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Olho do Brasil, du terril de Scléssin à Copacabana

Par Martin Grimberghs
6 minutes
Olho do Brasil, du terril de Scléssin à Copacabana

Lundi soir, à la télévision belge, il sera possible de se plonger dans le Mondial de quatre supporters aveugles ou malvoyants partis supporter la Belgique au Brésil. Un film documentaire édifiant et très drôle de par ses conditions de tournage.

Neuf mecs, une fille, un appareil photo 5D, une Go pro et une destination de rêve. À première vue, Olho Do Brasil pourrait ressembler à un docu sympathiquement tourné à l’arrache comme il en existe des centaines. Et c’est vrai, qu’il y a un peu de cela dans Olho Do Brasil. Il y a aussi un peu d’esprit de colo, mais il y a surtout quatre grands fans des Diables rouges, tous aveugles ou malvoyants, dans un stade de foot pendant le Mondial. Le film réalisé par Gilles Chatelain et Alban Herinckx, deux autres mordus de ballon rond, raconte cette aventure avec frissons, mais sans voyeurisme. Une ode au football social avec l’audiodescription comme fil conducteur.

L’audiodescription, c’est cette voix off qui permet de faire vivre un événement à un malvoyant. Jean-Marc Streel est un homme de radio, mais s’est spécialisé depuis 2009 dans l’audiodescription à caractère footballistique. À la tête de l’ASBL, A.S.A, pour All Services Access, il fait vivre depuis cinq ans les matchs des trois principales équipes wallonnes que sont Mons, Charleroi et le Standard de Liège à une cinquantaine de personnes aveugles ou malvoyantes. Il n’était bien sûr pas possible d’emmener tout ce petit monde dans l’autre hémisphère et il a donc fallu faire des choix. Un vrai crève-cœur à écouter celui qui est à l’origine du projet : « Le plus dur a été de leur faire comprendre. Il en fallait quatre. Et a priori, le but, c’était quand même d’avoir quatre personnages réellement représentatifs de l’audiodescription. Après, c’est évident qu’il fallait aussi des personnalités fortes. »

Les 52 minutes de film, diffusées en avant-première le mois dernier au centre culturel d’Uccle, prouve que le casting effectué par Jean-Marc Streel était le bon. Pour en être convaincu, il faut l’avoir vu. En attendant, et pour mieux comprendre les coulisses de ce docu étonnant, il est intéressant de savoir de qui l’on parle. Joannis est malvoyante depuis cinq ans, mais conserve un don unique pour la photographie. Antonio est aveugle depuis ses 13 ans et n’avait jamais entendu parler d’un ballon de foot avant de découvrir l’audiodescription, mais enchaîne aujourd’hui jusqu’à trois matchs de division 1 belge par week-end. Lolo est un dingue de foot depuis toujours, mais ne voit plus depuis qu’il a 10 ans. Cela ne l’empêche pas de faire des déplacements aux quatre coins du continent pour suivre son équipe préférée, la Roma. Et puis, il y a Augustin, l’étudiant en science-po super fan des Diables rouges et aveugle depuis tout petit. Les quatre sont des mordus du Standard de Liège. Les quatre ont surtout le point commun inestimable d’avoir vécu ensemble leur premier roadtrip.

Slash au pied et casque sur la tête

Malgré la participation de la Radio-Télévision belge francophone (RTBF) au projet, Olho do Brasil s’est construit autour d’un budget de 40 000 euros. Pas franchement énorme quand il faut envoyer dix personnes, équipe technique comprise, au Brésil, mais suffisant. Alban Herinck, co-réalisateur, s’explique : « C’était un tout petit budget pour ce type de docu, mais c’est aussi ça qui fait l’aventure. On dormait tous dans la même chambre, en auberge à Belo Horizonte et chez l’habitant à Rio. » Des grands dortoirs et un vol low-cost pour rallier le Brésil, c’est forcément une foule d’histoires plus ou moins drôles à raconter. « On a loupé une de nos connexions, et on a regardé le premier match contre l’Algérie à l’aéroport comme des cons ! » poursuit Alban. « Enfin, seulement Alban, Jean-Marc et moi » , précise Gilles Chatelain, l’autre co-réalisateur : « On avait réussi à trouver six places dans un avion pour tous les malvoyants et le cadreur. Nous, on a pu voir que la deuxième mi-temps sur un écran dans une salle de l’aéroport. Comme des cons vraiment. Du coup, dans le film, on a un peu triché. On a fait croire que les images du dernier match contre la Corée, c’était celle du premier match… »

Conséquence de quoi, Jean-Marc Streel aura finalement dû attendre le deuxième match des Diables rouges contre la Russie pour tester les sensations de l’audiodescription en contact direct avec ses auditeurs. « Ce qui a rendu cette aventure si particulière, c’est ça, c’est la proximité du commentaire. » En short, en slash et bermuda, et bien souvent un verre de « caipi » à la main, Jean-Marc Streel était sans doute le commentateur le plus vernis au mois de juin dernier au Brésil. Sur la plage ou au milieu de ses auditeurs dans les tribunes accueillants les matchs de la sélection belge, Jean-Marc ne verra jamais la couleur d’une tribune de presse. Ce n’est pas pour autant que sa manière de commenter l’événement change. Pour faire vivre à Joannie, Lolo, Augustin et Antonio la folie d’un match de Coupe du monde, Jean-Marc Streel divise le terrain en quatre zones (A, B, C, D). Un découpage indispensable à la compréhension de chaque mouvement. Le reste, c’est une question d’enthousiasme. « La qualité du commentaire est moindre dans des conditions comme celle-là, mais je pense que tout le monde s’en fout, ce qui compte, c’est l’émotion. »

Dérush nocturne et système D

Majoritairement filmé à l’aide d’un appareil photo 5D et d’une Go Pro, Olho do Brasil est aussi, et comme souvent dans ces cas-là, la résultante de centaines d’heures de dérush puis de montage. « Étant donné qu’il était interdit de filmer dans les stades, on a dû recourir au système D pour avoir des images de l’intérieur » raconte Gilles. Au final, le système D s’appelle donc Go Pro et se montre plus que satisfaisant. Tour à tour derrière l’objectif ou à la prise de son, Gilles et Alban vont vite comprendre qu’il leur est tout aussi indispensable de participer au guidage de leurs « acteurs » : « On se rendait pas compte à quel point on devrait les aider ou pas. Au final, on était tous mis à contribution. Cela se ressent dans le film, il n’y pas le regard de la personne qui s’est posé et qui a regardé. Non, on était vraiment avec eux. » Le résultat final le prouve. Réalisateurs, Gilles et Alban se retrouvent aussi régulièrement devant la caméra : « On aurait pu vivre le projet avec l’équipe technique d’un côté et le groupe en tant que tel de l’autre. Mais on s’est vite rendu compte que les conditions de tournage ne se prêtaient pas du tout à ça. Du coup, on a vraiment vécu l’aventure comme un groupe. »

Et un groupe, ça pèse. Ça épuise aussi. Alban et Gilles l’avoueront sans détour, ils ont d’abord été soulagés de voir le premier tour de poule se terminer en même temps que le reste du groupe reprendre le chemin de la Belgique : « La Coupe du monde, c’est quand même un truc qu’on attendait depuis douze ans, et on la vivait de façon hyper intense, mais très particulière. On était tous les jours en train de dérusher jusque 3h du mat. Après le départ du groupe, on a vécu une autre Coupe du monde. On était soulagés parce qu’on avait la matière suffisante et qu’on se retrouvait entre potes, c’était parfait. »

Grâce à Olho do Brasil, l’ASBL bruxelloise A World A Football poursuit un tour du monde du football social entamé en 2012 avec la diffusion, déjà sur la RTBF, de capsules vidéo visant à montrer en quoi le foot pouvait s’intégrer dans des problèmes sociétaux plus larges. Du foot sur pilotis en Thaïlande aux enfants soldats du Rwanda. Pour aller plus loin, c’est par ici : www.aworldoffootball.org

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