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Nicole Petignat : « La VAR, c’est vraiment l’occasion de mettre plus de femmes dans l’arbitrage »
Le 2 décembre dernier, Stéphanie Frappart devenait la première femme à officier en tant qu'arbitre principale dans un match de Ligue des champions. Mais la pionnière en Coupe d'Europe, ce n'est pas elle. En août 2003, c'est la Suissesse Nicole Petignat qui écrivait un petit bout d'histoire en se posant au sifflet d'un passionnant AIK Solna-Fylkyr Reykjavik, en Coupe de l'UEFA. Dix-sept ans plus tard, les choses ont bien changé.
Pourquoi selon vous s’est-il déroulé autant de temps entre votre première en Coupe d’Europe et celle de Stéphanie Frappart ?Je pense que l’une des principales raisons, c’est l’évolution des tests physiques. Dans certains pays, ils ont « radouci » les tests pour les femmes, pour qu’elles puissent accéder à la 1re division. Je ne sais pas pour la France, mais c’est ça par exemple qui a permis à l’Allemande (Bibiana Steinhaus, N.D.L.R.) d’arbitrer en Bundesliga. De mon temps, les tests de condition physique en Suisse étaient les mêmes pour les hommes et pour les femmes. Ça n’a rien à voir avec masculin/féminin, c’est une question de condition physique. Puis maintenant, avec la VAR, la condition physique a beaucoup moins d’importance, puisqu’on a les images. Ce n’est plus important de courir un 50m en 6,8 secondes, maintenant le plus important, c’est de bien communiquer avec la VAR. Et grâce à ça, on peut mettre à niveau les tests pour les filles, qui courent moins vite que les garçons, c’est normal.
Mais du coup, comment est-ce que vous en êtes arrivée à arbitrer ce match de Coupe de l’UEFA ?J’avais de la chance, j’étais bonne en athlétisme ! (Rires.) J’avais les conditions physiques, et ça faisait trois ans que j’arbitrais en première division suisse. L’UEFA voulait me faire un cadeau. Il y a une arbitre suissesse que je connais, Esther Staubli, ça fait quinze ans qu’elle arbitre en deuxième division. Elle est excellente, mais comme elle ne tient pas les tests de condition physique des hommes, elle ne peut pas arbitrer en première division. Nous en Suisse, c’est le test de la FIFA. Si tu le loupes, tu ne siffles pas. Et en tant que femme, si tu le loupes deux fois, autant dire qu’on te fout dehors parce que derrière, il y a du monde qui pousse.
Quel souvenir vous gardez de ce premier match européen ?Très bon ! Et puis il y avait au moins 50 journalistes, parce que c’était la première… La chance qu’on a aussi en tant que femme, c’est que si on fait bien, on est plus admirée qu’un homme. Un homme, il fait un match juste, c’est normal. Alors qu’une femme, c’est très bien. Mais le contraire est aussi vrai : si on fait une connerie, on est plus conne que l’homme.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’arbitrage ?Avec la VAR, c’est quand même beaucoup plus facile, l’arbitrage… Avant, si au bout de 20 minutes tu sifflais un penalty où y avait pas penalty, ton match était foutu parce que tu te posais forcément la question. Avec la VAR, tu demandes : « Les gars, y a penalty ou y a pas penalty ? », tu sais tout de suite et t’es confiant ! C’est la VAR qui prend toute la responsabilité, on ne peut pas aller contre la VAR. Tu es soutenu, et tu peux beaucoup moins faire de conneries. Moi, l’assistance vidéo, ça fait longtemps que je la demande ! Souvent après un match, la première chose que l’on faisait, c’était aller regarder à la télé si on avait pris les bonnes décisions. Le spectateur avait un meilleur placement que nous, mais c’est nous qui devions décider. J’étais à la finale du Mondial 2006, c’était impossible que l’arbitre ait vu Materrazzi et Zidane, le ballon était de l’autre côté. Si le 4e officiel ne regarde pas la télé y a pas de carton rouge. Pourquoi ça a mis autant de temps à arriver ? Combien de matchs ont été « corrompus » parce qu’il n’y avait pas la vidéo et qu’on a pris de mauvaises décisions ? Et puis en plus, ce qui est plus facile aussi pour l’arbitre, c’est que les joueurs le savent qu’ils peuvent être punis grâce à la vidéo. Neymar, il est deux fois par terre, il prend un jaune un rouge et c’est fini, on ne discute plus de Neymar.
Et pour les femmes ?La VAR, c’est vraiment l’occasion de mettre plus de femmes dans l’arbitrage. Ça réduit aussi les risques vis-à-vis des spectateurs. Avec moi, l’UEFA ne voulait pas prendre trop de risques notamment à cause de ça. On m’a demandé si je voulais aller plus haut, j’ai refusé parce que j’ai trouvé qu’on n’avait pas évolué en tant qu’arbitres. Regardez ce qui est arrivé à mon ex-compagnon, Urs Meier (placé sous protection policière après avoir reçu des menaces de mort à la suite du quart de finale de l’Euro 2004 entre le Portugal et l’Angleterre, N.D.L.R.). Et puis la femme est beaucoup plus légitime de manière générale dans le football aujourd’hui. Les nanas ont prouvé qu’elles connaissaient le football. Les joueurs, ils regardent des matchs de football féminin et voient qu’elles sont aussi capables qu’eux. On est en 2020, quoi. Fille ou garçon, c’est pareil.
Dans une interview pour Le Temps en 2018, vous disiez : « Il faut savoir lire les gens. L’arbitrage, ce n’est pas que du foot. Il y a beaucoup de questions humaines qui s’y mêlent. » Est-ce qu’en ça, les femmes peuvent faire de meilleurs arbitres que les hommes ?
Oui, peut-être. Le gars qui est respectueux vis-à-vis des femmes aura plus de respect vis-à-vis de la femme arbitre. Autour du match, il y a beaucoup d’humain, tu rencontres plein de gens. Tu dois t’adapter à l’énergie autour du terrain. Si t’es trop autoritaire, féminin ou masculin, les joueurs n’aiment pas ça. L’humain, c’est s’adapter au match, aux joueurs. On ne communique pas avec un joueur italien de la même façon qu’avec un Suisse, un Allemand ou un Français, par exemple.
Vous avez pris votre retraite en 2008. Est-ce que vous êtes restée proche du football ?Je regarde toujours des matchs, mais plus autant. Si au bout de vingt minutes, je vois que ce n’est pas très bon, j’éteins mon poste. Puis avec la Covid… ça fout tout en l’air. Jouer sans spectateurs, c’est ennuyeux.
Propos recueillis par Alexandre Aflalo