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Newcastle, le fantasme saoudien

Par Chloé Saunier
Newcastle, le fantasme saoudien

Alors que l’Arabie saoudite était à deux doigts de faire sa grande entrée dans la diplomatie sportive en acquérant le club de Newcastle United, les choses semblent se compliquer. Car de nombreuses voix s’élèvent pour protester contre l’intrusion du très controversé prince Mohammed ben Salmane dans le football anglais, et la décision de la Premier League se fait attendre. Les fans des Magpies, eux, trépignent d’impatience.

Soixante-cinq années se sont écoulées depuis le dernier titre majeur du club. Alors, quand le bruit d’un possible richissime investisseur a commencé à circuler dans les chares de Newcastle upon Tyne il y a quelques semaines, les supporters se sont mis à rêver. Mais pas trop tout de même, par crainte d’une nouvelle déception. Ce n’est, en effet, pas la première fois que Newcastle United attire les convoitises. Mal en point depuis de trop nombreuses saisons, le club aurait pourtant besoin d’être dépoussiéré afin de retrouver de sa superbe. Le règne de Mike Ashley semblant être arrivé à expiration, son trône ne devrait pas rester longtemps vacant puisqu’il suscite grandement l’intérêt de Mohammed ben Salmane. Un prince d’une tout autre dimension.

Le 14 avril dernier, le quotidien The Guardian annonçait qu’un consortium mené par la Britannique Amanda Staveley était en passe de s’offrir Newcastle United. Le propriétaire Mike Ashley aurait décidé de céder le club, acheté 135 millions de livres sterling en 2007, pour pas moins de 350 millions (400 000 millions d’euros). La femme d’affaires, qui a déjà souhaité acheter l’écurie en 2017, retente sa chance. Cette fois, elle est accompagnée des deux frères Reuben, ainsi que du fonds d’investissement public saoudien (PIF) détenu par le prince d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane. Dans les plans, ce dernier devrait être actionnaire majoritaire à hauteur de 80% et laisserait se partager les 20% restants à ses petits camarades.

Newcastle is the new City…

Sitôt cette annonce faite, les Geordies voient déjà leur équipe se transformer et devenir le Manchester City de demain. « Tous les supporters rêvent d’une histoire comme celle-ci, je pense que c’est positif pour Newcastle et nous sommes vraiment enthousiastes », affirme Alex Hurst, président de l’association des supporters NUST. Si les fans attendent cette aubaine, c’est parce que leur club n’est plus que l’ombre de lui-même depuis bon nombre d’années. Actuellement enraciné en deuxième partie de tableau ou luttant parfois pour le maintien, Newcastle a connu deux relégations en Championship sous l’ère Ashley. « Les investisseurs ont fait savoir leur envie de transformer Newcastle en un prétendant européen, c’est ce que les fans attendent : un club avec de l’ambition, comme nous l’avons connu dans les années 1990 sous Kevin Keegan », explique Lee Ryder, journaliste au Chronicle.

Treize ans que le businessman britannique est à la tête des Magpies, et le divorce avec les supporters semble, cette fois, inévitable. Outre les mauvais résultats, ces derniers reprochent à Ashley de ne pas investir l’argent à bon escient. Les transferts sont trop peu ambitieux à leur goût, et le changement de nom du St James’ Park n’a jamais vraiment été digéré. Goutte d’eau qui fait déborder le vase, la direction refuse de rembourser les abonnements et les billets de matchs prévus à huis clos en raison du coronavirus. « Il a fait énormément de mauvaises choses, la relation entre les supporters et Mike Ashley est totalement brisée. C’est pourquoi ce changement est nécessaire, il y a besoin d’une nouvelle direction qui redonnerait un nouveau souffle », précise Chris Waugh, journaliste pour The Athletic UK.

… ou le nouveau Leeds ?

D’un point de vue sportif, l’arrivée du prince serait donc une bénédiction pour le club qui pourrait faire son retour sur le devant de la scène. « Cela pourrait vraiment être une bonne chose pour le club, ça lui permettrait d’avoir les ressources nécessaires pour devenir un concurrent sérieux de Premier League », juge l’ancien défenseur Warren Barton, qui a connu les dernières belles années de Newcastle sous les ordres de Kevin Keegan à la fin des années 1990. Bien que la majorité des fans soient convaincus par ces nouveaux investisseurs, « on espère simplement que notre équipe joue du vrai football et qu’elle ne sera pas uniquement utilisée comme un intérêt financier aux yeux d’un homme d’affaires », commente Alex Hurst.

Quelques-uns d’entre eux restent partagés quant à l’approche des Saoudiens. « L’argent, c’est bien, mais il faut l’investir correctement. On peut devenir un City, mais on peut aussi devenir un Leeds. Tout dépendra du projet, s’ils incluent les fans dedans et s’ils conservent l’aspect traditionnel », ajoute Anthony Petit, auteur de la page Twitter Newcastle_FR. Quoi qu’il en soit, les fans n’ont pas vraiment leur mot à dire. Et deux mois après les prémices de ce rachat, l’affaire est loin d’être dans le sac.

Un rachat qui pose question

Afin de s’offrir une vitrine en Angleterre, le prince héritier doit encore passer la fameuse étape du test devant les propriétaires et administrateurs de Premier League. Pour donner leur aval, ces derniers se basent sur des critères précis dont le principal est la solidité financière des investisseurs. Mais il existe également des facteurs disqualifiants, dont celui de la probité. Si dans le cas du consortium saoudien, le premier critère n’est qu’un détail, le second pose en revanche davantage problème. En effet, l’Arabie saoudite est régulièrement pointée du doigt pour son irrespect des droits de l’homme, et plusieurs voix se sont donc élevées contre ce rachat. Parmi elles, celle de Yousef al-Obaidly, directeur général de beIN Sports.

La raison ? L’Arabie saoudite est soupçonnée d’être à l’origine de BeoutQ, le plus grand piratage mondial. Depuis l’été 2017, la totalité du bouquet sportif qatari est diffusé gracieusement dans le monde arabe. Mais qui pourrait bien se cacher derrière cette mascarade ? Pas vraiment de place au doute, surtout que la chaîne est apparue quelques mois à peine après la rupture diplomatique entre les deux nations ennemies. Si l’Arabie saoudite nie toute implication, cela ressemble à un énième coup fourré du prince héritier dans sa rivalité qui l’oppose au Qatar. En s’amusant à jouer les pirates, Mohamed ben Salmane aurait ainsi fait perdre plusieurs milliards d’euros au groupe qatari.

Un piratage comme boulette

« On est quasiment sûr que ce piratage provient de l’Arabie saoudite. Il a été appelé, pas par hasard, « BeOutQ ‘Be out Qatar » (« Que le Qatar dégage ») et a tous les stigmates de ce type d’opération qui vient généralement des Émirats ou de l’Arabie saoudite », pointe le professeur Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques et chercheur spécialiste du Moyen-Orient associé à l’université libre de Bruxelles et à l’université de Montréal. L’affaire ne s’arrête pas là, puisque les pirates ont fait évoluer leur offre en s’attaquant aux chaînes anglaises Sky Sports et BT Sport.

Résultat : des millions de personnes ont accès à la totalité des rencontres sportives, sans avoir à débourser le moindre centime. Un préjudice conséquent pour le championnat anglais, dont les clubs vivent en grande partie des droits TV. D’après The Guardian, avant de rendre son verdict final, la Premier League attendrait de recevoir un rapport rédigé par l’Organisation mondiale du commerce. Lequel prouverait la culpabilité des Saoudiens, dans cette affaire. Ce manifeste qui arrivera mi-juin pourrait porter un coup d’arrêt définitif au rachat, pourtant si bien parti, des Magpies.

L’Arabie saoudite à la recherche du nouvel or noir

En achetant un club européen, l’Arabie saoudite prône sa volonté de diversifier son économie principalement basée sur la rente pétrolière. « Elle sait qu’elle ne pourra pas compter sur le pétrole éternellement. L’objectif du rachat est l’ouverture du pays, la modernisation et la libéralisation, mais elle se fait de manière très chaotique », indique Sébastien Boussois. En réalité, avec cette entrée dans le monde du sport, le prince héritier compte améliorer son image entachée par de multiples agissements allant à l’encontre des droits de l’homme.

« L’Arabie saoudite fait de la dissimulation par l’art, elle cache une partie de son agenda politique par une intégration dans ce que les gens aiment : le jeu, la culture ou encore l’éducation. C’est exactement ce qui est en train de se passer avec Newcastle », explique-t-il. Le prince héritier a été vivement critiqué, que ce soit pour le déclenchement du blocus contre le Qatar, la guerre au Yemen ou encore l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Plus qu’une opération séduction utilisée pour redorer son blason, le football apparaît ici comme un véritable outil politique au cœur d’une bataille géopolitique.

Bataille avec le Qatar

« Avec Newcastle, il y a une volonté de s’ingérer et de faire comme le Qatar. Le prince veut faire une sorte de PSG, afin de pouvoir peser médiatiquement », poursuit Sébastien Boussois. En achetant le club anglais, l’Arabie saoudite entrerait en concurrence avec son grand rival sur un tout nouveau terrain. Terrain que le Qatar s’est largement approprié ces dernières années, avec le projet du Paris Saint-Germain. Le petit émirat se targue également d’avoir obtenu l’organisation du prochain mondial, en 2022. Un succès en matière de diplomatie sportive qui fait grincer les dents de Mohammed ben Salmane. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé : en plus d’avoir obtenu l’organisation du Paris-Dakar 2020, l’Arabie saoudite s’est vue attribuer en janvier dernier la finale de la Supercoupe d’Espagne. Ses investissements sportifs se font de plus en plus ambitieux, mais sont à chaque fois voués à l’échec.

« Le problème de l’Arabie saoudite est la manière dont elle s’y prend, Mohamed ben Salmane n’est pas un homme d’affaires. Je ne vois pas en quoi des investisseurs peuvent être rassurés d’investir en Arabie saoudite ou d’ouvrir leur capital à Riyad, quand on voit la situation et l’image du prince héritier », conclut Sébastien Boussois. Pour le moment, aucune décision n’a été prise quant au rachat de Newcastle United. En attendant le verdict, les supporters des Magpies continuent de croiser les doigts.

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Par Chloé Saunier

Propos de AH, LR, CW, AP, WB, et SB recueillis par CS

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