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Obilalé : « La CAN, je m’en bats les steaks »
Le 8 janvier 2010, en marge de la CAN organisée en Angola, le Front de libération de l'enclave du Cabinda (Flec) - l’une des 18 provinces du pays - fait feu sur le bus de la sélection togolaise. Bilan : deux morts, retraite internationale pour Adebayor et deux balles d’AK47 pour son gardien de but, Kodjovi Obilalé, au foie et dans le bas du dos. Très heurté par cet attentat, ce Morbihannais d’adoption n’a rien perdu de son sens de l’humour. Ni de son dégout pour la langue de bois. Rencontre.
Aujourd’hui, c’est jour de finale. Pour clore cette Can 2012, la Côte d’Ivoire fait figure de favorite pour cette face à cette surprenante équipe de Zambie. Tu sens le beau match ou la rencontre fermée ?
Je ne vais pas vous mentir, je m’en bats les steaks ! Je n’ai regardé aucun match depuis le début de la compétition. La CAN, pour moi, ce n’est que des mauvais souvenirs. Je suis encore très ému. Pis, ça me dégoute ! Car aucun hommage n’a été célébré pour les victimes de la sélection togolaise d’il y a deux ans. Les joueurs touchés par l’attentat, l’attaché de presse, l’entraîneur… Personne. Ah si, oui, une petite minute de silence pour l’ancien chef d’état du Gabon, Omar Bongo (décédé le 8 juin 2009 à 73 ans à Barcelone en Espagne, ndlr). Mais pour nous, rien du tout. Il y eu des morts putain. De toute manière, c’est un monde de mafieux qui n’attend qu’une seule chose : que les sponsors paient. Le reste, hein, bien ils s’en foutent ! Soyons clairs, je ne dis pas cela pour moi, je suis en vie ! Je parle des victimes. C’est une simple question de respect.
Rien à dire sur le sujet donc ?
Franchement, dès que l’on me parle de la CAN, je m’esquive. Tu auras toujours des cons pour m’accoster dans la rue et me sortir : « arrête Kodjovi, t’es jaloux ! » . J’en ai rien à foutre. Alors, si, bien sûr, j’ai entendu parler de la Zambie et de deux trois trucs. Je reste tout de même à l’écoute.
Parlons un peu de toi alors. Mise à part ton agression, le grand public te connaît peu en fin de compte…
J’ai commencé à jouer dans des petits quartiers togolais vers l’âge de 6 ou 7 ans. Au départ, je n’étais pas gardien. Et très vite, c’est devenu une passion. Plus qu’une passion ! J’ai donc annoncé à ma mère que je voulais jouer au football mais elle n’était pas d’accord. C’est simple, j’ai pris la porte. À cette époque, je jouais à l’Etoile Filante de Lomé, au Togo, où je gagnais un truc du genre 110 euros par mois. C’est plus que le Smic togolais. Puis, je suis venu en France : Niort, Lorient, Quéven. Entre temps, il y a eu la Coupe du Monde 2006 à laquelle j’ai participée. Et puis Pontivy, mon dernier club avant l’attentat.
Tu as toujours joué au niveau amateur ?
Oui. Quand je jouais à Pontivy, je ne touchais que les primes de match et le remboursement des frais de déplacement. Avec donc l’obligation de travailler. À côté du foot, j’étais vendeur de voitures. Juste pour arrondir les fins de mois.
Quéven, Pontivy, aujourd’hui tu vis à Lorient. Tu voues un véritable culte à la Bretagne…
Je vis très bien à Lorient, mais bon, c’est dans la tête que ça se passe !
Et que s’y passe-t-il ?
Couci-couça ! En dent de scie ! Parfois c’est la déprime, parfois non…
C’est à dire ?
C’est la merde mon frère ! Je ne sais pas quoi faire de mes journées. Je me lève, je mange, kiné de temps en temps, un peu de natation. Et dodo. Mais en public, je ne montre rien. Heureusement que j’ai ma famille et mes amis pour m’accompagner au quotidien.
On ne va pas revenir sur les circonstances de la tragédie…
Non.
Mais penses-tu un jour remettre les pieds dans la province de Cabinda (Angola), sur le lieu du crime ?
Excusez-moi mais je vais faire un peu de politique : l’Angola n’a pas besoin de s’entretuer. Ils ont de l’or, de grandes richesses, ils ont tout. Et pendant ce temps-là, la Flec (Front de libération de l’enclave de Cabinda, ndlr), qui réclame depuis 30 ans l’indépendance de leur province, brise des rêves, préfère tirer sur des innocents et piller une population qui crève la dalle.
Mais peux-tu nous dire concrètement de quoi tu souffres, nous parler de ton handicap ?
J’ai pris deux balles dans le dos qui ont touché un ensemble de nerfs que constitue « la queue de cheval ». C’est une compression de la moelle épinière qui a provoqué une paraplégie incomplète de ma jambe droite… Là, les lecteurs se disent que le mec dit n’importe quoi, qu’il sort juste d’un hôpital psychiatrique bourré de morphine. En clair, j’ai la jambe droite quasiment paralysée. La gauche va très bien. Celle du milieu aussi!.
La « grande famille du foot » , c’est donc…
(Il coupe) La quoi ? Il faut arrêter avec ce slogan à la con. C’est pour faire genre. Tu as vu les « trappistes » l’autre jour sur Canal Plus ? T’as entendu Nicolas Anelka ? Il disait quoi ? Que le monde du foot était « sans pitié » . Il a dit aussi qu’il n’y a pas « d’amis » dans ce milieu. C’est exact. Moi je connais des maçons, des chefs d’entreprises, des maisons d’autonomie qui m’ont soutenu comme jamais un mec dans le football ne le fera !
Tu sembles dégouté par cette galaxie. Tu ne regardes pas les matchs, les scores et les aléas du monde professionnel ?
Vite fait. Je ne suis pas à fond dedans. Et à choisir, je préfère regarder du catch ou de la boxe à la télévision. C’est dur de regarder du foot quand tu ne peux pas le pratiquer.
Quel style de joueur étais-tu ?
Un technicien hors pair ! Tu peux te renseigner ! Bon aujourd’hui, il me faudrait un mur sur lequel m’appuyer si je veux reprendre ma carrière. En fait, j’étais joueur de champ refoulé. C’est un gars dans mon quartier, vers mes 10-11 ans, m’a expliqué un jour que ça ne servait à rien de jouer sur place, de dribbler si lentement. Alors il m’a proposé de passer aux cages. Pourquoi pas ? Tant que je joue au foot.
Tu répètes sans cesse t’être senti abandonné par la Fifa, la Confédération Africaine de Football (Caf) et la fédération togolaise. Ces instances dirigeantes qui ne t’ont que très peu soutenu, financièrement et psychologiquement, après le drame de la CAN 2010. C’est toujours le cas ?
Non, non, attendez. J’arrête avec la Fifa et compagnie. Je n’ai pas cessé d’en parler dans la presse. Et certains vont finir par penser que je me plains tout le temps. Avec la crise économique, les gens ont la dalle, c’est dur. Un minimum de retenue. Je réclame juste mes droits à cause d’abrutis qui m’ont tiré dessus. Avant de partir dans mon cocotier…
Aujourd’hui, tes droits sont ceux d’un travailleur handicapé…
Oui, j’ai obtenu cette reconnaissance. Je suis handicapé à 80 %. C’est mon taux d’invalidité !
Tu survis donc avec une indemnité compensatoire. À combien s’élève-t-elle ?
17 000 euros par mois !
Combien ?
Non je plaisante: 700 euros. Ca fait du bien de rire, non ?
Tu es aussi encadré par l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), qui t’aide à entamer une reconversion professionnelle. Ce sont eux qui sont venus te voir ?
Il y un an, je suis allé voir jouer mon pote Jonathan Ayité à Brest. En marge de la rencontre, il m’a fait rencontrer les mecs du syndicat et tout s’est très bien passé. Ils n’étaient pas obligés de m’aider, je n’étais pas syndiqué, ni même professionnel. Depuis, l’Unfp m’accompagne dans mes démarches administratives et me soutient dans différentes taches du quotidien. J’ai fait un premier bilan de compétences pour entamer une formation. Maintenant, j’attends.
Et t’as une idée de ce que tu aimerais faire ?
En toute sincérité, je veux juste occuper mes journées : trier du papier, m’asseoir derrière un bureau, je m’en fous. Mais je prends mon temps. Le temps de la réflexion. La bataille n’est pas terminée…
Aujourd’hui, quels sont tes projets ?
J’essaie de monter une association, « Joie de vivre » , en faveur des sportifs dont la carrière a été brisée trop tôt. Un mec comme moi par exemple ! Pour ce faire, nous souhaitons les accompagner dans leurs démarches administratives, leur trouver une formation, organiser des matchs de gala, faire un appel aux dons, etc. Bref, aider mes « amis handicapés » , si je puis me permettre…
Propos recueillis par Victor Le Grand