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Nice, jeunes et jolis
En haut de la Ligue 1, Nice récolte les fruits d’une politique de formation différente, qui privilégie l’intelligence plutôt que la force physique. De quoi regarder Lyon, référence en la matière, droit dans les yeux.
Les images défilent et surplombent la foule dans les hauteurs de l’Allianz Riviera. Une ligne humaine s’est formée autour de vingt-quatre hommes, serrés, le regard solennel. Mario Balotelli ne semble pas trop comprendre, mais Yoan Cardinale lui glisse les explications à l’oreille. Du couloir arrivent les enfants, Benjamin et Camille, et la compagne Marie dont le regard est barré par des lunettes fumées. Alors, les quelque 18 000 personnes présentes ce 2 octobre 2016 alternent entre le silence et les chants d’une tribune populaire où s’affiche un message clair : « Ta loyauté et ton honnêteté ont fait notre fierté. René uno di noi. » Sur l’écran, René Marsiglia est debout, au cœur d’un groupe pro, avec ses ventricules Éric Roy et Frédéric Gioria. Mars 2010, l’ancien capitaine du club a repris une équipe dix-septième de Ligue 1 et doit gérer un déplacement au Mans. « Je voudrais ouvrir une petite parenthèse parce que vous avez dû lire certainement des petites choses, sur ce qui m’est arrivé. Il y a trois ans de ça, si je m’attendais à vivre le moment que je vis ici, je pense que je n’aurais pas mis beaucoup. Il y a trois ans, j’étais entre la vie et la mort, je me suis remis debout, j’ai cru m’en sortir et puis un an après, on m’a dit que les problèmes repartaient, qu’il fallait faire un traitement. Et malgré ça, j’y suis ! Et je tiens ! Alors quand les dirigeants m’ont proposé, j’ai pas cherché, j’ai foncé, parce que l’essence de ma vie, c’est d’être là à vous parler. » Nice termine quinzième du championnat, sauvé. Le héros n’est finalement pas reconduit en mai 2012, à la fin de son contrat. La maladie l’emporte un peu plus de quatre ans plus tard, son club en tête de la Ligue 1.
Projet commun, cerveau et Claude Puel
René Marsiglia était et reste encore une partie majuscule de l’OGC Nice. Celui qu’il était et celui qu’il est devenu, à savoir un leader du championnat de France avec le plus jeune effectif d’Europe, une moyenne d’âge à 23,3 ans. Il faut s’arrêter sur les feuilles de match : Yoan Cardinale (22 ans), Ricardo Pereira (22 ans), Malang Sarr (17 ans), Dalbert Henrique (23 ans), Vincent Koziello (20 ans), Rémi Walter (21 ans), Vincent Marcel (19 ans), Arnaud Lusamba (19 ans), Alassane Plea (23 ans) ou encore Wylan Cyprien (21 ans). Ce Nice-là impressionne depuis plusieurs saisons, notamment depuis le passage de Claude Puel entre mai 2012 et juin 2016 et une quatrième place plus que convaincante la saison dernière. 2012, c’est aussi la saison de la victoire en Gambardella contre Saint-Étienne (2-1) avec Mouez Hassen, Cardinale, Maupay ou encore Bosetti et Amavi. Comme les premiers succès d’une politique neuve et une vision qui tranche alors avec ce qui prédomine dans la formation française, soit un physique qui prime sur la technique. La Gambardella, la jeunesse, tout ça parle à l’actuel directeur du centre de formation niçois, Alain Wathelet, finaliste de la Gambardella 2002 et champion de France U18 en 2004 avec Hugo Lloris. « Tout a commencé autour d’une réflexion qu’on avait déjà à la pré-formation avec Manuel Pirès, qui était alors entraîneur des U17 et qui est ensuite devenu directeur du centre jusqu’en juillet 2014. On s’est dit, et si comme à Barcelone, on faisait jouer toutes les équipes de jeunes de la même manière ? On était d’accord sur les principes : la possession de balle, le jeu court, quelque chose de beau, pose Wathelet. On a donc tous travaillé dans le même sens, de haut en bas, c’était une première dans le club. Alors, on ne parle pas de schéma, mais de principes de jeu, car les plus petits jouent à cinq, ensuite à huit, puis enfin à onze pour les plus grands. »
Pirès, lui, avait déjà mis ce système commun en place lors de son passage à Amiens. Il explique : « On est parti d’une base : l’intelligence du joueur. Personnellement, je m’inspire beaucoup de ce qu’a fait Guardiola autour des principes de Rinus Michels qu’a repris ensuite Cruyff. C’est donc quelque chose dont on avait parlé avec René Marsiglia qui était alors directeur du centre de formation. Au départ, quelques formateurs du club étaient sceptiques, car c’est une approche assez intellectuelle du foot, de la formation, où on s’est parfois tournés vers les petits gabarits avec excès. » Alors, dans le jeu, cela passe par de l’exigence, de l’importance du mouvement, de la prise de risque assumée, un pressing haut et un jeu au sol constant, mais avant tout une volonté affirmée d’offrir un football « élégant et spectaculaire » , ce vers quoi la direction niçoise voulait aller. Pour ça, Manuel Pirès, aujourd’hui au Red Star, n’hésite pas à « interdire les relances longues au gardien ou les dégagements en touche aux défenseurs » . Même arrivé sur le tard, Koziello est un produit de cette école. « Je pense que très peu de clubs lui auraient donné sa chance, qu’ils n’auraient pas pris le risque par rapport à son physique » , pointe Claude Puel. Désormais remplacé par Lucien Favre, le nouveau manager de Southampton a ouvert les portes de la Ligue 1 aux jeunes talents niçois. « C’est lui qui a dit : « Cela me plaît ce qu’ils font à la formation, on va jouer pareil », reprend Alain Wathelet. Cela a été un énorme palier pour nous. Avant, au-dessus, il ne se passait rien, cela n’arrivait qu’au U19, voire un peu en CFA. Il y avait une cassure entre les jeunes et les pros et Claude a mis fin à ça. » Claude Puel a été recruté pour ça.
« Koziello ? Peu de clubs lui auraient donné sa chance »
Voilà comment progressivement les petits « cerveaux » ont débarqué chez les grands : Bosetti, Maupay, Amavi, Boscagli, Benrahma, Koziello… Le tout avec en fil directeur un recrutement lié au projet philosophique (Seri, Pléa, Mendy…). À la formation, Nice est devenu un club qui attire alors que le nouveau centre de formation sort actuellement de terre. « C’est quelque chose qui est convaincant, aussi, pour les parents, car on cherche à former des footballeurs complets, sur et en dehors du terrain, analyse Laurent Bonadei qui a quitté le PSG à l’été 2015 pour rejoindre la réserve niçoise. Dans chaque club, l’équipe première est une locomotive et c’est notre force aujourd’hui. Je me suis retrouvé dans le projet de l’OGC Nice, car je partage cette philosophie. L’idée est d’insister beaucoup avec les joueurs sur le travail avec le ballon, mais aussi la recherche de la bonne solution. On bosse beaucoup sur des exercices à choix multiples à l’entraînement pour que le joueur prenne, à chaque fois, la bonne décision. Il faut mettre dans la tête du joueur de faire le bon choix collectif et non le bon choix personnel. » Le Suisse Lucien Favre s’est mis dans les pantoufles de Puel, histoire de franchir un nouveau palier dans la démarche collective que le club a entrepris depuis plusieurs années : présence régulière aux matchs des équipes de jeunes et confiance accordée au jeune Malang Sarr, jusqu’ici avec Emerse Faé en U17.
La réussite niçoise a changé les rapports de force régionaux, et les Aiglons frayent désormais avec Monaco ou l’OM, même si Alain Wathelet répète les critères de recrutement : « Nous, on s’en fout, costaud ou pas, on veut intelligent. Un mec costaud et intelligent, on prend. » Formateur au SC Air Bel de Marseille en U15, Hannachi Kaïsse complète l’évolution de la situation : « Avant, il n’y avait qu’un seul recruteur sur notre zone, désormais ils sont trois ou quatre à venir régulièrement. Cela prouve que le club, rien que dans la détection, fait un effort supplémentaire. À Nice, ils sont plus dans l’anticipation que leurs rivaux, ils vont entrer en contact plus vite avec les jeunes qui les intéressent. Ce n’est pas encore un club qui rayonne dans l’esprit des gamins ou des parents, mais il a le mérite de travailler étroitement avec le réseau amateur. Ils viennent sur le terrain, organisent des détections dans les clubs amateurs, sans obliger les candidats à venir jusqu’à Nice pour être restés. C’est un avantage. » Les Aiglons ont pris leur envol et ils ne sont pas pressés d’atterrir.
Par Maxime Brigand et Nicolas Jucha
Tous propos recueillis par MB et NJ.