubs amateurs et des vestiaires pourris. J’ai toujours Boninne en tête, ça berce pas mal mon imaginaire.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?Ce qui serait bien, c’est qu’on puisse reprendre le foot sans mesures Covid parce que là, mon compte Instagram a été happé par le confinement. Ce qu’on peut me souhaiter, c’est de faire encore beaucoup de rencontres avec des banquettes les plus pourries possibles. Malheureusement, en ce moment, je regagne un peu de temps de jeu, donc je passe moins de temps sur le banc, mais ça n’empêche pas que mon premier réflexe reste le même : je mets mes pompes et je vais photographier directement le banc adverse.

On a passé la journée avec Guy Roux, Djibril Cissé et les jeunes de l’AS Gurgy

Propos recueillis par Alexandre Lejeune

À lire également : Surface de réparation, Noir sur Blanc, 2017

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