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Nicolas Frey : « Je n’ai même plus d’accent français »

Propos recueillis par Valentin Pauluzzi
8 minutes
Nicolas Frey : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je n&rsquo;ai même plus d&rsquo;accent français<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Voilà onze ans que le petit frère de Sébastien évolue en Italie, il va d'ailleurs entamer sa septième saison avec le Chievo dont il est désormais le vice-capitaine. Un statut qui lui a permis de se débarrasser de son étiquette de « frère de ».

Tu arrives en Italie en 2004. Cette arrivée était-elle liée à ton frère ?

Indirectement. J’étais en vacances en Italie pour aller voir Seb avec ses beaux-parents, et on parlait de ce que je voulais faire parce que ça battait de l’aile avec l’AS Cannes. J’y ai fait toute ma formation et même signé mon premier contrat pro, mais ça a merdé avec l’entraîneur de l’époque. L’ex-beau-père de mon frère me parle alors de cette équipe de Legnano qui s’entraînait dans le coin. Après manger, je vais les voir pour un petit match d’opposition, j’étais encore plein de sable ! Ça se passe très bien et ils me rappellent le lendemain pour me faire signer.

Vous êtes très liés, Sébastien et toi ?

Oui, mais on s’est promis de ne jamais faire jouer le piston, je lui ai toujours demandé de ne pas me faire passer pour un « frère de » . S’il y avait besoin, j’aurais juste eu à l’appeler, il m’aurait donné un coup de main sans soucis, mais je ne l’ai jamais fait. Je voulais faire ma carrière moi-même afin de ne pas me demander : « C’est grâce à moi ou grâce à lui ? » Et ça, il l’a toujours respecté.

C’était comment Legnano ?

Tu n’es pas à Milan même, c’est un état d’esprit un peu plus fermé. On avait un peu de préjugés sur moi, du genre le jeune étranger qui vient piquer la place d’un Italien en D4. Ce n’était pas simple du tout hein, j’étais tout seul, pas de permis, j’habitais à Monza, train et métro tous les jours, la grosse galère. Je m’étais donné un an pour savoir si je continuais le foot ou pas. Au final, je finis meilleur joueur du club !

Et tu croises Jimmy Algerino !

Ah oui Jimmy, un super mec qui m’a bien aidé à mes débuts ! Il m’a toujours dit : « Sois toi-même, ne cherche à être qui on veut que tu sois, sinon tu es personne. »

À Legnano, tu marques aussi ton seul but en pro.

(rires) Sur un corner ! C’est la seule année où je montais d’ailleurs. Une belle reprise au deuxième poteau contre Carpenedolo. Au Chievo, je suis monté deux fois, une fois j’ai failli marquer, à Seb aussi. Ou alors j’obtiens des penaltys, je leur ai dit aux gars en rigolant : « Pourquoi tu as mis la main ? Laisse-moi marquer, t’as pris un carton et tu vas prendre le but » , mais c’est vrai que ça manque !

Avant le Chievo, tu fais un crochet par Modène, en Serie B, de 2005 à 2008.

C’est d’ailleurs là que je commence à jouer à droite, moi, arrière central de formation. C’est Pioli, l’actuel coach de la Lazio, qui m’a proposé. C’est un mec particulier, faut entrer dans son jeu, sinon il ne te calcule pas. C’est ce qui s’est passé d’ailleurs, il m’a juste fait jouer quand tout le monde était blessé.

Vous accrochez les play-offs cette année-là.

J’entre dans l’équipe type en décembre, et je ne sors plus. On se fait sortir en demies après deux matchs nuls. Bucchi, meilleur buteur du championnat avec 31 buts, loupe un péno contre Mantova. On aurait pu monter, il y avait vraiment la place.

Le Chievo, tu y arrives comment ?

J’étais en fin de contrat, je pouvais aller au Toro aussi, mais mon choix s’est porté sur eux, car ils misaient beaucoup plus sur les jeunes à l’époque. La première année, on a 9 points à la mi-saison et on s’est quand même sauvés. Tout est vite arrivé, je commence à jouer en hiver, la Roma me veut en janvier, mais le directeur sportif de l’époque ne compte pas me lâcher. Je reçois même une pré-convocation en équipe de France et je finis troisième meilleur défenseur de Serie A.

Troisième, c’est basé sur quoi ?

Par rapport aux notes moyennes des journaux, les passes décisives, etc. Ma carrière aurait pu connaître un vrai tournant, mais à l’époque, c’était compliqué de partir, le directeur ne lâchait rien.

Oui, mais en contrepartie, tu es devenu un joueur symbole de cette équipe.

Le club voulait effectivement une autre figure après Pellissier. Maintenant, faut pas croire, fidélité ou pas, le jour où on n’a plus besoin de toi, on te jette ! Mais j’admets que c’est différent ici, ils y tiennent. Pellissier a resigné trois saisons alors qu’il a 36 ans. La confiance que l’on m’accorde est une réelle fierté.

Et celle de Pellissier aussi.

On dort en chambre ensemble, c’est un capitaine atypique, qui ne se met jamais en avant. Pourtant l’an dernier, c’est lui qui nous sauve avec tous ses buts décisifs. J’ai eu le brassard plus souvent que lui, du coup, il m’a dit qu’il serait temps que je me fasse le mien, mais le « capitano » , c’est Sergio !

Tu as failli partir ces dernières années, non ?

Il y a eu des touches concrètes, mais comme je t’ai déjà dit, avec Sartori, c’était compliqué, peut-être mes agents n’ont pas fait assez le forcing aussi. J’ai eu beaucoup d’offres, la Roma, la Lazio, le Dynamo Kiev, Rubin Kazan, Palerme aussi. Sabatini, directeur sportif des Siciliens à l’époque, m’avait dit : « Il faut que tu nous comprennes, tu nous intéresses, mais on ne va pas prier le Chievo. »

Il n’y a pas si longtemps, le Chievo jouait l’Europe. Ce serait encore possible aujourd’hui ?

Non, ce n’est plus possible. Ce n’est pas un club qui est prêt pour ça. Ce serait peut-être trop, même si ce serait beau. D’ailleurs, la dernière fois où le Chievo a joué l’Europe, il est descendu en fin de saison. Le président est très lucide, il demande le maintien, la 17e place lui suffit.

On se moque souvent de vos tifosi… Où en est l’identité du Chievo ?

Ce n’est pas facile avec le Hellas. Malgré 14 ans de Serie A, c’est compliqué d’amener des gens de notre côté. Le Chievo, c’est un quartier de 2000 habitants avec des petits vieux. Depuis qu’on est parmi l’élite, une partie de la province est avec nous. Mais bon, les supporters sont peu, mais très fidèles, et puis, l’avantage, c’est qu’il y a moins de problèmes de violence ou de pression.

Le derby de Vérone est de retour depuis deux ans, est-ce un vrai derby ?

L’année dernière, c’était chaud, les ultras se sont mis sur la gueule, c’était le retour après plus de dix ans d’absence, sauf que ça a déjà baissé d’un ton. Il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup de joueurs historiques qui ressentent ce match, les effectifs changent trop. Mais attention, notre président y tient.

À chaque Noël, c’est le même débat en Italie entre le Pandoro ou le Panettone, au moins vous n’avez pas ce problème au Chievo.

Ah ça, c’est certain, on finit même en publicité dans la Gazzetta. C’est Paluani qui les produit, la boîte du patron, et ils sont très bons ! D’ailleurs, contre le Hellas, en décembre dernier, on s’est échangé nos « Pandori » contre leur « Panettoni » . Je l’avais déjà fait avec un autre adversaire, alors quand Toni et moi, les deux capitaines, nous sommes retrouvés face à face, je lui ai dit tout simplement de conserver le sien. Et ça, ça a créé une polémique dans la presse ! Le lendemain, mes supporters me félicitaient : « Bravo, t’as du caractère, tu n’as pas accepté son cadeau » , alors que ce n’était pas du tout ça. C’est fou les proportions que ça a pris ! Heureusement, j’ai pu m’expliquer avec Toni, qui m’a dit : « Ne t’en fais pas, laisse-les parler, ils sont contents avec leurs petites histoires. »

Vérone, c’est la plus belle ville d’Italie, non ?

C’est une belle ville, je vis au centre. C’est petit, mais il y a tout. Rome et Florence sont magnifiques, mais Vérone n’est pas loin derrière.

Tu as intégré le top 10 des Français qui ont disputé le plus de matchs dans l’histoire de la Serie A, tu es exactement huitième.

Ah ouais ? Ah ça, c’est génial ce que tu m’apprends, surtout quand tu connais les joueurs qu’il y a eu, même s’ils ne sont pas tous restés longtemps. Avec Séb à la première place, on est plutôt bien les frangins. Ça va me faire ma journée, ça !

Un retour en France est possible ?

J’ai eu Toulouse qui me voulait à un moment. En tant que Français, j’aimerais bien jouer une saison dans mon championnat, maintenant, je suis très reconnaissant envers l’Italie et le Chievo. Je suis bien ici avec ma concubine italienne et mes deux enfants, mais ne jamais dire jamais. Ce qui est certain, c’est que je reviendrai y vivre après la fin de ma carrière.

Tu ne perds pas ton français un peu ?

C’est chiant ! En plus, je suis le seul Français maintenant ici, mais je tiens à le parler avec mes fils. J’avoue que ça m’embête, je n’ai même plus d’accent. On en parle avec mon frère, on devrait dire « prégeau » , non nous c’est « prego » à l’italienne. Moi, je suis fier d’être français, j’y tiens. Tu vois, je pourrais demander la double nationalité pour éventuellement jouer en Nazionale, mais je n’ai rien à y faire là-bas, je ne connais même pas l’hymne. Moi, je veux le maillot avec le coq, je l’ai porté en U15 et U16, notamment au tournoi de Montaigu. Qu’y a-t-il de plus beau que La Marseillaise ?

Dernière chose, tu diras à ton frère que Bursaspor, ça va cinq minutes et qu’il serait temps de revenir en France ou en Italie !

Il a fait une saison blanche là-bas en plus, c’est complètement stupide. On en parle souvent, il n’a que 35 ans. Je lui ai dit que s’il fait une deuxième d’affilée comme ça, c’est foutu. Il n’a pas le droit de finir comme ça, il doit finir en beauté, montrer une dernière fois qui il est. Là, il est en train de voir pour résilier son contrat, et si Sébastien Frey est libre… Mon président le sait, il l’adore, un coup de tel et c’est fait.
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Propos recueillis par Valentin Pauluzzi

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