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Nordin Jbari : « Belgique-Maroc, c’est un peu un derby »
Nordin Jbari (47 ans), l’ancien attaquant du FC Bruges, de Troyes et de La Gantoise, et aujourd’hui consultant pour plusieurs médias, fut le premier joueur d’origine nord-africaine à évoluer pour les Diables rouges belges (2 sélections en 1996 et 1997). Et pour lui comme pour les autres binationaux du Royaume, ce Belgique-Maroc, dimanche à Doha, n’est pas tout à fait un match comme les autres.
Il y a environ 560 000 Belges d’origine marocaine en Belgique. Comment appréhendent-ils ce match entre les Diables rouges et les Lions de l’Atlas ?Il y a beaucoup d’impatience, forcément. Ici et là, il y a des choses qui s’organisent, des soirées couscous, les gens vont se regrouper chez les uns et chez les autres pour suivre ce match. Même ceux qui ne suivent pas particulièrement le football vont sans doute s’y intéresser, car c’est forcément un match spécial. Il y a beaucoup de binationaux belgo-marocains, et c’est pour cela que cette rencontre entre les deux sélections est un peu perçue comme un derby.
Pour qui les gens vont-ils majoritairement pencher ?Les gens sont fiers de leur nationalité belge, ils aiment le pays où ils sont nés. Et ils aiment aussi le pays où leurs parents sont nés, où ils ont leurs origines et que certains connaissent parce qu’ils y sont déjà allés. En un mot, ils sont fiers de leur binationalité. Évidemment, je ne vais pas répondre à leur place, mais je pense que beaucoup auront plutôt tendance à supporter le Maroc. Parce que c’est le pays des origines, et c’est quelque chose d’important. Mais ce qu’ils souhaitent, c’est que les deux équipes se qualifient pour le second tour.
Et vous ? Qui soutiendrez-vous dimanche ?(Rires.) Comme je suis né en Belgique de parents marocains, et que je fus le premier joueur d’origine marocaine, et même nord-africaine, à être international belge, c’est un match encore plus spécial pour moi ! Il y aura beaucoup d’émotion. Je suis tiraillé, comme de nombreux binationaux. Mais les origines, ça parle. Je suis plusieurs fois allé au Maroc, c’est un pays que j’aime, comme j’aime la Belgique. Mon cœur penchera un peu plus pour le pays de mes parents. Tout en espérant que les deux sélections passeront le premier tour. J’espère aussi qu’il n’y aura pas d’incidents comme il y a cinq ans à Bruxelles, quand le Maroc s’était qualifié pour la Coupe du monde 2018. Il ne faut pas que cela se reproduise si le Maroc gagne. Ces incidents étaient regrettables, il ne faut pas revoir de telles choses. Mais je suppose que les autorités ont pris leurs précautions et prévu un dispositif policier, au cas où…
Le Maroc a récemment changé de sélectionneur : Walid Regragui a remplacé Vahid Halilhodžić, et il a tout de suite annoncé son souhait de faire revenir Hakim Ziyech…Au Maroc, beaucoup de gens voulaient un changement de sélectionneur, car ils savaient que Vahid avait des problèmes avec certains joueurs. Ici, les supporters des Lions pensaient la même chose. Ils voulaient aussi que Ziyech, le meilleur joueur marocain, dispute la Coupe du monde. Toutes proportions gardées, c’est comme si Didier Deschamps avait envisagé de se passer de Mbappé pour des raisons de relations humaines ! Difficilement envisageable… On sent que depuis l’arrivée de Regragui, il y a un nouvel élan, beaucoup d’enthousiasme. On l’a vu lors des matchs amicaux et contre la Croatie (0-0), les Lions ont été convaincants, ils ont livré une prestation sérieuse. Je pense même qu’ils vont un peu plus se lâcher contre la Belgique. Ici, les binationaux belgo-marocains croient vraiment que le Maroc peut se qualifier, parce qu’ils sentent qu’il se passe quelque chose dans cette équipe.
En 1996, vous êtes devenu international belge. Dans quelles conditions avez-vous porté le maillot des Diables ?En 1996-1997, je jouais à La Gantoise. Je marquais pas mal de buts avec mon club, et ma convocation répondait à une certaine logique. J’étais très heureux d’être appelé par la Belgique. J’avais 21 ans, et à l’époque, il y avait de très bons attaquants : Marc Wilmots, Marc Degryse, Luis Oliveira notamment. Ma sélection n’avait pas entraîné beaucoup de commentaires particuliers, ni en Belgique ni au Maroc. Pour les Belges, il était logique que je sois en sélection nationale, car je réalisais de bonnes performances avec mon club. Mes origines, je crois qu’ils s’en foutaient ! Avant que je sois convoqué, il y avait quelques articles parlant de moi comme d’un joueur étranger, alors que je suis né en Belgique.
Est-ce que le Maroc vous avait contacté ?Non. On m’avait pourtant dit que la fédération me suivait, et même que le sélectionneur de l’époque, Henri Michel, viendrait me voir jouer en championnat de Belgique. Que j’allais recevoir une convocation pour jouer avec le Maroc. Mais en fait, personne n’est jamais venu, et je n’ai jamais été convoqué. Il n’y avait rien de concret. À l’époque, la fédération marocaine n’était pas aussi bien organisée que maintenant. Si elle s’intéresse à un binational, elle va faire en sorte de l’approcher de manière officielle. Ce n’est pas grave du tout, je ne vis pas avec le passé. Si ça ne s’est pas fait, c’est que ça ne devait pas se faire. Je suis très heureux et fier d’avoir été international belge, même si je n’ai été appelé que deux fois, car il y avait pas mal de concurrence.
Oui, et pour une trentaine de minutes en tout…C’est ça. Contre les Pays-Bas à Bruxelles en qualifications pour la Coupe du monde 1998. Nous avions perdu 3-0, et j’avais joué une quinzaine de minutes. Puis en février 1997, en amical en Irlande du Nord, pour environ le même temps de jeu. Et nous avions aussi perdu sur le même score. J’aurais aimé avoir d’autres sélections, mais ce ne fut pas le cas. J’ai quand même connu deux sélectionneurs, Wilfried van Moer puis Georges Leekens. Et après moi, il y a eu d’autres joueurs d’origine marocaine à porter le maillot belge, comme Marouane Fellaini, Zakaria Bakalli et Nacer Chadli.
Propos recueillis par Alexis Billebault