- Foot & Société
« Notre amitié s’est soudée autour du foot »
Si certains aiment regarder les matchs au calme pour analyser au mieux le jeu, la plupart des amoureux de ce sport préfèrent la convivialité et la passion d’un groupe d’amis. Au bar, dans son canapé ou au stade, le foot se vit entre potes pour voir qui criera le plus fort.
Supporter marseillais expatrié à Paris, Azwaw garde la même routine à chaque match de l’OM depuis plusieurs années et ne s’en lasse absolument pas. Il envoie d’abord un message sur son groupe WhatsApp fétiche, et si la photo de profil à l’effigie de l’acteur fan du PSG Raphaël Quenard peut prêter à confusion, il s’agit bien d’une discussion de dix Sudistes montés à la capitale pour le travail et avides de trouver un refuge diffusant les rencontres olympiennes. En réalité, le lieu est choisi depuis belle lurette, il ne reste qu’à savoir qui sera de la partie. Au bar L’Artiste, dans le 15e arrondissement de Paris, le patron, devenu un ami de la petite troupe, est aussi supporter de l’OM et accueille ses hôtes une à plusieurs fois par semaine. Azwaw, lui, est toujours placé au même endroit : plein axe de l’établissement, face à la télé. « Il ne faut pas faire de contorsion », analyse celui qui avoue ne « plus prendre le risque de voir un match important ailleurs et avec d’autres personnes ».
Sa meute est composée de trentenaires ayant arpenté les terrains de foot amateur et qui préfèrent désormais affronter la pression dans un verre. Les analyses tactiques vont bon train entre quelques discussions annexes des dix inconnus devenus amis grâce à l’OM. En pratique, comme devant la télé, beaucoup de groupes se sont construits à travers le football. Avant l’avènement des réseaux sociaux, le sport avait cet aspect fédérateur sans commune mesure. En parler à la machine à café ou se retrouver dans le vestiaire le dimanche matin pouvait permettre de faire connaissance avec certaines personnes dont les prénoms étaient inconnus jusque-là – même pas besoin de connaître le patronyme d’ailleurs, l’équipe supportée suffit. Pour « les gars du coin » présentés par Nicolas Renahy dans son ouvrage du même nom, les clubs amateurs des milieux ruraux ont permis à toute une génération orpheline des usines locales de sociabiliser plus facilement.
À l’épreuve du confinement et de l’éloignement
Si la suivante a son portable collé à la main pour se faire des amis, elle a surtout connu le Covid. « Le confinement a marqué une rupture dans notre relation. Même si on a parfois fait le mur pendant le couvre-feu, c’était long de regarder les matchs seuls chez soi. On s’est surtout retrouvé grâce à l’Euro et à l’OM de Sampaoli », savoure Azwaw avec son accent chantant. L’arrêt net des compétitions et le huis clos des stades ont fortement affecté le football français, mais ont aussi affaibli certaines relations. Aux États-Unis, où l’on a constaté une forte baisse des interactions amicales au déconfinement avec moins de quatre heures par semaine, le phénomène de « récession de l’amitié » inquiète. De leur côté, Tom, Thomas et Paul ont vu leurs années scolaires chamboulées par la pandémie, mais ces amis d’enfance drômois s’en sont relevés, ensemble, et découvrent maintenant la vie étudiante au fond du canapé de leur coloc de Grenoble. « Notre amitié s’est soudée autour du foot, on joue tous les trois ensemble depuis petits. J’espère quand même que ça ne s’arrête pas là », rigole Tom qui prépare déjà le match à regarder ce soir-là. Aucune soirée ne fait exception, même celle de lundi où la Ligue 2 est à l’honneur, avec, au menu, une pizza commandée ou les crêpes de Paul.
Ne jamais se quitter serait donc la meilleure solution pour garder ses potes ? Claire Bidart, sociologue et autrice de L’Amitié, un lien social indique à franceinfo que « les vrais amis sont ceux qui résistent mieux à l’éloignement ». Après son enfance à Fontenay-le-Comte, commune vendéenne aux 13 000 âmes, Valentin a vu ses obligations professionnelles le mener vers Paris et Lyon, l’obligeant à quitter Thomas, son meilleur ami rencontré grâce à leur passion commune pour l’Olympique lyonnais et Arsenal. « On ne ratait pas un match ensemble, je n’avais pas Canal, donc j’allais tout le temps chez lui », explique celui qui est venu habiter à La Rochelle pour combler ce manque, faisant souvent l’heure de route pour des week-ends rythmés par le foot. Claire Bidart note justement que le fait de « ne plus pouvoir se voir du tout ni pouvoir bavarder de tout et de rien de façon anodine peut créer un manque ». Alors le football sert à échanger continuellement. Même chacun de leur côté, les deux Vendéens avaient toujours le téléphone à portée de main pour réagir dans la foulée. Pas trop vite toutefois : « Quand le match de Ligue 1 était sur Prime Video, j’avais une minute d’avance sur lui, révèle Valentin. J’étais obligé de ronger mon frein et d’attendre une minute avant de lui faire un message pour laisser exploser ma joie ou ma frustration. »
Par Enzo Leanni
Propos recueillis par EL, sauf mention.