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Noël Le Graët : la perte de l’audition
Noël Le Graët, l’ancien président de la FFF, est donc lui aussi passé devant la commission d’enquête parlementaire sur les défaillances des fédérations sportives. Une audition qui, ce mardi, n’a rien révélé si ce n’est que son départ était inévitable.
La commission d’enquête parlementaire « relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont délégation de service public » ratisse tous les sujets et toutes les disciplines. Mais évidemment, les auditions de personnalités du football, de par le poids du ballon rond dans la société, sont les plus suivies et relayées. D’autant plus que la FFF a régulièrement défrayé la chronique. Et parmi les figures qui ont fini par en incarner les problèmes et les difficultés, Noël Le Graët occupe une bonne place. Son passage devant les élus du peuple, première expression publique d’importance depuis sa démission, en janvier 2023, devait répondre à de nombreuses questions et surtout permettre de passer le concerné sous le feu d’un interrogatoire un peu plus critique que lors du comité exécutif, dont il partit sous une standing ovation. Son passage intervient en outre alors que l’on apprend que la FFF, et son président actuel Philippe Diallo, ont négocié le retrait de la plainte de l’ancienne directrice générale Florence Hardouin, elle aussi attendue devant les députés, contre lui pour harcèlement sexuel et moral. À charge pour la fédération de verser le dédommagement à venir (sûrement au-delà d’un million d’euros). Le choix de juristes pour prendre les rênes de la fédération, dont le nouveau DG Jean-François Vilotte, prend tous son sens.
Monologue de muet
Noël le Graët n’en a sûrement malgré tout pas fini avec la justice et a lui-même lancé des contre-attaques sur ce terrain. Il a tenu à rappeler à de nombreuses reprises qu’il ne comptait pas répondre pour ce qui pouvait relever de cette dimension, renvoyant dans les cordes les vaines tentatives de briser son mutisme. « Je ne m’exprimerai pas longtemps sur ce dossier, car mes avocats ont demandé que le rapport d’audit soit annulé et contesté, parce que pour le moment, la défense que j’ai présentée, c’est que je ne suis au courant de rien, clamait-il ce mardi. Vous dans cette salle, vous êtes plus au courant que moi. Moi je ne sais pas. » En matière de mépris pour la représentation nationale, il est difficile de faire mieux… Ainsi quand il s’agit d’expliquer pourquoi le port d’une jupe fut réclamé à une salariée lors d’un voyage de travail, il répond : « Je ne réponds pas à cette question. Je n’ai pas à répondre à cette question, parce que je vous vois venir. »
De fait, l’homme est resté sur la même ligne de défense depuis sa « mise en retrait » : il est la victime des médias, de personnes mal intentionnées, de Dieu sait qui… « Je crois que cela a été un lynchage médiatique immérité. Je n’ai rien fait de mal, nulle part, à personne. Mais à un moment, je ne supportais plus les articles journaliers. J’ai une famille avec trois enfants d’un certain âge, ce ne sont plus des bébés, et neuf petits-enfants qui ont entre 22 et 30 ans. » Enfin, il a dessiné l’image rétrospective d’un président sans véritable pouvoir ou guère au courant des affaires courantes : « Dans une fédération qui a autant de licenciés, on a besoin de gens compétents donc je n’ai pas fait tout tout seul. C’est pareil dans mon entreprise. À la Fédé, je n’ai pas dit qu’on avait tout bien fait, c’est impossible. (…) On avait un comex tous les mois et on avait des salariés de très haut niveau. » Un petit message subliminal à ses anciens amis, si je tombe, vous êtes aussi responsables que moi… Voilà pour la forme.
C’est un temps que les plus de 80 ans ne peuvent plus comprendre
Sur le fond, les propos de Noël le Graët ont illustré à quel point l’ancien homme fort de la FFF était déconnecté de son époque et des enjeux sociétaux du football. Il se voit même en féministe, version old school. Sans lui, les femmes ne seraient rien dans le foot français. « J’ai mis des femmes à tous les postes. À la Fédération, ma directrice générale était une femme et je crois que vous allez la recevoir (jeudi). Ma vice-président, Brigitte Henriques, était une femme. » Pour le reste, juste une mauvaise interprétation de ses galéjades un peu trop vieille France, avec ce petit regret très Beigbeider qu’on ne peut plus rien dire : « Est-ce que dire à quelqu’un qu’elle a une jolie robe c’est grave ? Aujourd’hui, oui. Les temps ont changé. Moi j’ai 82 ans, petit à petit les temps ont changé, ça ne se dit plus. »
Autre moment hors sol, ses réponses sur le racisme dans le foot, dont il avait nié la réalité. Didier Deschamps devant la même commission avait du bout des lèvres reconnu qu’effectivement il en existait comme dans le reste du pays. Noël Le Graët a même sorti la petite liste de tout ce qui prouve qu’il ne l’était pas lui-même (ce n’était pas le sujet) avant de sortir l’argument suprême : « Sur le racisme, j’ai toujours été proche de l’Afrique. J’ai toujours aidé via la FIFA cette collaboration avec l’Afrique. » Concernant l’homophobie, il a avoué ses regrets intimes pour en avoir minimisé la gravité dans le foot. Une prise de conscience après un savon de sa fille : « Je me suis senti triste et maladroit. Je suis sûr que ces débiles qui crient ces mots ne sont pas homophobes mais bêtes. »
À entendre l’ancien maire de Guingamp et chef d’entreprise, voilà un homme qui avoue avoir été dépassé par l’ampleur de sa fédération, par son temps et les questions juridiques, voire même la gestion du personnel (il ne comprend toujours pas pourquoi autant de femmes en sont parties ou ont été licenciées) . Avec un doute lancinant : pourquoi s’est-il alors entêté à se représenter de mandat en mandat ? Et pourquoi tout le monde dans les instances de la FFF l’a laissé couler l’image du foot ? Au moins, cette fois, la présidente n’a pas cherché à savoir s’il pouvait encore leur refiler des places pour les matchs de Bleus…
Par Nicolas Kssis-Martov