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Nordi Mukiele, l’enfant de Paris
Revenu dans son Île-de-France natale l’été dernier pour poursuivre sa progression au PSG, Nordi Mukiele retrouve ce mercredi un pays qui a joué un rôle majeur dans sa construction : l’Allemagne. Après quatre ans à se faire les dents à Leipzig, le gamin de Montreuil a bien grandi.
Trois semaines après les sourires échangés par Presnel Kimpembe et Kingsley Coman, ce Bayern-PSG sera une nouvelle fois placé sous le signe des retrouvailles. En Bavière, Nordi Mukiele retrouvera un entraîneur qui a fortement compté dans son parcours, alors que le jeune défenseur n’était pas encore un modèle de maturité sur un terrain, lors de son passage en Allemagne. « J’ai beaucoup plus de connaissances tactiques. Julian Nagelsmann m’a fait évoluer énormément, reconnaissait-il l’été dernier dans les colonnes de L’Équipe, peu après avoir quitté le RB Leipzig pour le PSG. Il a beaucoup d’idées. Quand on est à l’intérieur de son groupe, on apprend. Je suis très content d’avoir ça en moi. C’est un génie de la tactique. » Depuis, les deux hommes ont pris leur envol vers d’autres cieux : le technicien a pris les rênes du plus grand club allemand, tandis que Mukiele est revenu au bercail, lui le natif de Montreuil. Les deux hommes croiseront donc le fer à l’Allianz Arena, alors que l’international tricolore était absent lors de la manche aller, la faute à un pépin aux ischios.
Enfant étourdi, footballeur étourdi
« Ça serait trop facile de dire, comme tout le monde, que je ne suis pas étonné de le voir à ce niveau-là. Ses proches étaient sceptiques quant à sa réussite à cause de ses problèmes de concentration, rembobine Brahima Magassa, ami d’enfance de Nordi qui l’a suivi depuis ses premiers touchers de balle en Seine-Saint-Denis. Il avait trop de mal à se concentrer, aussi bien dans les catégories jeunes du Paris FC que dans la vie de tous les jours. » Si ceux qui l’ont côtoyé ne manquent pas de parler de son sourire et de sa bonne humeur, aucun n’oublie de mentionner la fougue et le manque de contrôle de Mukiele. « Je le revois à l’école, oh la la, reprend Magassa avec un grand sourire. Ce n’était pas un élève perturbateur, mais il faisait souvent des petites conneries. C’était un enfant qui ne tenait pas en place, qui avait besoin de bouger, de se dépenser et d’aller à droite, à gauche constamment. » Enfant étourdi, joueur étourdi ? « Évidemment, tranche tout de suite Marc Moesta, un des premiers éducateurs du latéral français au Paris FC. Mais après, le foot reste une carotte pour les enfants. Ils sont beaucoup plus sérieux avec nous qu’à l’école. Et lui comme tous les autres mettait le foot avant tout le reste. Je ne peux pas dire que pour lui, c’était déjà plus important que l’école, mais la concentration et la progression étaient plus évidentes sur le terrain qu’en classe. » Pendant longtemps, celui qui officie au Paris FC depuis plus de dix-huit ans a échangé avec le père du petit prodige pour essayer de le canaliser et de régler ses problèmes de comportement.
Têtu, mauvais perdant et armé d’un caractère bien trempé, Nordi Mukiele agaçait souvent son petit monde là où il mettait les pieds. « Il avait beaucoup de mal à gérer ses émotions, et Moesta était toujours sur son dos. Avant, pendant et après les entraînements, lance Magassa, aux premières loges des coups de colère de son copain pendant de nombreuses années. En même temps je le comprends, dès que Nordi ratait deux-trois passes, il lâchait tout. Et ce coach lui a permis de bien se maîtriser. » Un défi auquel chacun des entraîneurs de Mukiele a dû être confronté. « C’était un garçon un peu indiscipliné, qui pouvait vous faire gagner un match, comme il pouvait vous le faire perdre. On essayait de régler ce souci, mais en fin de compte, ça tenait à son comportement, disons… désinvolte. Il était vraiment doué, mais avait encore besoin de mûrir, tout simplement, se souvient Bernard Mottais, qui l’a dirigé en N3 du côté de Laval, après son départ du Paris FC à 15 ans. Lui pensait qu’il pouvait gagner un match à lui tout seul. Sauf que lorsqu’on est confronté au haut niveau, ça ne suffit pas et ça peut coûter cher. »
Si rien ne partait d’une mauvaise intention, le tenace Nordi s’entêtait à faire comme bon lui semblait quand tout le monde lui demandait de faire absolument le contraire. Et pour calmer ce tempérament de fer, le père Mukiele a trouvé la parade. « Je crois que c’était juste avant qu’il parte pour Laval, mais une fois, son père avait interdit à Nordi de se déplacer à Bordeaux où il avait des essais avec les Girondins, parce que son bulletin était blindé d’avertissements de conduite, se rappelle Magassa, toutefois bien heureux que son pote, « qui avait plein d’offres sur la table dès le collège », ait trouvé une échappatoire dans la commune de la Mayenne. « La famille Mukiele a toujours été très à cheval sur l’éducation et les études, il n’y a rien de plus important que ça. Et du coup, ça arrivait de ne pas voir Nordi à l’entraînement le soir. C’était horrible pour lui, mais ça avait le mérite de le calmer. »
« C’était un pur-sang qu’il fallait dompter »
À Laval, l’adolescent trouve le contexte favorable pour laisser exploser son talent et développer ses qualités athlétiques. « Quand il est revenu avec les U17, il avait des cuisses énormes, avait pris des épaules, une bête quoi, se remémore son ami Magassa. Ce n’est pas pour rien que c’est un exemple pour les petits du quartier maintenant. Entre le city sur le toit du Decathlon de la porte de Montreuil, les terrains des stades Maryse-Hilsz ou Louis-Lumière, le gymnase Paul-Bert et tout ce petit quartier, on croise de plus en plus de maillots du RB Leipzig, et ça n’est pas étonnant. » Le résultat d’un long processus qui nécessite une certaine prise en main de la part de ses éducateurs chez les Tangos. « On s’entretenait beaucoup avec lui. Même quand il allait jouer au-dessus, il avait besoin d’être cadré, se souvient encore Bernard Mottais. Tout ça ne lui paraissait pas tout à fait primordial, mais quand on est éducateur et qu’on a des gens de ce calibre-là, il faut absolument arriver à rendre le diamant encore plus joli qu’il ne l’est. »
À peine plus d’un an après avoir rejoint la Mayenne, le garçon de tout juste 17 ans est pourtant déjà lancé dans le bain professionnel par Denis Zanko. « Il était à la marge dans notre structure, on sentait très bien qu’il était câblé pour le haut niveau, se remémore celui qui est désormais adjoint de David Guion à Bordeaux. Il était particulièrement ambitieux, avec une grosse confiance en lui et une énergie folle qu’il fallait canaliser et structurer. Il sortait à peine de sa période d’adolescence et il y avait tout à construire. » Mais le technicien se laisse rapidement séduire par les qualités footballistiques du bonhomme. Sans jamais baisser la garde. « Il fallait lui faire sentir les choses sur lesquelles il pouvait aller ainsi que ses limites, parce qu’il est capable de déborder. L’image que j’ai de lui, c’est que c’était un pur-sang qu’il fallait dompter. »
Mais comme avec chaque personne qui croise le chemin du gamin en pleine ascension, le fond reste le même : ils ne retiennent que du positif de leurs moments en commun. « Il était dans un processus normal, sauf que l’accession au haut niveau a été rapide, donc il y avait des choses à mettre en place pour qu’il y ait des points d’ancrage forts pour Nordi, reprend Zanko. Comme il réglait une grande partie des problèmes avec ses qualités naturelles, il a fallu qu’il sorte de sa zone de confort et qu’il rentre dans une période de réflexion et de compréhension du jeu. » Cette fois-ci, l’examen de passage est validé haut la main par le défenseur. Un cheminement qui ne peut que l’amener à toquer à la porte de la Ligue 1, en mettant le cap au sud. Sans apporter dans ses bagages les soucis de concentration et autres petites erreurs de jeunesse. « Moi, je n’ai pas ressenti ça à Montpellier, donc c’est quelque chose qu’il a dû régler assez rapidement, témoigne Laurent Pionnier, qui l’a côtoyé dans l’Hérault entre 2017 et 2018. Peut-être parce que quand tu arrives en Ligue 1, tu es obligé d’être plus concentré parce que tu es plus vu, épié. J’ai au contraire rencontré quelqu’un d’appliqué, bosseur et dans le souci du détail. » Sans oublier de garder sa décontraction. « Ils étaient tout le temps tous les trois avec Jorko (Jonathan Ikoné, NDLR) et Junior Sambia. Ils essayaient de me faire faire des trucs de jeunes, et moi je leur faisais faire des trucs de vieux, rigole encore l’ancien portier du MHSC. On avait vraiment une relation de grand frère et petits frères. »
Tous les chemins mènent à Paris
« Laval, Montpellier, l’Allemagne, c’est allé super vite. Il a passé toutes ces étapes brillamment, conclut Magassa. Tout ce qui lui arrive est le résultat de beaucoup de travail et de sacrifices. » Après quatre saisons pleines au RB Leipzig, Mukiele est revenu à Paris l’été dernier pour cette fois-ci porter les couleurs du plus gros club de la capitale. « Ce qui fait plaisir, c’est qu’il y a quelques années, il était à Porte de Montreuil et aujourd’hui, il joue quelques portes plus loin, sourit Marc Moesta.Plus sérieusement, le voir maintenant tenter de se faire une place au Paris Saint-Germain montre toute son ambition. » Petit, Nordi passait de temps en temps une partie de ses week-ends au Parc des Princes en tant que ramasseur de balle. « Revenir et être désormais au PSG, c’est une énorme fierté pour moi et mes proches. Se dire que j’ai enfilé le maillot de ma ville est un rêve devenu réalité et une motivation supplémentaire », confiait-il encore à L’Équipe. Et si de nombreux enfants du Paris FC ne savent peut-être pas qu’il a été formé dans ce club, « les éducateurs se souviennent de lui, assure Moesta. Il a laissé une belle trace, une belle image parce qu’il était vraiment attachant. C’était un boute-en-train, le premier à faire des bêtises, mais un grand compétiteur. Tout ce que j’appréciais. Je ne connais pas un éducateur qui m’ait mal parlé de lui. »
J ⚽️ K E R 🤝🃏 pic.twitter.com/nK6ijKwYgq
— N O R D I (@NordiMukiele) February 6, 2021
Une force de caractère et un tempérament qui pourraient bien aider la bande de Kylian Mbappé, souvent emportée par les éléments quand viennent les grandes soirées de Ligue des champions. « Honnêtement, je n’ai jamais connu quelqu’un de plus compétitif que lui, clame Magassa. Je me rappelle notamment une séance de tirs au but lors d’un gros tournoi qu’on avait disputé en Bretagne. On devait être en U12 et il avait manqué le dernier péno. Sur le coup, il s’est effondré et il lui a fallu du temps pour digérer cet échec. Il faisait la tête tout le reste de la journée, puis tout le retour dans le bus, alors que les autres jouaient ensemble. Il versait des petites larmes de son côté. » Depuis, l’eau a coulé sous les ponts, le petit Nordi Mukiele est devenu grand, et Calimero a laissé la place à un véritable Joker. Son personnage préféré, auquel il a d’ailleurs dédié une pièce chez lui avec notamment une figurine grandeur nature. La bonne farce serait qu’il crucifie le Bayern au bout d’une séance de tirs au but.
Par Matthieu Darbas et Tom Binet
Tous propos recueillis par MD et TB, sauf ceux de Nordi Mukiele, issus de L'Équipe.