- Coupe du monde 2014
- Groupe E
- Suisse/France
Ni Kopa, ni Platini, ni Zidane…
Pour les Bleus, la Suisse s'annonce comme le premier vrai crash test depuis l'Ukraine (barrages aller et retour). Un match important censé mieux définir le potentiel d'une sélection qui a avant tout toujours bâti ses certitudes sur un joueur hors norme. Or depuis la retraite de Zinédine Zidane en 2006, on bricole comme on peut…
Au matin de ce Suisse-France, Didier Deschamps, très sensible au destin et à la baraka, ne pourra pas s’empêcher de relativiser positivement sur la situation de ses Bleus. Ceux-ci sont encore en course et même une défaite contre les Helvètes pourrait ne pas être rédhibitoire. La grande Espagne vainqueur du groupe des qualifs qui avait poussé la France en barrages est, elle, déjà éliminée… Idem pour l’Angleterre, quasi giclée de ce Mondial. Il faut dire que ces deux pays ont disputé leurs deux premiers matchs face à du très, très lourd alors qu’on offrait aux Bleus des tapas honduriens (3-0). Autre sujet de méditation, ces Pays-Bas dominés en mars en amical (2-0) n’ont plus vraiment la même consistance en compète officielle, surtout avec Super Robben (Arjen n’a pas joué au SdF). Ces comparaisons avec ces trois pays dessinent toujours les mêmes contours flous d’une équipe de France qu’on sent forte, voire très forte, mais dont on ne mesure pas vraiment les limites. Suisse oblige, on verra ce soir si elle braquera la banque ou si elle repartira chocolat…
Le ratage Diaby-Gourcuff-Ribéry…
L’équipe de France de football a toujours brillé avec un joueur d’exception. C’est historiquement vrai avec la période Kopa (1956-1960), Platini (1976-1986) et enfin avec la période Zidane (1994-2006). C’est avec ces trois cracks de calibre mondial, certifiés or (5 Ballons dorés à eux trois), que la France a récolté du palmarès et des places d’honneur en Coupes du monde, Euros et Coupes des confédérations. Une sacrée doublette aurait pu hisser les Bleus vers les mêmes sommets au début des années 90 : JPP et Cantona. Avec ces deux magnifiques, on spécule encore avec regrets sur le parcours qu’aurait pu faire l’équipe de France lors du Mondial 94 si elle s’était qualifiée. Avec les Bleus de Domenech (2006-2010), ceux de Blanc (2010-2012) et ceux de Deschamps (de 2012 à aujourd’hui), on fait « sans » . C’est-à-dire sans ce joueur au statut majuscule qui assoit une identité de jeu sur laquelle tout un groupe se repose avec confiance et sérénité. Depuis le départ de Zidane, on a cru découvrir son digne successeur avec Ribéry puis Gourcuff. On pourrait ajouter aussi Abou Diaby, non pas en meneur offensif, mais comme taulier du milieu, énorme quand les blessures l’épargnaient.
Mine de rien, la France a échappé à un quatuor qui, bien drivé par un sélectionneur avisé, aurait pu faire des étincelles : Diaby, Gourcuff, Ribéry, Benzema ! Les nouveaux as du milieu que sont Pogba et Matuidi auraient mieux mûri au contact de la paire Gourcuff-Diaby quand ces deux derniers marchaient littéralement sur l’eau. Valbuena aurait fait l’appoint sans déchoir. Avec ces quatre fantastiques, la France aurait pu mieux passer le cap du Mondial 2010 et de l’Euro 2012. Diaby a été vaincu par sa fragilité, Knysna a détruit Gourcuff et Ribéry n’a pas été le leader de jeu attendu en 2010 et 2012 et il a même déclaré forfait en 2014. Benzema est bien là au Brésil, mais il n’a pas été retenu en Afsud. Dommage… Car les Bleus payent aujourd’hui ce déficit d’expérience qui les fixe en « outsiders secondaires » de ce Mondial brésilien. Car amalgamé aux nouveaux talents (Pogba, Varane, Matuidi, Griezmann, Mangala), le quatuor de talents cité plus haut aurait pu constituer une base plus solide au sein de la sélection nationale et assurer le lien entre les générations. À ce propos, l’Allemagne a mieux géré globalement la transition entre la génération Ballack-Lehmann-Neuville (tous présents en 2006) et celle des Özil-Götze-Neuer-T. Müller grâce à la génération intermédiaire des Lahm-Schweinsteiger-Podolski-Mertesacker. Si l’Allemagne figure parmi les favoris de ce Mondial 2014, c’est en grande partie dû au fait qu’elle a su assurer une continuité intergénérationnelle qui a permis d’incorporer naturellement tous ses nouveaux talents.
Bleus 2014 et ASM 2004
Alors, voilà. Nos Bleus ne sont considérés que comme des « outsiders secondaires » dans le sens où leur potentiel et leur tableau de marche ne les envoient pour l’instant qu’en quarts de finale et pas au-delà (même si c’est bien la demie qui est visée). Le match contre la Suisse confirmera ou infirmera un optimisme peut-être déplacé. On verra bien ce soir : une défaite contre les Helvètes remettrait bien des choses en cause. En attendant, donc, la France fait avec ce qu’elle a. Elle n’a pas de joueur d’exception de type Kopa-Platoche-ZZ et elle n’a pas bénéficié de tout l’apport prometteur du trio Diaby-Ribéry-Gourcuff. Ne lui restait plus qu’à bien fonctionner en équipe, avec un collectif qui comble le manque de cracks. C’est d’ailleurs comme ça qu’il faut interpréter la détresse passagère que Deschamps a éprouvé à l’annonce du forfait de Ribéry : Didier Deschamps comptait vraiment beaucoup sur un Francky à son meilleur. Mais il lui a fallu faire avec, ou du moins « sans » … En espérant que Benzema se révèle en vrai crack qui marquera la compétition (Karim est parti sur de bonnes bases face au Honduras), Deschamps mise avant tout sur le collectif. Mais dans un sens ambitieux ! Car le profil assez joueur de ces Bleus 2014 n’est pas sans rappeler le Monaco 2004 qu’il avait emmené en finale de C1. Avec l’ASM 2004, sa seule star reconnue était Morientès, que DD s’était habilement fait prêté par le Real. Le reste de l’équipe n’était constitué que de bons joueurs de L1 et d’étrangers motivés, dont DD a tiré la quintessence au point d’un faire un commando d’élite cette saison-là.
Benzema serait donc le Morientès 2014 de Deschamps ? En tout cas, question discipline de groupe, on peut noter que DD a sacrifié Nasri comme il avait écarté les relous Simone, Panucci et Gallardo qui nuisaient à son boulot ! La comparaison entre l’ASM 2004 et les Bleus 2014 nous apprend aussi que ces deux expériences menées par DD se déroulent sur un temps long. Il était arrivé novice à Monaco en 2001 pour porter l’équipe au sommet trois ans plus tard. Arrivé à la tête des Bleus en 2012, Deschamps s’est toujours inscrit dans une durée qui englobe le Mondial 2014 et l’Euro 2016. C’est pour ça que si son discours est prudent au Brésil, il est nettement plus affirmé pour 2016 : il vise carrément le titre européen. On verra lors de ce Mondial si un Benzema on fire (voire un Valbuena) se hisse au niveau des plus grands tricolores. En attendant, avec une place dans le dernier carré, Didier Deschamps pourrait écrire l’histoire d’une belle exception du foot français : l’exploit d’y être parvenu sans avoir bénéficié de l’apport d’un Kopa, d’un Platini ou d’un Zidane…
Chérif Ghemmour