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Neymar, le prix de l’indécence
Neymar arrive au PSG pour plus de 220 millions d'euros, et les dirigeants parisiens voudraient qu'on applaudisse leur montage financier odieux comme des béni-oui-oui. Impossible quand on sait ce que représente une telle somme, et quand on a un tantinet conscience de la gravité de la situation en France et dans le monde.
Alors on y est. Un an après Paul Pogba, le premier footballeur à plus de 100 millions d’euros, le PSG offre au monde le premier joueur à plus de 200 millions et nous prie de trouver ça normal. Non, messieurs les Parisiens (ou les Qataris, on ne sait plus vraiment), rien de tout cela n’est normal. En athlétisme, le record du monde du 100 mètres a longtemps été amélioré par petites touches, centième par centième. Il a fallu trois ans pour que les 9’79 de Maurice Greene soient battus par Tim Montgomery et ne deviennent 9’78. Puis trois autres années pour qu’Asafa Powell, en 2005, coure la ligne droite en 9’77. Ensuite, Gatlin et ses cuisses testostéronées ont envoyé un 9’76 qui ne survivra pas à sa suspension pour dopage. Mais tout ça, c’état avant l’ouragan Usain Bolt qui ne s’embarrassait pas avec ces comptes d’épicier. En l’espace de deux ans, la foudre jamaïcaine bouclait l’affaire en 9’72, puis 9’69, avant de gifler le monde en 9’58. Le Usain Bolt de ce mercato, c’est le PSG, qui ne bat pas les records mais les explose, avec la classe et le charisme en moins. Car Bolt est un sprinteur génial, simple, toujours cool et relax. Un modèle de décontraction version « du calme man, this is Jamaica » qui prouve qu’on peut concilier le sport de haut niveau et l’amusement. Le club parisien, lui, dégage une arrogance poisseuse et puante qui nous pousse à nous demander pourquoi on aime encore le football.
Des chiffres et des chiffres
220 millions. Voire même un peu plus d’après certaines sources, mais à ce niveau-là, peu importe. Plus le salaire, et les bonus, et les avantages fiscaux, et ceci, et cela. Au total, en supposant que le Brésilien reste cinq saisons au PSG, il pourrait coûter presque 500 millions d’euros au club. Tiens, une récente étude de l’ONU publiée en 2006 montre qu’une telle somme permettrait de réduire de 10% la faim dans le monde, alors que chaque jour 30 000 enfants meurent des famines et du manque de soins. Mais que sont 500 millions d’euros face aux 500 milliards de dollars que les conflits en Irak et en Afghanistan ont couté aux États-Unis ? Une autre illustration de ce monde qui devient fou et dans lequel les sommes volent toujours plus haut, sauf quand il s’agit de les dépenser pour des gens qui en ont vraiment besoin. Cette année, les employés de Whirlpool ont tenu un bras de fer de plusieurs mois contre leurs patrons parce que ces derniers, déjà satisfaits de fermer les usines, voulaient en plus raboter les indemnités de licenciement. Et au milieu des slogans, des odeurs de pneus brûlés et des vociférations des politiques venus vendre leur beurre sur place, les ouvriers ont fini par obtenir 65 000 euros d’indemnité de moyenne pour les 290 employés, c’est-à-dire moins de 19 millions d’euros en cumulé. Rien comparé aux bénéfices des grands actionnaires du groupe. Encore moins comparé aux revenus du monde du football, où cette somme correspond aujourd’hui au prix d’un remplaçant dans un club moyen en Angleterre. Et où elle correspond surtout à moins d’un dixième de Neymar.
Si Cicéron était là…
Aujourd’hui plus que jamais, « j’en ai marre » s’écrit « j’en Neymar« . Sur son contrat, y a-t-il une ligne pour lui rappeler que le prix de son transfert équivaut à 200 000 SMIC mensuels, soit plus de 16 000 années ? Alors oui, des esprits qui se veulent éclairés ont une batterie d’arguments pour adoucir le choc. Neymar à Paris, c’est des centaines de milliers de maillots vendus, des stades pleins, des droits télés. Traduction : du fric, du fric, et encore du fric. On pourrait se rassurer en se disant qu’au moins, ces 200 millions d’euros que le Qatar dépense pour un joueur de football, il ne les dépensera pas pour financer le terrorisme. Mais les liens entre l’émirat et les groupes islamistes de la région continueront d’exister, même si le PSG remporte la Ligue des Champions grâce à un triplé de Neymar en finale. Plus de 200 millions, c’est aussi ce qu’a réussi à détourner ArcelorMittal en bidouillant le système des quotas de CO2 accordés à chaque compagnie industrielle pour ensuite fermer les hauts-fourneaux de Florange. Mais continuons à profiter de notre planète. D’ailleurs, Neymar arrive à Paris la semaine où on annonce que l’humanité a consommé les ressources annuelles de la Terre. Pas la peine de jeter un œil à votre calendrier, nous sommes bel et bien début août… Comble de l’histoire, cette forêt amazonienne qui disparaît à vue d’oeil est celle qui sépare le Brésil de Neymar du Venezuela où les manifestants tombent par centaines. Des morts qui auraient préféré recevoir une balle envoyée par le pied droit de Neymar que par le fusil d’un policier à la solde du pouvoir. En une semaine, la France perd Jeanne Moreau et accueille Neymar. « O tempora, O mores ! » aurait commenté Cicéron s’il avait assisté à ce triste chassé-croisé.
Par Jean-Michel Moralisateur