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Nicaragua : sous la menace

Par Victor Launay
4 minutes
Nicaragua : sous la menace

En dépit des protestations de plusieurs joueurs et de la multiplication des cas de coronavirus en Amérique centrale, le championnat nicaraguayen n’a toujours pas été arrêté. Symbole de la déconnexion avec la réalité de l’ancien révolutionnaire sandiniste Daniel Ortega, revenu au pouvoir en 2006, et de sa femme Rosario Murillo, qui exercent une sévère répression et s’efforcent de nier tout ce qui pourrait leur faire du tort.

Cacique Diriangén, Real Estelí, Walter Ferretti ou Managua FC. Ces noms parleront peut-être à ceux qui sont tout bonnement incapables de décrocher du foot, au point de suivre le tournoi de clôture du championnat du Nicaragua, dernier pays des Amériques à autoriser la poursuite des compétitions sportives, en dépit de l’épidémie grandissante de coronavirus dans la zone. Bien que les rencontres de Liga Primera se disputent à huis clos et que le Nicaragua soit officiellement relativement épargné pour le moment (deux cas ont été diagnostiqués), le maintien de la Primera Liga fait débat, et plusieurs joueurs – pour la plupart étrangers – ont remis en question la poursuite de la compétition.

Joueur majeur du championnat, l’Uruguayen Bernardo Loreiro (Cacique Diriangén) a ainsi tiré la sonnette d’alarme sur les réseaux sociaux, alertant sur les risques liés à la santé des joueurs, de leur famille et faisant part de son incompréhension par rapport à « ses collègues qui ne disent rien » . Pour cause, à l’exception du Cacique Diriangén – qui a diffusé une photo de ses joueurs équipés de masques et de gants à l’issue de la rencontre de championnat face à Ocotal –, les dirigeants des neuf autres équipes se sont opposés à la suspension du championnat et n’hésitent pas à faire pression sur leurs joueurs, les menaçant de résilier leur contrat en cas de grève, comme le rapportent plusieurs titres de presse sud-américains.

Un régime dictatorial qui compte sur l’amour pour combattre le coronavirus

Corruption, négation et mensonges

Dans ce pays frappé par la corruption et où le baseball est roi, le maintien du championnat est révélateur d’une gestion de l’épidémie complètement délirante de la part du président Daniel Ortega – ancien révolutionnaire sandiniste de retour au pouvoir depuis 2006 – et de sa femme Rosario Murillo, nommée vice-présidente du deuxième pays le plus pauvre d’Amérique latine il y a maintenant quatre ans. Alors que le Panama vient d’annoncer sa mise en quarantaine, le tandem n’a pas pris la peine de fermer les frontières du pays et n’envisage pas de confiner ses habitants. Silence radio pour Ortega, malade et reclus dans sa résidence – qui fait aussi office de bureau présidentiel et de bureau central du FSLN, le parti au pouvoir –, tandis que Rosario Murillo maintient, comme si de rien n’était, les manifestations de sa campagne « Nicaragua Toda Dulce, con Amor para Vos, verano 2020 » . Le tout, une dizaine de jours après avoir poussé plusieurs milliers de fonctionnaires et des personnels hospitaliers à se rassembler pour soutenir les pays touchés par le coronavirus, avec pour message « Amour en ces temps de Covid-19 » .

Devant cette négation de la réalité, les Nicaraguayens ne sont pas dupes. Les médecins fustigent l’irresponsabilité des décideurs, tout comme l’église catholique, qui a appelé les habitants du pays à rester chez eux. Une grande partie de la population ne croit de toute façon plus le gouvernement, à l’image du joueur argentin Leandro Figueroa (Deportivo Walter Ferreti), qui déclarait à La Nación : « Il y a probablement plus de cas (que les deux déclarés pour l’instant, N.D.L.R.), mais ils sont cachés, pour ne pas nous alarmer. Un de mes coéquipiers connaît des gens qui travaillent dans un hôpital et me l’a dit. »

Déni sandiniste

Pour la population, la gestion de l’épidémie de coronavirus est une énième confirmation de la déconnexion totale entre le pouvoir et la société nicaraguayenne dans son ensemble. Si la colère monte depuis longtemps dans un pays où les institutions sont noyautées par l’entourage d’Ortega, doublement réélu en 2011 et en 2016 alors que la constitution du pays interdit de briguer deux mandats consécutifs, un point de non-retour a été atteint au printemps 2018, quand ont débuté de massives manifestations réclamant le départ du président, à la suite de l’annonce d’une réforme de la Sécurité sociale. Sévèrement réprimées par la police nicaraguayenne – qui n’a pas hésité à déclencher des tirs létaux –, aidée par des groupes de paramilitaires à la solde du gouvernement, cette escalade de violence a entraîné la mort de plus de 300 personnes, des milliers de blessés et l’exil de 100 000 Nicaraguayens.

Malgré l’enlisement dans une crise économique et sociale, la poursuite de contestations, l’émergence de leaders d’opposition dans plusieurs pans de la société (entrepreneurs, féministes, agriculteurs, commerçants…), auxquels s’ajoute la mise en place de sanctions internationales à l’encontre du clan Ortega – le fils de Daniel Ortega ne peut plus utiliser ses comptes aux États-Unis –, le régime tyrannique est toujours en place. Usant de la peur, de la violence, des mensonges et de la relative indifférence de la communauté internationale pour se maintenir au pouvoir. En s’efforçant de nier la réalité et ce qui pourrait lui nuire. En faisant comme si on pouvait continuer à jouer au foot.

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