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Nouzaret : « Humainement, Aulas, ce n’est pas ma tasse de thé »
À bientôt 78 ans, Robert Nouzaret a décidé de prendre sa retraite, après une dernière mission en tant que recruteur du centre de formation de Montpellier. Le temps pour lui de se retourner sur une longue carrière de joueur (Lyon, Bordeaux, Montpellier, Gueugnon) puis d’entraîneur (Lyon, Saint-Étienne, Montpellier, Bastia, Caen, Afrique...), et de sélectionner les bons et les mauvais souvenirs.
Vous avez joué au niveau professionnel pendant plus de dix ans. Quel est votre meilleur souvenir ?D’être devenu pro ! (Rires.) Je ne m’étais pas préparé à ça, et c’est venu finalement très vite. Je n’avais pas eu le temps de penser à faire un autre métier. J’étais un joueur moyen, un porteur d’eau comme on dit. À l’époque où je jouais, le marquage individuel était à la mode, et j’en ai profité pour mettre en avant mes qualités. Plus sérieusement, mon meilleur souvenir, c’est la finale de Coupe de France remportée avec Lyon contre Sochaux (3-1), en 1967 au Parc des Princes. J’étais titulaire. On venait de faire un beau parcours, et pour moi, entrer à l’école de foot de l’OL avant de devenir professionnel, c’était quelque chose de fabuleux. J’avais fait mon match, comme d’habitude. Ce match, on s’en souvient surtout parce que le ballon avait atterri dans les mains du général de Gaulle. Et moi, à seulement vingt-trois ans, j’avais serré la louche du général ! D’ailleurs, le soir, en rentrant à l’hôtel, je tombe sur France-Soir, qui avait une édition nocturne. Et en première page, on me voit serrer la main de De Gaulle.
Et votre plus mauvais souvenir ?Mon passage à Bordeaux, en 1969-1970. À l’époque, il n’y avait pas d’agents. J’avais écrit à plusieurs clubs, et Bordeaux me fait signer. J’étais arrivé blessé, j’ai peu joué. Bordeaux était un club d’un standing supérieur à l’OL à cette période. Mais c’était un mauvais choix. J’étais tombé sur un entraîneur, Jean-Pierre Bakrim, avec qui ça ne collait pas. Le mec passait une partie de son temps à nous faire courir autour du rond central. On ne bossait pas tactiquement. Souvent, il arrivait en retard sur le terrain, et nous, on faisait des jeux avec le ballon. Alors, il nous laissait faire. Franchement, c’était un rigolo.
Quel est le coéquipier qui vous a le plus impressionné ?Fleury Di Nallo, à Lyon. Un super joueur. Un très bon attaquant, qui avait tout : le sens du but, la technique, le physique, le sens tactique. Un très bon mec, avec beaucoup de personnalité, de caractère. Il avait plus un profil à la Messi qu’à la Gerd Müller. On s’est retrouvés ensuite à Montpellier, et depuis, le contact n’a jamais été rompu.
Y a-t-il un endroit où vous n’auriez jamais pensé jouer et que vous avez apprécié ?Oui, Gueugnon (1972-1974). Je suis né à Marseille, j’ai grandi et joué à Lyon, puis à Bordeaux et à Montpellier. Alors, quand tu débarques à Gueugnon, 7000 habitants, avec ta femme, ça fait drôle. Il n’y a pas grand-chose à faire, à part bosser. Et pourtant, j’en garde un super souvenir. On jouait en D2, mais le club était bien organisé. On bossait le matin et on s’entraînait l’après-midi. Moi, j’entraînais des équipes du club. Je m’étais toujours intéressé à la fonction de coach, mais c’est vraiment à Gueugnon que j’ai vraiment compris que c’est ce que je voulais faire. Je me rappelle que le club avait fait construire une maison pour moi, sur un terrain alors complètement vide. Quand je suis repassé des années plus tard, il y avait dix ou quinze baraques !
Vous êtes devenu ensuite entraîneur. On imagine que le président qui vous a le plus marqué, c’est Louis Nicollin…Évidemment. Quand j’étais à Lyon, on avait eu l’occasion de se rencontrer grâce à une connaissance commune. Moi, j’étais scolarisé au Cours Pascal, lui à la Martinière. Et des années plus tard, alors que j’entraînais Montpellier et qu’il avait son équipe corpo, j’entends un mec qui me dit : « Oh Nounou, qu’est-ce que tu fais là ? » Et seul quelqu’un m’ayant connu bien plus tôt à Lyon pouvait connaître ce surnom. On ne va pas refaire l’histoire de ma relation avec Loulou. C’était un ami, un vrai. On fonctionnait un peu comme un couple. Je suis parti quatre fois de Montpellier, il m’a viré une fois. Il y a eu des engueulades. Parfois, on ne se parlait plus pendant des mois. Mais il existait une vraie confiance entre nous, une grande estime. C’était le ciment de notre relation. Il y a des gens qui ont tenté de nous opposer, sans doute parce qu’ils étaient jaloux. On a vécu de grands moments ensemble. Louis, c’était un passionné, qui voulait aller vite. Quand il est devenu président de La Paillade, il a mis du fric pour faire venir des joueurs. Mais avec son pognon, il ne faisait pas n’importe quoi. Et quand j’avais pris la décision d’arrêter d’entraîner, après mon expérience en RD Congo, et un passage à Arles-Avignon comme président délégué, Loulou m’a demandé de revenir à Montpellier pour travailler au recrutement du centre de formation.
À l’inverse, vous n’êtes pas un grand fan de Jean-Michel Aulas…Quand il est arrivé, pour succéder à Charles Mighirian, j’étais à l’OL. Il m’a demandé pas mal de choses, car il n’y connaissait que dalle en foot. Ensuite, il a fait venir ses gens à lui, comme Bernard Lacombe et Raymond Domenech. Humainement, Aulas, ce n’est pas ma tasse de thé. En revanche, il a fait de Lyon un très grand club, reconnu en Europe. De ce côté-là, chapeau.
Quels sont les joueurs qui vous ont marqué ?J’ai adoré Pascal Feindouno. Un artiste, un talent incroyable. Un mec sympa, souriant, toujours de bonne humeur. Il était capable de gagner un match à lui tout seul, quand il était dans un bon jour. Avec un ballon, il était heureux. Mais il n’avait pas l’hygiène de vie qui doit être celle d’un pro. Il aimait trop faire la fête. Il aurait pu faire une carrière encore meilleure. J’ai entraîné aussi l’Argentin Hugo Curioni. Un super attaquant, très doué. Une forte tête, aussi. Didier Drogba, également. Lui, il avait la tête et les jambes. Quant à celui qui m’a sans doute le plus gonflé, c’est le Brésilien Alex, à Saint-Étienne.
Pourquoi ?Parce qu’il s’est foutu de nous pendant des mois. Quand il est arrivé avec Aloísio, il était à la traîne, il ne faisait pas grand-chose à l’entraînement et en match. On voyait qu’au Brésil, où il était bien coté, c’était un peu une star. Et en France, il devait supporter des contraintes dont il n’avait pas l’habitude. Un jour, je décide de le faire entrer en cours de match contre Nancy, alors que nous étions menés. Et il réalise une performance magnifique, il marque et nous fait gagner la rencontre. À la fin, je suis allé le voir et je lui ai dit : « T’es vraiment un con, ça fait des mois que tu te fous de nous en trichant, alors que tu as un énorme talent. »
Y a-t-il un endroit où vous n’auriez jamais dû aller ?Oui. En RD Congo (2010-2011). J’avais entraîné en Afrique auparavant. En Côte d’Ivoire, deux fois (1996-1998 et 2002-2004), au MC Alger (2005) et en Guinée (2006-2009). Et j’avais à chaque fois beaucoup aimé ces expériences, même si, en Guinée, Titi Camara, qui avait je ne sais plus quel rôle, était venu me casser les bonbons dans mon bureau. Il voulait m’imposer des choses, et je l’avais viré. Non, en RDC, c’était n’importe quoi. C’est aussi de ma faute. La fédération m’avait contacté plusieurs mois avant ma signature. Les choses avaient traîné, et je croyais que ça n’allait pas se faire. Je m’étais donc désintéressé de l’équipe, et on m’appelle presque au dernier moment. Je ne connaissais pas bien les joueurs, et le premier match, à Lubumbashi, on le perd (2-4) contre le Sénégal. Je me souviens qu’après le match, il y avait 50 000 mecs dans le vestiaire qui n’avaient rien à foutre là. Je me suis demandé où j’avais mis les pieds. En plus, le courant ne passait pas avec Constant Omari, le président de la fédération. Il voulait influencer mes choix, ce que je n’ai pas accepté. Bref, j’ai fait une connerie en signant là-bas.
Si vous deviez retenir une anecdote particulière vécue lors de votre carrière ?Allez, je vais en donner deux. Quand Alain Bompard, alors président de Saint-Étienne, veut me faire signer, Gérard Soler, le directeur sportif, lui a dit à peu près ceci : « Nouzaret est né à Marseille, il a joué et entraîné à Lyon. Ça ne marchera jamais avec nos supporters ! » Et pourtant, avec le public stéphanois, j’ai eu une relation extraordinaire. La seconde ? C’était en 1980, en Coupe de France (8es de finale). On avait perdu le match aller à Lens (4-5) un mardi. On devait jouer le retour le mardi suivant, mais juste avant, le samedi, il y avait une rencontre de D2 chez nous, contre Montluçon. Et les dirigeants lensois, qui étaient à Nîmes pour un match de D1, devaient venir nous observer. Mais moi, je ne voulais pas jouer contre Montluçon. Alors, le jour du match, il pleut un peu à Montpellier. Et je suis seul au stade ; j’ai ouvert tout le système d’arrosage, de façon que la pelouse soit impraticable. On n’a pas joué le samedi, et le mardi, on battait Lens 2-0 ! On avait atteint les demi-finales contre Monaco, le futur vainqueur…
Propos recueillis par Alexis Billebault