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N’Golo Kanté, la force de la persévérance
Sans bruit, le milieu caennais s'est fait une place de choix dans l'effectif de Patrice Garande. Mieux encore, ses prestations lui ont valu une place de titulaire indiscutable et un nouveau contrat jusqu'en 2018. Ce grand timide de petite taille étonne et détonne, au point de devenir l'une des attractions du championnat.
Avant cette saison, N’Golo Kanté n’avait jamais connu la Ligue 1. Si pour beaucoup le dépucelage s’avère délicat, pour lui, l’adaptation se fait tout naturellement. Mieux, le Parisien pur souche a tout emporté sur son passage. Milieu défensif, il plante deux buts lors de ses trois premières rencontres. Les interrogations sur sa capacité à évoluer au haut niveau sont balayées d’un revers de main. Conscient qu’il détient une véritable pépite, Caen le prolonge jusqu’en 2018. Une aubaine pour le club normand qui l’a récupéré gratuitement en 2013. Sa popularité se trouve décuplée et les sollicitations aussi. Pourtant, lui ne comprend pas vraiment. C’est son ancien dirigeant du temps de Suresnes et ami, Pierre Ville, qui raconte. « Quand je parle avec lui, il me dit « Mais ça n’est que du foot. » Il y a deux-trois mois, beIN faisait un reportage sur lui et il ne voulait pas le faire parce qu’il ne comprenait pas. Il n’avait fait que quelques matchs en Ligue 1. » Un exemple parmi tant d’autres de la singularité de N’Golo Kanté. Un joueur pétri de talent qui tranche par sa simplicité, sa timidité et son humilité. Et quand il s’agit d’acheter sa première voiture et que beaucoup optent pour prendre un tout nouveau modèle, lui s’achète une voiture d’occasion. En toute normalité.
Trop petit, trop fort
Quand il débute à Suresnes, dès le plus jeune âge, le Franco-Malien possède la même caractéristique physique qu’aujourd’hui : il est plus petit que tout le monde. Pas découragé, Kanté montre rapidement qu’il est meilleur que tout le monde et se fait vite surclasser. Finalement, sa petite taille n’est un problème que lorsqu’il s’agit d’intégrer les centres de formation. Conseillé par Pierre Ville et d’autres personnes du club de Suresnes, il écume les différents tests à travers la France sans que personne ne voit au-delà de sa taille malgré son indéniable talent. Pourtant, cette caractéristique ne l’empêche pas de briller. « En moins de 13 ans, je me rappelle un tournoi où Kanté, bien évidemment surclassé, termine meilleur joueur. Quand il reçoit la Coupe, celle-ci était presque aussi grande que lui, alors il avait un peu de mal à la transporter » , se rappelle Pierre Ville avec humour et un brin de nostalgie. Après plus de dix ans passés dans le 92 à Suresnes, le jeune milieu de terrain fait le grand saut, quitte son Paris natal et s’en va à Boulogne.
La transition n’est pas facile pour lui. Christophe Raymond, son coach à l’USBO, se souvient : « À Boulogne, c’était compliqué pour lui. Tous les jours, il ne mangeait pas à sa faim. Il était logé dans une auberge de jeunesse, il ne gagnait pas beaucoup d’argent. Par rapport aux horaires d’entraînement, les magasins étaient fermés, donc il fallait se débrouiller, mais, encore une fois, il ne s’est jamais plaint et n’a jamais demandé rien à personne. » Sa caractéristique principale, elle est là : ne jamais se plaindre et ne jamais rien demander à personne. Même quand il doit rallier les terrains d’entraînement depuis la structure où il prépare un BTS compta à pied ou en trottinette. Il traverse une côte longue d’un kilomètre pour aller s’entraîner, sans jamais demander d’aide. Un joueur au cœur grand comme ça qui doit, avant tout, sa réussite à son abnégation et sa persévérance. Mais également à sa capacité d’écoute. « C’est une éponge. Il est très à l’écoute, du coup il s’adapte très vite dans l’environnement où il est et s’impose naturellement, sans forcer » , explique Raymond, aujourd’hui entraîneur chez les jeunes à Lens.
Bienvenue chez les Ch’tis
Sur le terrain, sa montée en puissance est progressive. Son ancien entraîneur s’explique : « Il était brut quand il est arrivé. Il perdait autant de ballons qu’il en grattait. On lui a laissé le temps. Il était en réserve à Boulogne, alors en DH, et il a participé à l’accession en CFA 2 sans être un réel titulaire, mais en bossant. Par contre, l’année suivante, il a vraiment explosé et est parti avec la Nationale. » Il démontre, encore une fois, sa capacité à toujours s’adapter. Malgré sa relative « faiblesse » tactique, due au fait qu’il n’a jamais côtoyé de centre de formation, son déficit de puissance et sa petite taille, il compense par un volume de jeu impressionnant. Son endurance est l’un de ses plus grands atouts. Mais tout faire toujours à fond, sans calculer, a un prix. Son ancien entraîneur se rappelle ainsi de ses coups de moins bien chroniques entre décembre et janvier. Il se rappelle également de son sérieux dans le travail qui lui permet de toujours revenir à son meilleur niveau. Un niveau qui lui vaut d’être nommé meilleur joueur de National avec Boulogne, puis d’être présent deux fois de suite dans l’équipe type de Ligue 2.
Pour réussir à se canaliser et à rester humble, N’Golo Kanté se concentre dans la religion. Très pieux, l’enfant du 10e arrondissement ne s’étale pourtant pas beaucoup sur sa croyance. Comme sur tout le reste, en fait. Christophe Raymond se souvient ainsi avec amusement que « le meilleur moyen pour apprendre quelque chose sur lui, c’était de lire ses interviews dans la presse » . Eric Vandenabeele, son compagnon de chambré à Boulogne, se souvient d’un garçon attachant où la religion est très importante, avec un petit rituel avant chaque match. « Il a un short qu’il met à chaque match, je ne sais pas où il l’a eu, sûrement quand il était à Suresnes. C’est son short fétiche, il est bleu et jaune. » Un garçon qui tranche avec le footballeur lambda, trop souvent fustigé par son attitude dilettante. C’est Pierre Ville, son ancien dirigeant, qui l’explique le mieux : « Il a un profil qui est rare en France. Il est atypique. Il n’a pas de coupe de cheveux extravagante, de boucles d’oreille ou des écouteurs sur les tympans. »
Kanté, c’est Tigana
En Coupe de la Ligue contre Dijon, le 4 janvier dernier, Kanté a marqué un but qui démontre parfaitement ce dont il est capable. Il récupère le ballon, fait un raid de 60 mètres avant d’aller tromper le gardien adverse. Sa taille l’empêchant d’être une menace dans les airs, c’est dans le jeu au sol qu’il fait la différence. Vandenabeele, défenseur central, se souvient de l’importance d’avoir son copain au milieu de terrain. « Sa faculté à récupérer la balle dans les pieds adverses est impressionnante. Dès que le jeu est au sol, il va plus vite que l’adversaire et il est capable de le bouger. Après, il va percuter grâce à sa vitesse. » Un jeu qui lui vaut une belle comparaison par son ancien entraîneur, Christophe Raymond. « Je le comparais à Jean Tigana parce qu’il a un coup de rein monstrueux. Il est pétillant. Il a plusieurs coups de rein dans une course. Il n’a pas besoin de dribbler, il pousse le ballon et il passe son défenseur. » Nul doute que ce dimanche contre Rennes, Kanté sera l’un des atouts majeurs du SM Caen. Avant de partir faire de la trottinette ailleurs ?
Par Jean-Guillaume Bayard