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Nos régions ont du talent : la Bretagne
D'ici l'Euro, on fait une revue d'effectif de ce que les régions françaises ont de mieux à offrir question football. Histoire de mieux se familiariser avec le nouveau découpage administratif et ce que cela implique pour le ballon rond. Troisième étape en Bretagne, où tout le monde aime la famille Gourcuff.
« La Bretagne, c’est une terre de football et de vélo. » Au postulat de Patrick Papin, directeur du Pôle Espoirs de Ploufragan, on pourrait ajouter les crêpes, le kouign-amann ou encore la galette-saucisse. Mais si l’on se focalise sur le ballon rond, le formateur a des chiffres précis à avancer : « On le voit rien qu’au nombre de candidats, j’ai des pics à 600 candidats sur certaines promotions, alors que je suis limité à 16 places. » Une densité qui a ses avantages, car « elle nous donne le luxe de sélectionner les joueurs les plus talentueux, mais aussi ceux qui ont un comportement en adéquation avec nos attentes » . Une opulence au vu de la densité de population bretonne, un peu plus de trois millions d’âmes et environ 120 habitants au kilomètre carré, quand la région compte en 2016 une cinquantaine de joueurs professionnels – nés ou formés en Bretagne – à évoluer dans les cinq grands championnats européens. Avec parmi eux quelques joueurs « emblématiques » de leurs écuries comme Fabien Lemoine (Saint-Étienne), Romain Danzé (Rennes) ou Julien Féret, ainsi que des pépites type Ousmane Dembele. En revanche, question stars d’envergure internationale, la péninsule reste stérile.
Beaucoup de joueurs en Ligue 1, peu en équipe de France
« C’est vrai qu’en y pensant, sur les dernières années, on n’a pas eu énormément de joueurs en équipe de France A. Gourcuff, M’Vila, Briand… Difficile de dire pourquoi, manque de talents ou formation pas assez pertinente ? » Patrick Rampillon, historique directeur du centre de formation rennais jusqu’à la nomination de Landry Chauvin, met les pieds dans le plat. Avec un début de théorie et de justification : « On forme avant tout des joueurs pour notre équipe première, et peut-être que les joueurs bretons s’exportent moins. Didot, Lemoine, Danzé… mais on ne va pas reprocher aux joueurs bretons d’être attachés à leurs couleurs, si ? » Personne ne se permet en tout cas de le faire avec Paolo Maldini ou Steven Gerrard, mais ces joueurs avaient de bonnes raisons de ne pas bouger, car ils étaient déjà comblés sportivement. Pour les joueurs formés en Bretagne, le constat est assez paradoxal, car « on est très représentés en équipes de France de jeunes, mais très peu chez les A » , souligne Papin. Problème mental qui empêche les locaux de franchir les derniers paliers ? « Ce serait réducteur de dire qu’ils sont faibles mentalement, car pour devenir pro, il faut déjà avoir un gros mental » , assure le patron du pôle espoirs. Et puis question talent ou audace de l’expatriation, Rampillon rappelle qu’un Yoann Gourcuff « est quand même rapidement parti à l’AC Milan, parce que son talent le permettait » . Le cas Gourcuff est symbolique. « Pendant plusieurs années, il a été un fantastique ambassadeur, puis est arrivé 2010, on ne va pas revenir dessus, mais sans cet écueil, il en serait où aujourd’hui ? » se demande Papin. Peut-être tout simplement au même point, car sans avoir vécu le fiasco de Knysna, Sylvain Marveaux n’a pas fait une plus grande carrière, alors qu’il suscitait des attentes élevées pendant sa formation. Comme Jimmy Briand, jamais éloigné des performances d’un Cristiano Ronaldo en jeunes.
Patrick Papin et le Ballon d’or breton
« Lorient comme Rennes forment des joueurs pour leur équipe première, mais pour sortir un international, il faut un truc en plus, aussi bien du côté du joueur que du club » , analyse Guillaume Mulak, responsable de la formation à l’US Concarneau. Pour lui, le problème vient surtout de la course aux recrutements que se livrent les clubs professionnels, trop inquiets de passer à côté d’une future merveille. « Rennes a réussi son coup avec Dembele, mais pour un comme lui, combien de joueurs qui n’ont pas les dispositions mentales ni même le talent sont pris ? » Pourquoi l’éducateur est-il si sceptique ? « Parce que chaque année, j’ai 5-6 joueurs depuis 2012 qui sont recrutés dans un centre de formation, je veux bien penser qu’on fait du bon boulot, mais cela cache quelque chose : il n’y plus d’écrémage, on ne peut donc plus parler d’élite, certains gamins se font miroiter une carrière pro, alors qu’ils sont juste là pour faire le nombre dans leurs clubs. » D’autant que selon lui, les détections sont toujours plus précoces, alors qu’on « ne peut pas dire à cet âge s’il deviendra pro ou non » .
Patrick Papin se défend quant à lui d’exploiter le filon trop intensément, il estime simplement « former essentiellement des joueurs au service du jeu » . Et donc occulter les aspects plus combatifs du jeu, beaucoup plus mis en avant dans une région comme la PACA ? « Les joueurs bretons manquent-ils de vice ? Nous, on forme avec certaines valeurs et on ne peut que se réjouir d’avoir des joueurs avec une forte identité, des valeurs. S’il fallait leur apprendre à mettre des coups ou à se mettre en avant pour aller plus loin, je crois qu’on préférerait rester au niveau qui est le nôtre » , assure Rampillon. Avec ses principes et ses valeurs identitaires, le football breton formera un jour un Ballon d’or selon Papin. « J’y crois, cela arrivera. (rires) » Mais Patrick Rampillon se veut plus terre à terre, et réaliste aussi : « Entre former un Ballon d’or tous les 30 ans ou sortir chaque année 3 à 6 nouveaux pros, qui réussissent une belle carrière et ont une vie épanouie en dehors du terrain, c’est quand même la seconde option qui doit primer pour un club formateur. » D’autant que pour lui, l’éclosion d’un futur joueur de classe mondiale ne dépend pas que des formateurs, « car celui qui prétend avoir formé un Zidane ou un Platini manque d’humilité. Ces joueurs-là, on ne les forme pas, on les accompagne » .
Les grands clubs formateurs
« En Bretagne, il y a une concurrence entre les clubs professionnels qui permet aux jeunes de progresser plus vite. On a Rennes, Lorient, Guingamp, mais aussi Nantes ou Caen qui sont juste à côté. On parle de clubs qui ont des moyens limités et qui sont donc obligés de s’appuyer sur leur centre de formation. » Pour Patrick Papin, forcément, la densité de clubs pros bretons est une aubaine. Pour Patrick Rampillon en revanche, cela peut être un problème, car certes « les jeunes de la région ont plus d’opportunités pour se montrer. Mais s’il n’y avait que Rennes, peut-être que le club serait encore plus efficace dans la formation, car disposant d’un vivier plus important. » Sans vouloir jouer le jeu du SRFC, Guillaume Mulak voit lui aussi le désavantage d’une situation a priori favorable, car « trois clubs de Ligue 1, cela donne des possibilités, mais cela débouche aussi sur une course à l’armement, on ne laisse pas le temps aux gamins de s’épanouir dans leur club amateur » . Ce qui implique à ses yeux que le vivier soit épuisé sur certaines générations et oblige les clubs bretons à se fournir ailleurs, notamment en Île-de-France. « Mais nos clubs sont revenus de cette politique » , assure Papin, car « on l’a vu, les recrutements trop lointains ont un taux d’échec trop important » . Le meilleur exemple selon Mulak, c’est l’Athletic Bilbao « qui réussit quelque chose de très cohérent en se limitant aux joueurs basques » . Son idéal, ce serait que chaque club « soit limité à une zone de chalandise bien précise ou qu’on établisse un système comparable à une draft pour que les clubs recrutent selon leurs vrais besoins et non pour éviter de laisser la concurrence se renforcer. L’opulence, cela implique du gâchis. »
Le dirigeant de Concarneau cite le FC Lorient en exemple. Parce qu’il en est partenaire, mais surtout parce qu’il en apprécie la philosophie. « Ils ont pris le problème dans le sens inverse : ils occultent les résultats et l’aspect physique de leurs joueurs en formation. Ils visent du long terme, ils regardent essentiellement la technique et l’état d’esprit. » Et ont également décidé de réduire leurs effectifs, quitte à présenter moins d’équipes, afin de se focaliser sur la qualité. « Dans 5-6 ans, je pense qu’ils auront une belle génération, comparable au Nantes des années 90. » En Ille-et-Vilaine, les espoirs sont tout aussi forts depuis que l’instigateur du projet lorientais a posé ses valises au Stade rennais. « Si le projet de Christian Gourcuff marche, il peut élever le niveau de motivation des gamins, et leur offrir une plus grande marge de progression. L’avantage, c’est qu’on va avoir deux clubs, Lorient et Rennes, qui seront axés sur un projet de jeu bien défini » , s’enthousiasme Patrick Papin. Quid de Guingamp, le troisième breton de Ligue 1 ? « Ils viennent de changer de responsable de la formation, c’est désormais Christophe Dessy, l’ancien du Standard Liège, il va falloir lui laisser un peu de temps. » Comme à Gourcuff selon Guillaume Mulak, pour qui « les contrats de formateurs sont trop courts et trop dépendants des résultats » . Mais quels que soient les jugements de valeur à propos du travail des clubs bretons, Patrick Rampillon défend le bilan, bec et ongles : « Rennes, c’est un bassin de 400 000 habitants, ce n’est pas Paris, il faut aussi le prendre en compte. Par rapport à la population, nos résultats ne sont pas si mauvais. On a sorti quand même pas mal de bons joueurs qui font une carrière honorable en Ligue 1, on ne peut pas nous enlever cela. »
L’équipe type
Dupé – Morel, Foulquier, Koscielny, Benatia – Imbula, M’Vila, Brahimi, Gourcuff – Gignac, Dembele
La liste des 23
Gardiens : Maxime Dupé (Nantes), Florent Chaigneau (Lorient), Abdoulaye Diallo (Rennes)
Défenseurs : Jérémy Morel (Lyon), Vincent Le Goff (Guingamp), Dimitri Foulquier (Grenade), Romain Danzé (Rennes), Laurent Koscielny (Arsenal), Mehdi Benatia (Bayern Munich), Maxime Le Marchand (Nice), Romain Thomas (Angers)
Milieux : Giannelli Imbula (Stoke City), Tiémoué Bakayoko (Monaco), Fabien Lemoine (Saint-Étienne), Yacine Brahimi (Porto), Yoann Gourcuff (Rennes), Yann M’Vila (Sunderland), Abdoulaye Doucouré (Grenade), Prince Oniangue (Reims)
Attaquants : André-Pierre Gignac (Tigres), Ousmane Dembele (Rennes), Marcus Coco (Guingamp), Jimmy Briand (Guingamp)
Par Nicolas Jucha
NB : Est considéré comme « sélectionnable » tout joueur né en Bretagne ou formé au moins une saison en Bretagne, sans distinction de nationalité.