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Oleksandr Petrakov, soldat de l’été
Ce dimanche, l’Ukraine défie le pays de Galles à Cardiff dans l’espoir d’arracher son ticket pour la prochaine Coupe du monde. Une finale estivale que la Zbirna abordera en s’appuyant sur son guide improvisé, Oleksandr Petrakov. Sélectionneur aussi discret qu’inattendu, le sexagénaire pourrait en effet réaliser l’un des plus grands exploits sportifs de la nation dans un contexte fort en symbolique.
Les bras en l’air, un instant de silence avant un cri de joie. L’image d’Oleksandr Petrakov, célébrant le succès des siens face à l’Écosse mercredi dernier à Hampden Park (1-3), a marqué la qualification de l’Ukraine pour la finale de barrages de la Coupe du monde 2022. La première étape de l’objectif historique visé par le sélectionneur de 64 ans, investi d’une mission tout aussi sportive que politique.
L’anonyme célèbre
Il faut dire que c’est en invité surprise qu’Oleksandr Petrakov a débarqué sur le banc des Jaunes, au mois d’août 2021. Au sortir d’un Euro pourtant réussi (quarts de finale), Andriy Shevchenko n’a effectivement pas souhaité poursuivre l’aventure et a laissé le navire à son aîné, alors illustre inconnu. Après une carrière de défenseur dans de modestes clubs des deuxième et troisième échelons soviétiques, Oleksandr s’est lancé dans un périple d’éducateur. D’abord au centre de formation du Dynamo Kiev (2002-2011), puis au sein des équipes nationales de jeunes à partir de 2012. À la tête de toutes les catégories en Ukraine (U16, U17, U18, U19, U20), le formateur s’est dès lors bâti une solide réputation dans le cercle fermé local, fort de plus de dix ans d’expérience, d’une victoire au Mondial des moins de 20 ans en 2019 et de l’émergence d’éléments talentueux tels qu’Andriy Lunin ou Vitalii Mykolenko.
Moins clinquant que le nom de « Sheva » , « Oleks » s’est donc vu investi d’une mission dans un relatif anonymat : emmener la Zbirna au Qatar. Tout cela avant, malheureusement, le début de l’invasion russe. Un drame humain terrible, venu rappeler à l’Ukraine comme à la Russie un douloureux passé et reléguer le football en arrière-plan des priorités. Dans son souffle, le conflit armé a ainsi entraîné des milliers de vies innocentes et forcé le sport à adopter ce mode de vie macabre. Resté à Kiev aux côtés de sa femme Irina et refusant de quitter sa ville malgré les bombardements, Oleksandr Petrakov n’a pas échappé aux affres de la guerre. Au point d’offrir ses services aux forces armées en février, dans les colonnes du Guardian : « Je suis de Kiev, et je ne veux pas partir ! Il y a des gens qui se sacrifient pour défendre nos terres, donc il est hors de question que je prenne la fuite. Si les Russes viennent, je prendrais les armes et défendrais ma ville ! J’ai peut-être 64 ans, mais je suis capable d’éliminer deux ou trois ennemis. » Un discours « cru » qui n’aura pas trouvé écho auprès des milices, jugeant le sélectionneur trop âgé pour prendre part aux offensives.
La bataille, c’est sur le terrain
Loin du front, Oleksandr Petrakov a décidé de faire honneur à sa patrie sur les pelouses. Début avril, il s’est ainsi chargé d’organiser un camp d’entraînement pour les joueurs de la Premier-Liha locale. À l’ouest de l’Ukraine et dans un secret total, afin d’« éviter que les ennemis puissent commencer à bombarder », selon ses dires. Un rassemblement auquel est venu se joindre une préparation en Allemagne, fin mai cette fois, ponctuée d’un amical contre le Borussia Mönchengladbach. Des bribes de football retrouvées, en vue du chantier majuscule qui attendait ses protégés en ce mois de juin.
D’abord face à l’Écosse, c’est porté par les joueurs évoluant à l’étranger et une saison pleine – Andriy Yarmolenko en tête – que Petrakov a su se baser pour venir à bout de la Tartan Army. Un premier barrage passé avec brio, à la symbolique hautement mise en lumière par l’intéressé : « Je n’ai plus aucune émotion, elles sont toutes restées sur le terrain, a-t-il avancé, en conférence de presse. Cette victoire n’était pas pour moi ou pour les membres de l’équipe, mais pour notre pays. Les forces armées dans les tranchées ou à l’hôpital nous disent merci, mais on leur dit aussi merci. On a joué pour ceux qui se battent, jusqu’à la dernière goutte de leur sang. » Ému aux larmes, Oleksandr Petrakov n’en a pour autant pas oublié le « principal » . En quête de Mondial, seize ans après l’aventure allemande, le placide tacticien se dit prêt à répondre présent face au pays de Galles à Cardiff : « Nous avons fait un tout petit pas vers notre objectif, il reste encore le pays de Galles sur notre chemin, et on fera tout pour rendre les Ukrainiens fiers. » À onze contre onze, sans la complaisance d’un scénario digne de l’Eurovision et face à des adversaires également prêts à marquer l’histoire des leurs, l’Ukraine comptera donc sur son soldat de l’été pour enfin se reprendre à rêver en hiver.
Par Adel Bentaha