- Amical
- France-Bulgarie (3-0)
Oh que ce France-Bulgarie était kiffant !
Difficile de se faire un avis objectif sur le niveau réel des Bleus après ce match face à des Bulgares pédalant dans le yaourt. Mais à quelques jours d'entrer dans la danse de l'Euro, les gars de Deschamps et les spectateurs du Stade de France ont pu partager le genre de moments qu'on n'attendait plus, à base de jeu et de joie.
Qu’ils sont agréables, ces trajets vers le stade où il faut slalomer entre les tables posées en terrasses. Comme on se réhabitue vite à ces métros encore habités après les sorties de bureau ou à ses fouilles aux abords du stade. Là, ce sont deux supporters avec leurs billets cramponnés en main qui se plient aux règles. Il faut dire que c’est grâce à une dérogation, permettant aux 5000 spectateurs du Stade de France d’être exemptés d’un couvre-feu qui ne sera repoussé que le lendemain, qu’ils sont là ce mardi soir. Et aussi grâce à une connaissance haut placée. « On est ici sur invitation d’un joueur de l’équipe de France », lâchent-ils, évasifs. Le 10 de Mbappé floqué entre leurs épaules pourrait être un indice. Mais qu’importe, ils pourront s’asseoir dans les travées dionysiennes et profiter une dernière fois de ces Bleus avant leur départ pour l’Euro. Face à eux, dans la Tribune Est, ce sont les Irrésistibles qui se dégourdissent les drapeaux. On peut tout reprocher à ce groupe de supporters lorsqu’ils imposent une ambiance de Coupe Davis ou lorsqu’ils poncent des chants vus et revus. Mais mardi, alors que le soleil se couchait sur des anneaux supérieurs déserts, eux donnaient de la voix et de la joie. D’ailleurs, Antoine Griezmann ne se privait pas d’aller prendre un petit shot de cette communion avant le coup d’envoi.
Qu’elle est agréable, cette France qui chante. Comme il est beau, ce peuple, lorsqu’il regoûte à ses libertés et ses plaisirs simples. « Même si ce n’est qu’un match amical, le fait d’avoir un peu de supporters, de les entendre, c’est quelque chose qui stimule les joueurs, reconnaissait Didier Deschamps, après avoir entendu des « Et un, et deux, et trois zéro » d’un autre âge. On voulait se mettre dans les conditions de ce qui nous attend le 15. Le niveau sera évidemment plus élevé, mais dans les intentions, dans les attitudes, on est dans le vrai. » Mercredi dernier à Nice contre le pays de Galles (3-0), ses hommes avaient déjà donné un sérieux avant-goût du délice qu’ils pouvaient servir cet été. Mais à Saint-Denis face à la Bulgarie, ce soupçon de public a rendu les choses plus savoureuses encore. Car si les mouvements français ont dégagé une force visuellement perceptible, c’est parce que ces vagues offensives étaient enfin accompagnées d’un grondement de jouissance qui se propageait sur les bas-côtés. Dès lors, comment ne pas s’éprendre de ce collectif, quand Pogba claque un petit sombrero pour lancer Mbappé, dont la frappe contrée profitera à Antoine Griezmann. La bicyclette du Barcelonais fera le reste : voilà une délicieuse première demi-heure ponctuée d’un geste plein d’audace.
Pogba et Griezmann, maîtres de cérémonie
Qu’elle est agréable, cette équipe, lorsqu’elle joue libérée ainsi. Comme ils sont enthousiasmants ces joueurs quand ils donnent l’impression de s’amuser au milieu des schémas dessinés par leur boss sur paperboard. Paul Pogba et Antoine Griezmann en sont d’ailleurs les meilleures illustrations. Mardi, les deux ont brillé par leur décontraction et leur maîtrise. Didier Deschamps ne manquera pas de souligner leurs prestations en soulignant l’importance « tant sur le terrain et dans le leadership » du premier et la capacité du second à « mettre du liant » grâce à sa « justesse technique » comme de pouvoir « faire un effort de 30 mètres pour tacler s’il le faut ».
Certes, la sortie de Karim Benzema sur blessure (une béquille sur le haut du genou) aurait pu assombrir cette soirée. Mais il en faudra bien plus pour faire tanguer le bateau bleu. Déjà parce que pour le Madrilène, « ce n’est qu’un coup, il y a toujours pire dans la vie », comme le relativisait son coach en conférence de presse. Ensuite parce que ce groupe, sans que les 26 joueurs n’aient pu encore être concernés dans la rotation (Mandanda, Maignan, Lenglet, Zouma, Dubois et Thuram n’ont pas eu une minute à se mettre sous la dent), a suffisamment de ressources. « On aura besoin de toutes nos forces, assurait DD. Il y a une émulation en interne, ils savent très bien que je peux en mettre seulement 23 sur la feuille de match. Mais ils sont là et tous fixés sur le même objectif. » Pourront le rassurer en ce sens les entrées de Lucas Digne, Ousmane Dembélé, Thomas Lemar, Wissam Ben Yedder, mais aussi Olivier Giroud, double buteur en fin de soirée. Aujourd’hui, à deux jours de l’ouverture de l’Euro et à six de l’entrée en lice des Bleus contre l’Allemagne, tous les signaux semblent au vert pour les champions du monde. Et il serait dommage de ne pas en profiter, de s’inquiéter dès aujourd’hui de l’état de la cuisse de Karim Benzema, de la candidature d’Olivier Giroud à être plus qu’un super sub, des éventuels melons que cultiveraient certains, mais que tous ont cherché à dégonfler à longueur d’interview, d’une possible suffisance au moment d’aborder les choses sérieuses. Quand les gens de Seine-Saint-Denis se pressent aujourd’hui à la porte G du Stade de France pour recevoir leur dose de vaccin, ils ne pensent alors pas à une future quatrième vague qui les guette à la fin de l’été. On aura tout le temps de s’écharper plus tard, alors kiffons en toute légitimité. Parce que la Kiffrance n’attendra pas.
Par Mathieu Rollinger, à Saint-Denis