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Neymar, politique malgré lui
Un transfert record, un salaire monstrueux et un statut de star incontestée de la Ligue 1. L'arrivée de Neymar doit supposément permettre au PSG et au football français d'entrer dans une nouvelle dimension. Un tour de force économique et médiatique, dont il ne faut pas oublier la portée politique pour le Qatar, qui frappe un gros coup après une année 2017 compliquée sportivement et politiquement.
A priori, au regard de ses interviews consensuelles, Neymar n’est pas particulièrement branché politique. Ce qui ne l’empêche pas de débarquer au PSG, un club dont la dimension étatique ne fait de mystère pour personne. Si bien que, derrière les millions et les espoirs ravivés par le venue du Brésilien dans l’optique d’enfin conquérir la C1, le Qatar envoie un sacré message à la compétition. Et pas seulement sur le plan sportif.
Démonstration de force
Pour s’en rendre compte, il faut revenir quelques mois en arrière. Au printemps dernier, le Qatar encaisse successivement plusieurs coups durs : la fameuse humiliation du PSG face au Barça début mars ouvre le bal, suivie par la perte en mai des droits de diffusion de la Ligue des champions en France, acquis par SFR Sport. Surtout, l’Émirat se prend un énorme uppercut dans la tronche quand les autres monarchies du Golfe, persuadées que le Qatar finance diverses organisations terroristes, suspendent leurs liaisons terrestres, aériennes et maritimes avec Doha. De quoi non seulement affecter économiquement le pays, mais aussi compliquer considérablement la logistique de l’organisation de la Coupe du monde 2022.
Compte tenu de la tension politique extrême qui existe actuellement entre Doha et ses voisins, le timing de la venue de Neymar au PSG ne semble ainsi pas tout à fait anodin relève Nabil Ennasri, le directeur de l’Observatoire du Qatar : « Ce n’est pas le blocus orchestré par l’Arabie Saoudite et ses alliés qui a motivé la venue de Neymar- elle était déjà dans les tuyaux depuis l’an dernier- mais il l’a sans aucun doute accélérée. L’accélération du tempo politique a joué sur celle de la politique sportive de QSI. » Avec, en toile de fond, la volonté de montrer que, malgré les obstacles que lui opposent ses rivaux, le Qatar maintient le cap : « L’idée, c’est de faire une démonstration de force. La venue de Neymar participe à montrer que, malgré le blocus, le Qatar n’est pas bousculé, encore moins acculé et a toujours la capacité de dicter le tempo de l’agenda mondial. »
Une démonstration impressionnante de « soft power » , qui dissimule une réalité plus contrastée, nuance Nabil Ennasri : « Le quotidien des Qataris n’a pas radicalement changé, mais, avec le blocus, le Qatar a quand même été affecté. La fermeture des frontières a mené à une modification des circuits de ravitaillement. Ça leur coûte nettement plus cher d’importer des produits » . Dans l’incapacité de faire venir des ressources par voie terrestre (l’unique pays frontalier du Qatar est l’Arabie Saoudite), Doha ne peut désormais plus se tourner que vers les lignes aériennes en passant par l’Iran, son seul soutien dans la région, et les voies maritimes. Un contexte politique compliqué, auquel s’ajoutent les menaces incessantes de l’Arabie Saoudite, qui ne rêve que d’une chose : que soit retirée au Qatar l’organisation de la Coupe du monde 2022.
Joueur politique
Ces derniers mois, les lobbys proches du camp saoudien se sont ainsi faits de plus en plus pressants vis à vis de la Fifa, avançant qu’un pays « qui soutient le terrorisme ne devrait pas pouvoir organiser un événement d’une telle ampleur » . « Leur objectif est de ternir la réputation du Qatar en exerçant une forme de pression morale sur la FIFA. Salman al-Ansari, l’un des responsables du lobby pro-saoudien ne s’en cache pas et avait même explicité se rendre en Suisse à cet effet. » Des menaces « prises très au sérieux par les Qataris » avance Ennasri. « Ils n’avaient pas suffisamment pris la mesure de la capacité de nuisance du camp saoudien par le passé. Ils ne veulent plus reproduire cette erreur. »
Alors, Doha a re-musclé son jeu. D’abord en signant quelques succès économiques, comme celui de Qatar Airways, devenu partenaire et compagnie aérienne officielle de la FIFA jusqu’en 2022. Ou encore celui de BeIN Sports, qui conservait début mai les droits de diffusion de la C1 et de la C3 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord jusqu’en 2021. Une contre attaque progressive, dont la venue de Neymar constitue finalement le point d’orgue. Car le Brésilien ne vient pas à Paris uniquement pour tenter de ramener la Ligue des champions aux Franciliens. « La vérité, c’est qu’il est aussi là pour devenir l’ambassadeur du Qatar pour la Coupe du monde 2022 » pose Ennasri. Qu’il le veuille ou non, l’ancien de Santos est probablement appelé à ne plus seulement représenter un club, mais aussi un pays. Devenant ainsi un joueur éminemment politique.
Après le Qatar, l’Arabie saoudite va bien participer à la Gold CupPar Adrien Candau
Propos de Nabil Ennasri recueillis par AC