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Oday Dabbagh : « Tout n’est pas forcément politique, même en Palestine »

Propos recueillis par Amaury Gonçalves

En rejoignant en 2021 Arouca, actuel 5e de Liga portugaise, Oday Dabbagh est devenu le premier joueur né en Palestine à rejoindre l’élite européenne. La nouvelle star du Moyen-Orient ne compte pas s’arrêter là et rejoindra le Royal Charleroi, l’été prochain. Mais quand on naît en Palestine, rien n’est simple quand on veut réaliser ses rêves.

Oday Dabbagh : « Tout n’est pas forcément politique, même en Palestine »

Pour ta deuxième saison à Arouca, tu as inscrit onze buts en commençant moins de la moitié des matchs. C’est une sacrée performance…

Oui, c’est sûr ! Je crois en moi et j’ai la chance d’avoir un entourage qui me permet de le faire. Cela va faire deux ans que je suis au Portugal, mais cette saison, j’avais tout particulièrement besoin de me montrer, car c’était déjà ma dernière année de contrat avec Arouca. Mon objectif était de me montrer pour rejoindre une meilleure équipe en Europe. Je pense que c’est un rêve normal pour tout joueur ambitieux. J’ai travaillé très dur pour marquer des buts dès qu’une chance me serait donnée, et j’ai plutôt bien réussi à le faire.

Il y a deux ans, en débarquant au Portugal, tu deviens le premier joueur né en Palestine à rejoindre un championnat européen. Pourquoi personne avant toi n’y est parvenu ?

Je pense que c’est avant tout le fait de venir de Palestine. On a beaucoup de joueurs talentueux, mais l’image de marque du football palestinien ou asiatique en général ne joue pas en notre faveur. Certains clubs européens préfèrent se limiter au recrutement de joueurs européens ou brésiliens et ont peur de recruter des joueurs asiatiques.

Et pourquoi toi, tu as réussi ?

J’ai toujours eu de grandes ambitions et je me suis donné les moyens de réaliser mon rêve qui était de jouer en Europe. Le fait de quitter la Palestine ne me dérangeait pas non plus, alors que beaucoup de joueurs palestiniens attachent une grande importance à y rester.

Nicolas Onissé (agent d’Oday Dabbagh) : Je tiens à préciser que ça a été un travail très difficile de lui trouver une place en Europe. Oday réalisait d’excellentes performances au Koweït, alors je l’ai proposé à près d’une centaine de clubs européens. J’ai souvent eu des réactions du genre : « Ah oui, mais c’est un joueur palestinien qui joue au Koweït, donc ça ne nous intéresse pas. » Même si tout n’est pas parfait à Arouca, on leur doit beaucoup de respect parce qu’ils n’ont pas eu peur de croire en un joueur palestinien.

J’ai mis deux mois à obtenir mon visa, et ça m’a fait rater le premier mois de compétition en championnat.

Oday Dabbagh

Tu as eu du mal à faire les démarches administratives pour venir au Portugal ?

C’était l’enfer ! J’ai mis presque trois mois à obtenir mon visa d’entrée dans l’espace Schengen. Étant originaire de Jérusalem-Est, je suis sous la juridiction israélienne, mais je peux faire les démarches au consulat du Portugal à Ramallah (en pratique, capitale administrative de l’Autorité palestinienne). Ensuite, mes papiers ont dû être envoyés à Tel-Aviv pour y être vérifiés. Là, ça prend beaucoup de temps. Ils se renseignent sur tout mon passé, ils vérifient que je n’ai pas fait de conneries étant plus jeune. Ça a pris deux mois au total. Après ça, le consulat du Portugal m’a dit que le tampon pour mon passeport était cassé, donc j’ai dû attendre un mois de plus. L’été dernier, j’ai eu le même problème parce qu’Arouca n’avait pas réussi à m’obtenir une carte de résident. Cette fois, j’ai mis deux mois à obtenir mon visa et ça m’a fait rater le premier mois de compétition en championnat.

Par ton nouveau statut, tu jouis d’une image prestigieuse auprès des fans palestiniens de football. Qu’est-ce que tu souhaites en faire ?

C’est un honneur immense, mais ça me donne une grande responsabilité. Je dois faire le maximum pour leur rendre. Mon objectif, est surtout d’inspirer d’autres joueurs palestiniens et d’aider à leur ouvrir les portes du football européen. Je pense que c’est possible, car c’est ce qui est arrivé au Koweït. J’y ai marqué beaucoup de buts avec Qadsia, puis avec Al-Arabi avec qui j’ai gagné le championnat national en 2021. D’autres joueurs palestiniens y avaient été recrutés ensuite.

Utilises-tu ton image actuelle pour transmettre un message au peuple palestinien ?

Je reste focalisé sur le football et je ne veux pas trop m’immiscer sur des questions politiques. En Palestine, le football est le sport le plus populaire. On en voit dans la rue, dans les écoles, à la télévision. Pour moi, c’est avant tout un jeu, sauf sur certains matchs bien sûr. Tout n’est pas forcément politique, même en Palestine.

Tu as grandi à Jérusalem-Est. Comment c’était d’être un joueur de football là-bas ?

C’est un peu compliqué. Il y a quelques clubs à Jérusalem-Est comme Al-Quds, celui où j’ai commencé. Même si la ville est administrée par Israël, on joue dans le championnat palestinien. Pour les clubs est-hiérosolymitains, ça ne pose pas trop de problèmes d’aller jouer en Cisjordanie par exemple. Quand on habite à Jérusalem-Est, on a une sorte de passeport délivré par les autorités israéliennes qui nous permet de nous déplacer avec une certaine liberté sur le territoire. Mais pour les autres clubs évoluant en West Bank (dénomination du championnat palestinien), c’est plus compliqué de venir jouer à Jérusalem. Ils doivent obligatoirement présenter certains papiers aux autorités israéliennes, il y a beaucoup de points de contrôle à passer. Parfois, des matchs sont reportés ou annulés.

En 2020, le sélectionneur palestinien Noureddine Ould Ali critiquait les méthodes des autorités israéliennes envers les joueurs palestiniens aux frontières. Il décrivait cela comme un handicap pour la sélection…

Oui, c’est assez handicapant. Chaque fois qu’on voyage, on doit d’abord se rendre en Jordanie. Depuis la Jordanie, on peut aller n’importe où. Le problème, c’est donc pour s’y rendre. On doit passer beaucoup de points de contrôle où l’on passe beaucoup de temps. Parfois, certains de nos joueurs sont interdits de quitter le territoire au dernier moment, donc ça peut être perturbant pour l’équipe. Je n’ai pas ce problème grâce au « passeport » que j’ai en tant qu’habitant de Jérusalem, mais certains de mes coéquipiers comme Mohammed Direya n’ont pas pu participer au dernier rassemblement à cause de cela.

Je suis palestinien, j’aime la Palestine, et c’est elle que je veux représenter.

Oday

Quand on vient de Jérusalem, on est donc mieux vu ?

Oui, bien sûr ! Une fois, en rejoignant la sélection pour m’entraîner, j’ai dû passer des points de contrôle et je portais un survêtement de la sélection palestinienne. On m’a demandé pourquoi je ne jouais pas pour Israël alors que j’étais de Jérusalem. Je leur ai expliqué que j’étais palestinien, que j’aimais la Palestine, et que c’est elle que je voulais représenter.

La saison prochaine, tu joueras au Royal Charleroi en Belgique. N’est-ce que le début de ton aventure européenne ?

Mon objectif là encore est de réaliser d’excellentes performances et d’aller toujours plus haut. Comme me dit mon agent, « sky is the limit ». Tout ce que je veux, c’est jouer dans les plus grands clubs européens. Ces derniers mois, j’ai été approché par plusieurs grands clubs égyptiens ou qatariens qui me faisaient d’énormes propositions financières. Mais moi, je veux jouer en Europe. Je veux jouer avec les meilleurs. Il est là, mon rêve. Et s’il peut inspirer les futures générations de footballeurs palestiniens, alors j’aurai tout gagné.

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Propos recueillis par Amaury Gonçalves

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