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Noureddine Ould Ali : « Traverser le désert avec ses joueurs, ça renforce les liens »

Propos recueillis par Alexis Billebault

Ancien sélectionneur de la Palestine, le Franco-Algérien Noureddine Ould Ali est depuis le mois de février dernier à la tête des Aigles de Saba du Yémen, un pays en proie à une guerre civile depuis dix ans. Il a même passé plusieurs semaines sur place, ce que plusieurs de ses prédécesseurs n’avaient pas souhaité faire.

Noureddine Ould Ali : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Traverser le désert avec ses joueurs, ça renforce les liens »

Quelles sont les ambitions du Yémen, dans ces qualifications pour la Coupe du monde 2026, mais aussi de la Coupe d’Asie 2027, avant le match au Bahreïn et contre le Népal, les 6 et 11 juin ?

Elles sont raisonnables. Dans notre groupe, les Émirats arabes unis sont qualifiés pour le troisième tour, le Bahreïn compte 9 points, le Yémen 3 et le Népal un seul. Notre différence de buts est négative (-3), il faudrait donc bénéficier d’un concours de circonstances très favorable pour nous qualifier pour le troisième tour des qualifications pour la Coupe du monde, lors de ces deux dernières journées. On va jouer nos chances à fond, mais si on veut être réaliste, on vise d’abord la qualification pour la Coupe d’Asie des nations 2027.

Le Yémen vit une guerre civile depuis dix ans. Avez-vous beaucoup hésité avant de signer votre contrat ?

Sincèrement, non. J’avais des contacts depuis des années avec les membres de la fédération. J’ai travaillé plusieurs années en Palestine, en tant que sélectionneur adjoint (2010-2011, 2014-2018) puis en tant que numéro 1 (2018-2021), et nous avions eu l’occasion de nous rencontrer et d’échanger. Je connais la région, je sais ce qui se passe au Yémen, je connais les joueurs et mon compatriote Adel Amrouche a également dirigé l’équipe yéménite quelques mois en 2022, et il m’avait donné quelques informations. Je venais de quitter l’Olympic de Charleroi en Belgique, après avoir été le sélectionneur de la sélection algérienne des moins de 23 ans, on m’a proposé de devenir le sélectionneur, et le challenge m’a intéressé. J’ai signé jusqu’à la fin de l’année, on fera le point après.

Depuis le début de la guerre, et contrairement à la plupart de vos prédécesseurs, vous avez fait le choix de vous rendre régulièrement au Yémen, qui reste un pays fortement déconseillé aux étrangers…

Je m’y suis effectivement rendu une première fois trois semaines en février et mars, pour assister à des matchs du championnat et organiser un stage avec les internationaux qui y évoluent. Il y a un championnat national qui existe, malgré la guerre. Il n’y a pas beaucoup de matchs, mais cela permet aux joueurs d’avoir un certain rythme et aux Yéménites d’aller au stade, assister à des rencontres pour penser un peu à autre chose qu’aux difficultés du quotidien. Et j’y suis retourné au mois de mai, une quinzaine de jours pour parler avec les dirigeants de la fédération, qui font tout ce qu’ils peuvent avec assez peu de moyens. Passer du temps au Yémen était une évidence. Si vous voulez savoir si je me suis senti en danger, je vous réponds franchement non. J’ai passé du temps à Sanaa, la capitale, à Aden et à Sayoun. La guerre, je ne l’ai pas ressentie via des bombardements, un couvre-feu ou quelque chose qui rappelle la situation. Les gens essaient de vivre presque normalement, sortent dans les rues, il y a beaucoup d’activité.

Quand je parle avec les locaux, ce n’est pas que de foot. Ils ont pour plusieurs d’entre eux perdu des proches dans cette guerre, ils ont vécu des choses difficiles.

Noureddine Ould Ali

À quoi ressemble le quotidien des Yéménites ?

Je n’ai pas pu me rendre dans beaucoup de villes. Là où j’étais, la situation est plutôt calme. Il y a pas mal de militaires, de forces de l’ordre. Beaucoup de Yéménites vivent sous le seuil de pauvreté, il y a des millions de gens qui ne mangent pas à leur faim. Quand vous êtes à Sanaa, cela ne se voit pas forcément, il y a des endroits où la vie est beaucoup plus difficile. Il y a également de fréquentes coupures d’électricité. Le Yémen vit une situation dramatique depuis dix ans, et même si elle semble s’améliorer très, très lentement, le chemin vers la paix sera long.

Les joueurs locaux parviennent-ils, en raison de la situation dans leur pays, à être pleinement concentrés sur le football ?

C’est une bonne question, et j’ai envie de l’étendre à ceux qui jouent à l’étranger, à Oman, à Bahreïn ou en Irak. Ils ont encore de la famille, des proches au Yémen. Quand je parle avec les locaux, ce n’est pas que de foot. Ils ont pour plusieurs d’entre eux perdu des proches dans cette guerre, ils ont vécu des choses difficiles. Dans leur pays, ils gagnent 400 ou 500 euros par mois dans le meilleur des cas, certains sont obligés d’avoir un travail à côté pour s’en sortir avec leur famille. Ils ont envie de partir dans un autre pays du golfe Persique, et donc de se montrer lors des matchs internationaux. Dans certains pays, comme l’Irak, ils ne sont pas considérés comme étrangers, c’est là qu’ils souhaitent poursuivre leur carrière. Ce sont de bons joueurs, avec les caractéristiques techniques des footballeurs arabes, mais avec aussi des progrès tactiques et athlétiques à faire, ce qui n’est vraiment pas simple quand on sait qu’ils ne jouent pas énormément de matchs en raison de la situation du pays.

Pour sortir du Yémen, et rejoindre Dammam en Arabie saoudite, où vous avez effectué la préparation et où vous affronterez le Népal, vous avez vécu une expérience assez singulière…

Oui. Nous avons quitté Sanaa avec treize heures de bus pour rejoindre Dammam. C’est une expérience que de passer du temps avec les joueurs, à faire des pauses pour faire un peu d’exercice, car le voyage est long. On traverse le désert, c’est un environnement assez extraordinaire. Cela renforce les liens, on sait que nous ne voyageons pas comme la plupart des sélections nationales. Le Yémen est obligé de jouer loin de Sanaa ou d’Aden, on ne sait pas quand il pourra de nouveau accueillir des matchs internationaux. Ce n’est pas facile, mais les joueurs sont habitués. Et en Arabie saoudite, il y a une communauté yéménite. Certains de ses membres viennent nous soutenir. C’est important pour nous.

Pendant plusieurs années, vous avez travaillé en Palestine. Avez-vous toujours des contacts avec des joueurs et des membres de la fédération, surtout en cette période de conflit entre Israël et le Hamas à Gaza ?

Bien sûr. La Palestine est obligée de jouer ses matchs à domicile à l’étranger depuis le début de la guerre. J’échange régulièrement avec les joueurs, avec le staff. L’actuel sélectionneur, le Tunisien Makram Daboub, a été mon adjoint. J’espère que ce conflit va s’arrêter rapidement. Les joueurs, les membres du staff technique sont focus sur la situation à Gaza, certains en sont même originaires. Quand on se parle, j’essaie de ne pas seulement évoquer le conflit, mais on y revient vite, ils n’arrivent pas vraiment à penser à autre chose et c’est normal. Ils ont de la famille, des amis là-bas, des gens qui vivent au quotidien les bombardements, la pénurie alimentaire… Quant aux Cisjordaniens, ils sont évidemment marqués par ce qui se passe à Gaza. Et il y a des tensions avec les colons israéliens et l’armée israélienne. Ce n’est pas facile de penser football dans de tels moments… Mais les joueurs parviennent quand même à avoir des résultats, la Palestine est bien placée pour se qualifier pour le dernier tour. Ce n’est peut-être pas grand-chose en ce moment, mais cela prouve que mentalement, ils sont très forts…

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