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OL-ASSE, qui c’est les meilleurs ?
Même délesté des petites phrases et grandes provocations qui font le sel d’avant-match, le derby reste ce moment à part où tout est prétexte pour s’opposer. Si les dernières confrontations sont largement pour l’OL, et la dynamique du moment plus favorable à l’ASSE, les deux clubs ont bien plus qu’une suprématie régionale ou une 3e place au classement à se disputer. L’occasion de se demander en cinq duels de quel côté penche le mythe.
OL vs ASSE
Jamais l’OL n’a été aussi proche de rejoindre l’ASSE pour gagner le droit de se mêler à la lutte à la troisième place. Jamais l’ASSE n’a été aussi proche de reprendre la main sur le Derby. La dernière fois, c’était déjà le cas. Jusqu’à ce que les Verts se fassent rattraper par ce mélange de malédiction et de trouille qui les empêche de remporter le moindre match face au voisin lyonnais du côté de Geoffroy-Guichard. Du coup, alors que la dynamique, le calendrier et la qualité de l’effectif sont du côté stéphanois, les Lyonnais s’en remettent une fois de plus à cette part d’irrationnel qui les voit emporter le morceau à chaque fois ou presque, y compris contre le cours du jeu.
Pour autant, c’est bien à Gerland que les Verts ont réalisé leur dernier coup fumant dans le Derby, laissant alors l’OL au bord de la crise de nerfs pour la 100e (septembre 2010). Si les Lyonnais ont eu le temps d’en revenir, Rémi Garde doit cette fois piocher un peu plus loin dans la réserve du club pour aligner ne serait-ce qu’une défense. Largement amochée après les blessures de Biševac, Umtiti et Miguel Lopes, elle devrait enregistrer le retour de Bedimo et le replacement au centre de Gonalons. Du coup, sans Grenier, ni Fofana, il faudra miser à nouveau sur un retour gagnant de Malbranque et une formation en accéléré pour Tolisso, histoire de s’en sortir dans la bataille du milieu. D’autant que l’expérience est une des clés de la réussite stéphanoise cette saison. Jamais les Verts n’ont senti la possibilité d’une place sur le podium aussi proche. Le calibre des joueurs alignés par Galtier y est pour beaucoup. Entre vieux soutiers de la Ligue 1 et revanchards, ces gars-là sont déjà parvenus à rouvrir une vitrine aux trophées qui prenait la poussière. Il ne leur reste qu’à renouer avec l’histoire européenne du club. Pour ça, le derby tombe bien : une victoire relèguerait l’OL à six points. Problème, c’est que c’est justement un derby, ce match que les Lyonnais ont fini par réinvestir depuis que les titres deviennent plus rares.
Qui c’est les meilleurs ? : c’est pas que cette fois, c’est la bonne pour les Verts. Disons juste qu’il paraît difficile d’être dans de meilleures dispositions pour l’emporter face à des Lyonnais qui payent cher leur saison à (déjà) plus de 50 matchs. Victoire des Verts.
Loïc Perrin vs Maxime Gonalons
Tout laisse à penser que les deux capitaines évolueront au même poste pour ce 104e Derby. L’occasion de rapprocher un peu plus deux gars du cru qui savent y faire pour incarner comme personne le club dont ils portent le brassard et, au-delà, toute une région. Côté Perrin, c’est comme si les mines n’avaient jamais fermé à Sainté. Pas seulement parce qu’en ayant les tempes qui grisonnent comme celles de Toulalan, le capitaine stéph’ fait partie des joueurs à l’ancienne de Ligue 1, ces mecs qui n’ont jamais joué qu’en chaussures noires et aiment siffloter du Sardou le matin en arrivant à l’entraînement. L’histoire de Perrin va plus loin, parce qu’elle est celle de tous les garçons qui ont grandi entre plaine et monts du Forez. Où Johnny Cash n’aurait jamais pu écrire Man In Black s’il avait passé ne serait-ce qu’une veille de match à Périgneux, premier club de Perrin. Où il y a longtemps qu’on a arrêté de compter les types persuadés d’avoir été de l’aventure à Glasgow en 76. Où la même histoire recommence toujours et encore, avec un paternel qui amène le fiston à Geoffroy-Guichard et l’inscrit dans le club du coin. Perrin appartient bien plus qu’à son club. Il rappelle le lien à tout un monde et à son ordre immuable.
En manquant de se barrer de son club formateur cet hiver, Gonalons est venu rappeler que l’histoire d’un joueur lyonnais reste encore différente. À la suite de Lacombe et de tous ceux qui ont fini par partir, elle reste soumise à l’impératif aulassien, où l’on ne peut rendre plus grand service à l’ « institution » qu’en rapportant ces quelques espèces qui remettront un peu d’équilibre dans le bilan financier. Plutôt que d’avoir à rappeler son attachement au club quand on sait qu’il faudra le quitter, Max en est arrivé à s’imposer comme le cartographe en chef de la lyonnaise du way of life : les parties de pêche dans la Dombes, les repas entre potes qu’on arrose au Saint-Jo’ (le vin, pas Bats), cette réserve qui fait dire à tous ceux qui l’approchent : « Mais t’es sûr qu’il est capitaine, lui ? »
Qui c’est le meilleur ? : mêmes gardiens du collectif et emblèmes du club, on décrète match nul.
Les mineurs vs les bourgeois
Pour qu’un mythe dure longtemps, il faut l’entretenir. Quitte à faire le coup de la banderole sulfureuse : « Les Gones inventaient le cinéma pendant que vos pères crevaient dans la mine ! » (septembre 2000). Comme si l’ASSE avait pu devenir le plus grand club français des Trente Glorieuses sans l’action déterminante de la bourgeoisie industrielle stéphanoise. Quant à Lyon, c’est du côté de Gerland que bat toujours plus fort la passion pour l’OL, là où les usines de la chimie, les cités-jardins, les abattoirs et le stade dessinés par Tony Garnier ont fini par recouvrir les marais et les baraques sordides de la Mouche.
Autant dire que pour continuer à jouer la lutte des classes à l’ombre du derby, il faut avoir de bonnes raisons. L’une d’entre elles renvoie à la place que peut occuper le football dans les deux villes. Longtemps, Lyon a pu donner l’impression de s’en foutre. On en tient pour preuve ce passage tardif et à reculons au professionnalisme entre Saône et Rhône (en 1950), quand Édouard Herriot n’a plus eu d’autres choix que de céder à la pression de sa bonne ville pour gratter un dernier mandat de maire. Alors que la glorieuse histoire des Verts est déjà en route dans le Forez, l’OL n’en a pas pour autant fini avec son destin de petit club à la tête duquel quelques notables locaux vont se succéder, d’un marchand de chaussures pour commencer à un grossiste en fruits et légumes, Charles Mighirian, dont certaines primes de match se négociaient en cartons de fruits exotiques. Même la famille Guichard avait compris que le football était une affaire bien trop sérieuse pour ne pas considérer les joueurs à leur juste valeur.
Qui c’est les meilleurs ? : Lyon renvoie les premiers succès à plus tard quand l’histoire de l’ASSE finit par se confondre avec celle de la ville. Victoire pour les Verts.
Roger Rocher vs Jean-Michel Aulas
Les trajectoires des deux hommes forts du Derby pourraient donner l’impression de se ressembler. Entrepreneurs locaux partis de loin pour bâtir les deux plus importantes séquences de domination du foot français, l’histoire finit par les rattraper pour mieux les séparer. Celle de Roger Rocher commence à la mine et se termine en prison, alors même que Saint-Étienne se met à ramasser bien au-delà des seuls terrains de foot. Entre-temps, l’homme à la pipe représente l’image du patron bienveillant, la caisse noire toujours à droite, mais le cœur à gauche quand il faut s’attirer les bonnes grâces d’une mairie communiste. En un aphorisme, Roger Rocher gagne son titre de petit père du peuple vert : « En football, Saint-Étienne sera toujours la capitale et Lyon sa banlieue. »
Si le président stéphanois a eu droit à sa nécro dans les pages de L’Humanité, c’est plutôt dans les pages saumon du Figaro qu’il faudra chercher celle de Jean-Michel Aulas. Le triomphe du patron de la Cegid marque celui des managers et de la métropolisation de l’économie. Autant dire que le capital sympathie devient inversement proportionnel à celui de sa société. Là où l’épopée verte était parvenue à gagner les cœurs bien au-delà des seules limites de la Loire, la domination de l’OL ne regarde jamais que les Lyonnais eux-mêmes. Qu’elle leur échappe et il est déjà temps d’ouvrir une nouvelle ère dans le football hexagonal. Maintenant que les investisseurs lointains ont pris les commandes, JMA peut enfin gagner ces quelques points de popularité qui lui ont toujours manqué.
Qui c’est le meilleur ? : avec une vingtaine de derbys remportés pour l’un et l’autre, avec domination à la clé pour l’ASSE et pour l’OL sous chaque mandat, c’est match nul.
Allez les Verts ! de Jacques Monty vs l’hymne de Biolay
À chaque mythe, son air. Celui des Verts résiste comme seuls savent le faire les hymnes qu’on dit éternels. D’accord, on est loin du frisson qui parcourt l’échine à chaque fois qu’un You’ll Never Walk Alone résonne à Anfield. En même temps, à chacun ses rengaines : à Liverpool, le lamento de Jerry and The Peacemakers qui renvoie à l’âge d’or du Merseybeat. À Sainté, la rengaine giscardienne calibrée pour être fredonnée en famille devant un show de Gilbert et Maritie Carpentier. Trente-huit ans plus tard, elle tourne toujours en boucle dans les tribunes. Comme pour mieux rappeler à tous ceux qui en douteraient que, si la France n’est pas un pays de foot, elle le doit aussi aux hymnes de stade qu’elle se choisit.
Voulant prendre part à l’histoire de son club de cœur bien avant de chercher à dépoussiérer le genre, Benjamin Biolay avait promis de se livrer à l’exercice à son tour. Promesse tenue dans un drôle de déluge où certains ont voulu reconnaître un hommage secret au Lyonnais Jean-Michel Jarre. Quand d’autres ont cru entendre les cornemuses de Braveheart chez M83. À peine livré, l’hymne attend encore ses paroles. À moins que la défaite qui a fait suite à sa diffusion (face à Monaco, le 16 mars) le renvoie plus vite au placard que Gaël Danic.
Qui c’est le meilleur ? : pour le foot, on ne sait pas. Pour l’hymne en revanche, Lyon reste bien la banlieue de Saint-Étienne. Victoire pour les Verts.
Par Serge Rezza