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Nouveau maillot, éternels sanglots
C’est un marronnier de fin de saison. Avant de partir en vacances, les clubs de Ligue 1 sortent la collection de maillots pour la saison suivante, suivi d’un inlassable défilé de critiques de la part des supporters ou de moqueries sur les réseaux sociaux. Mais pourquoi tous les supporters veulent-ils se faire le maillot ?
Il suffit de dérouler son fil d’actualité pour s’en rendre compte : les compétitions de productions audiovisuelles ne se restreignent pas à la Croisette de Cannes dans les derniers jours de mai. D’autres réalisateurs projettent les uns après les autres leur court-métrage sur une toile numérique, avec des scénarios et des intentions bien souvent semblables : mettre en image les valeurs du club et ses ambitions sportives à travers les symboles d’une ville, les lieux emblématiques (que ça soit les monuments ou un environnement plus urbain), les idoles locales, les codes couleurs, avec un fond musical inspirant la bravoure ou la désinvolture. Des objets filmiques chiadés, commandés par le club, pour offrir un écrin valorisant au nouveau maillot. Et c’est là que la comparaison avec le tapis rouge est la plus pertinente, car chaque tenue qui y est portée est accompagnée d’un défilé de remarques, la plupart du temps négatives. Ce qui laisse perplexe face à un terrible constat : le supporter est encore plus pisse-froid qu’un critique ciné quand il s’agit de donner son avis sur le nouveau kit de son équipe.
@staderennais x @pumafootball dévoilent le nouveau maillot domicile de la saison 2019-2020 ⚫?#LechodeRennes #Newlevels #foreverfaster #ToutDonner pic.twitter.com/pTKKeKq6I0
— Stade rennais F.C. (@staderennais) 24 mai 2019
Maillot prose
Il suffit de jeter un œil aux commentaires pour avoir une idée des principaux reproches faits aux équipementiers. « Recycler un template Adidas pour nos maillots, ce n’est pas l’antithèse du #DareToCreate ? » , entend-on du côté de Lyon à propos de liquettes jugées beaucoup trop sobres. À Marseille, les fines rayures laissent certains tirer un parallèle avec un « maillot de baseball » ou un « drap d’hôpital » . Si les Rennais sont heureux de voir M’Baye Niang présenter le maillot 2019-2020, prenant ça comme une promesse de le revoir en Rouge et Noir la saison prochaine, le choix « graphiquement disharmonieux » du bicolore rappelle le mauvais souvenir d’éditions précédentes (2014-2015 dans ce cas) et pousse les fans à remettre en cause le travail fourni par les designers : « Putain il y a des mecs chez Puma, ils ont été payés pendant un an pour nous sortir ça ! Ils ont fait quoi d’autre pendant cette année ? Écrire la fin de #GameOfThrones ? » Les plus virulents sont peut-être les Nantais, déjà échaudés par le nouveau logo, qui interpellent New Balance : « Y a eu un problème d’impression sur vos bandes vertes. Faut remplacer les cartouches. »
Un agacement légitime quand on est un supporter, qu’on compte bien acheter ce modèle de maillot pour être en harmonie avec ses joueurs, et qu’il faudra débourser autour de cent euros pour porter fièrement ses couleurs. Surtout que sur ce dossier, les plus fidèles peuvent demander à être consultés dans le processus créatif de ce qui est censé être le lien entre toutes les personnes gravitant autour d’un club. Cela éviterait des énormités qui vont à l’encontre de symboles forts dans l’identité d’un club, et on a le droit de tiquer quand la Juve brade ses légendaires rayures pour un maillot où le noir et le blanc ne sont séparés que par une ligne rose.
Pourtant, ces grognements montrent aussi que quoi qu’il se passe, la nouveauté sera toujours mal accueillie. Un nouveau maillot sera toujours « trop ci » et « pas assez ça » , sans parler du cas épineux du kit extérieur, qu’il soit fluo ou non. Ainsi, le futur maillot du PSG présentant, d’après les fuites, une bande rouge bordée de deux blanches, il semble mécontenter ceux qui réclamaient un retour au style Hechter. Il semblerait que la définition du supporter comprenne aussi que celui-ci soit un fervent opposant à la nouveauté. Un conservateur qui œuvre pour que la tradition soit respectée, sans discernement. On entendra toujours que « le maillot de la saison dernière était vachement plus beau que celui de la prochaine » , que « le blason d’avant était bien plus en accord avec l’identité du club » et qu’au fond, « on l’aimait bien notre ancien stade délabré » .
Laisser reposer pour que le maillot prenne
À la surenchère de textile dans le football est opposée une surenchère de commentaires. Cela dit, une fois assimilée la logique mercantile de voir les clubs proposer un maillot différent chaque année, pourquoi perdre autant d’énergie à s’ériger contre la nouveauté ? Car justement, il n’y a pas plus humain que de penser que « c’était mieux avant » . Les exploits d’antan, les déceptions de l’époque, les souvenirs heureux ou non, se sont construits avec tout un lot de références, et donc ces maillots qui font office de madeleine de Proust. Et quand une marque veut forcer les consommateurs à croire que leur nouveau produit est révolutionnaire, il s’agit uniquement d’une règle inhérente au commerce.
Et cela finira par marcher, puisque ces bouts de tissu finiront irrémédiablement par se vendre. Pourquoi ? Parce que les matchs se succéderont, que les joueurs porteront ce maillot aux quatre coins du pays, voire du continent, le mettront en mouvement, le mouilleront, le déchireront, lui feront honte, l’échangeront, lui accoleront toutes sortes d’histoires que chacun voudra se remémorer ou non. Ce qui implique qu’on ne peut pas apprécier un maillot lors de sa présentation. Non, il faut le laisser vivre, que les victoires, les frissons, les espoirs, la sueur, le sang et les larmes s’imprègnent dans chacune de ses fibres. Et dans environ douze mois, quand il sera en bonne position dans le dressing, il sera toujours associé à une tranche de vie qui vient de s’écouler. Et il sera alors temps de maudire le maillot suivant.
Par Mathieu Rollinger