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Newcastle et l’ère des « entertainers »
Il y a peu, Newcastle United célébrait les 122 ans de son existence faite de malchance, de désillusions et de joies éphémères. Si le club anglais est aujourd'hui une formation moyenne de Premier League, presque banale, ce n'était pas le cas à une époque pas si lointaine. Entre 2001 et 2004, les Magpies ont enchanté le Royaume et fait trembler les cadors. Hommage à une équipe enivrante, mais trop souvent oubliée dans la mémoire collective.
Le temps et l’histoire l’ont prouvé à maintes reprises. Les grands hommes font les grandes époques. À travers leurs décisions, leurs prises de positions ou leurs discours. Disparu en juillet 2009, le très regretté sir Bobby Robson était de ceux dont le simple nom suffisait à imposer le respect. Statufié aux abords de l’enceinte de St James’ Park, l’homme du comté de Durham savait se distinguer tout en sobriété. Par son attitude racée, par de simples mots capables d’exalter, de transcender, d’enfiévrer un peuple de Newcastle qui n’avait alors jamais semblé aussi fier qu’au début des années 2000 : « Qu’est-ce qu’un club dans tous les cas ? Ce ne sont pas les bâtiments, les dirigeants ou les gens qui sont payés pour le représenter. Ce ne sont pas les contrats de télévision, les clauses de sortie, les services marketing ou les comités exécutifs. C’est le bruit, la passion, le sentiment d’appartenance, la fierté dans votre ville. C’est un petit garçon montant les marches du stade pour la première fois, serrant la main de son père, restant bouche bée face à l’étendue de la pelouse qui se présente en dessous de lui et qui, sans être capable d’expliquer pourquoi, ne peut s’empêcher de tomber amoureux. »
À une époque, oui, Newcastle pouvait compter sur un manager charismatique. À une époque désormais révolue, les Magpies n’étaient pas un club où pléthore de joueurs moyens de Ligue 1 venaient trouver refuge, mais formaient l’une des formations les plus redoutées et décomplexées du Royaume. C’était un autre temps, un autre football. De 2001 jusqu’à 2004, le Newcastle de Bobby Robson a bousculé toute logique, s’invitant à la table des plus grands (4e, 3e et 5e de Premier League). Trois saisons d’enchantement, d’insouciance, de football plaisir offert chaque semaine. « On faisait notre petit bonhomme de chemin en prenant énormément de plaisir. C’était vraiment magnifique de travailler là-bas, pose d’entrée Laurent Robert, la voix un brin chancelante au moment de narrer ses plus belles années. On était tous les jours ensemble avec les joueurs, on se retrouvait après les matchs pour aller boire des coups ensemble. Ça nous a beaucoup rapproché et c’est, sans doute, ce qui a fait la force de Newcastle à cette période. » Des souvenirs empreints d’une telle joie méritaient forcément un hommage.
Bobby Robson, figure paternelle et aimante
Se replonger dans ces années fastueuses ne peut se dissocier du rôle tenu par Bobby Robson. L’entraîneur britannique, nommé en septembre 1999 à l’âge de soixante-six ans, est arrivé avec une expérience conséquente. Fort de ses passages à la tête des Three Lions, au PSV Eindhoven ou au FC Barcelone, il a rapidement apposé sa patte sur l’effectif. Après deux années à tâtonner et mettre en lumière les principales lacunes, sir Bobby dessine les contours de son groupe à l’été 2001 avec notamment les arrivées de Laurent Robert et Sylvain Distin – prêt avec option d’achat – du PSG, de Jermaine Jenas et Craig Bellamy. « La réussite du club ? On la devait avant tout au manager, puis aux personnes chargées du recrutement » , souligne l’ancienne gâchette gauche du club de la capitale. Au-delà des nombreux jeunes qui garnissent l’effectif, la Toon Army s’appuyait sur des joueurs chevronnés chargés de les encadrer. « On avait un groupe très jeune, mais aussi de grandes personnalités comme Gary Speed et Alan Shearer qui avaient la trentaine. Le reste devait tourner autour d’une moyenne d’âge de 22 ans, se remémore pour sa part Olivier Bernard, latéral gauche à cette époque. Mais ces jeunes joueurs avaient la volonté de se dépasser, de devenir aussi de grands joueurs. Tout le monde travaillait pour être une star. C’était la principale force de notre équipe. C’est cela qui a fait la différence dans la continuité sur trois années. »
« Ça m’a changé de l’autre gros casse-couilles de Luis Fernandez… »
C’est sans doute la plus grande réussite sous Robson : opérer un audacieux amalgame entre jeunes et expérimentés, personnalités émérites et seconds couteaux, en ayant la même considération pour chacun, comme se souvenait il y a quelques années l’honnête défenseur Warren Barton. « Sir Bobby s’est approché de moi et m’a dit « Bonjour Warren, comment allez-vous ? » Juste le fait qu’il connaissait mon nom était un grand compliment quand on considère les joueurs qu’il a entraînés (Gascoigne, Lineker, Figo, Van Nistelrooy, Ronaldo entre autres). Dès le moment où il est arrivé, les difficultés et l’incertitude ont disparu. Il était plein d’énergie, de volonté, de charisme, de passion, et cela a immédiatement déteint sur tout le monde. » Et Laurent Robert, meilleur passeur du championnat dès sa première saison (15 assists), d’éclairer un peu plus sur le management de son ex-défunt boss : « C’était un père pour nous les joueurs. Il était toujours là pour nous mettre dans les meilleures conditions. J’ai vraiment eu une relation particulière avec lui. Tous les joueurs qui l’ont côtoyé te diront qu’il était proche d’eux. Il communiquait beaucoup avec nous et prenait toujours de nos nouvelles. C’était vraiment quelqu’un de très protecteur. Avant d’arriver à Newcastle, je ne savais pas qui était Bobby Robson. Mais j’ai vite compris que ce n’était pas n’importe qui. C’était une personne écoutée et respectée. Ça m’a changé de l’autre gros casse-couilles de Luis Fernandez… (rires) »
Sur le terrain, ses ouailles lui ont rendu la pareille à merveille. Technicien qui mettait la créativité au cœur de son système, Robson a toujours adopté un jeu résolument offensif. Un style assumé qui lui a valu l’adhésion de son groupe. L’ossature de l’équipe se voulait limpide dans un 4-4-2 traditionnel : le sous-estimé Shay Given dans les bois derrière un back-four pas franchement clinquant composé de Hughes-O’Brien-Griffin (ou Dabizas)-Bernard (ou Elliott). C’est devant que Newcastle distillait du rêve. Au milieu, l’élégant Gary Speed jouait les régulateurs aux côtés du véloce Kieron Dyer (ou Jermaine Jenas), tandis que le Péruvien Solano et Robert devaient alimenter Bellamy en électron libre et Shearer en finisseur. « Notre jeu était basé sur la contre-attaque, étaye un Bernard nostalgique. On essayait de récupérer le ballon assez haut et on pouvait compter sur six joueurs qui allaient vraiment très vite. À la récupération du ballon, on se projetait rapidement vers l’avant. On a mis en porte-à-faux de nombreuses équipes avec ce style de jeu. Puisqu’on était jeunes, on faisait preuve de fougue, on calculait beaucoup moins. Même les grandes équipes de l’époque, Manchester United et Arsenal, se demandaient comment contenir Newcastle. » Grâce à cet état d’esprit, les Magpies se sont payés Manchester United (4-3, septembre), Arsenal (1-3, décembre, soit la première victoire à Highbury depuis 1997 !) et Tottenham (1-3, janvier) en 2001-2002, Chelsea (2-1, mars) la saison suivante, puis lors de l’exercice 2003-2004 (2-1, avril). « À partir du moment où on avait notre groupe au complet, on pouvait battre n’importe qui » , lâche l’ancien latéral français. Et c’est ce qui explique que le club du Tyne and Wear s’est érigé en trouble-fête dans un Big Four habituellement si figé.
Outre l’émulation collective qui portait l’équipe et des recrues venues apporter leur touche (Woodgate, Bramble et Bowyer notamment en 2003), Newcastle United comptait dans ses rangs l’un des plus illustres attaquants dans l’histoire du championnat anglais en la personne d’Alan Shearer. La trentaine passée au début des années 2000, il a dû se réinventer. Considéré comme un « static player » sous Ruud Gullit (1998-1999) qui lui recommandait de jouer dos au but, Shearer redevient un artilleur prolifique avec Robson (80 pions toutes compétitions confondues de 2001 à 2004), lequel a su utiliser avec sagacité ses qualités. « Pour faire simple, disons que Shearer, c’était le Maradona de Naples, le Pelé du Brésil. En Angleterre, c’était un monument. On ne parle plus d’un joueur, mais d’une idole pour tous les jeunes de Newcastle. Hors de question de le mettre sur le banc, hors de question de lui dire qu’il a fait un mauvais match. Il fallait s’en inspirer » , soutient en longueur Bernard. Même sentiment éprouvé par Laurent Robert quand il s’agit de mettre des mots sur celui qui garde toujours le titre de meilleur buteur dans l’histoire de la Premier League (260) : « En duel et en un contre un, il était très très fort. Mais son point de fort, ça restait son jeu de tête et il était imprenable dans les seize mètres. Il faisait un gros travail en dehors des entraînements avec notre préparateur physique et en gym pour être vraiment au top. Le recrutement avait d’ailleurs été fait sur mesure pour lui. Le jeu était vraiment basé autour de lui. Il retenait l’attention des défenseurs, et Solano, Bellamy ou moi, on pouvait aussi créer la surprise. » À l’instar de sir Bobby, la trace de l’ancien capitaine des Toons demeure encore aujourd’hui indélébile et intemporelle.
Pas de titres, mais des frissons
Comment expliquer alors qu’une équipe bénéficiant autant d’atouts n’a jamais pu aller chercher la couronne nationale au cours de cette période éclatante, à l’instar de Leeds United en 1992 ou Blackburn trois ans plus tard ? Lucide, Shearer avançait un élément de réponse évident en janvier 2004. « Gagner un titre est l’une des raisons pour lesquelles je suis venu ici. Les plus grands succès s’accompagnent de trophées, exposait-il. La seule chose – et c’est quelque chose d’important – qui manque, c’est cela. Tout le reste est fantastique autour. Cette saison, on a des bons et des mauvais moments. La seule explication, c’est que Manchester, Arsenal et Chelsea se sont montrés bien meilleurs que tout le monde. Point. Ce serait génial d’atteindre leur niveau, car nous n’avons pas la même puissance financière que ces clubs. » Avant de conclure : « En étant réaliste, nous avons plus de chances de remporter une Coupe comme la FA Cup ou la coupe de l’UEFA où nous sommes encore engagés. » Mais, là encore, Newcastle a échoué en se hissant seulement en quarts de finale de FA Cup et League Cup (saison 2001-2002) lors de ses trois années florissantes. Surtout, le grand regret reste cette demi-finale de Coupe de l’UEFA perdue contre Marseille en 2004 (0-0 ; 2-0).
« On a eu trop de blessés. Il y avait un très grand Drogba mais, cette année-là, on avait une cascade d’absents (Bellamy, Jenas, Dyer et Woodgate étaient out, ndlr)… Avec notre véritable starting eleven, je pense que ça aurait été une autre histoire » , suggère, convaincu, Olivier Bernard. Pourtant, faute de titres, ce Newcastle-là a marqué de son empreinte son temps. « Je vis encore à Newcastle et on m’en parle à chaque fois que je sors de chez moi. On était les « Entertainers » (en référence au Newcastle de Kevin Keegan en 1993-1994 affublé du même sobriquet, ndlr), voilà comment le public nous surnommait au début des années 2000. On jouait pour marquer, donner du spectacle. Souvent, on gagnait 4-2, 3-2, 5-4… Et même si on perdait, on faisait le show » , insiste le Frenchy, désormais propriétaire de Durham City, situé dans le Sud de Newcastle upon Tyne. Grand artisan de ces belles saisons, Laurent Robert n’en dit pas moins à travers quelques parcelles de souvenirs révélateurs de l’atmosphère d’antan. « Les fans poussaient tout le temps. J’avais des frissons sur le terrain tellement c’était puissant comme sensation, confie-t-il, presque mélancolique. Il y a certains matchs que je finissais où j’avais mal à la tête à cause de tous les chants (rires). C’était énorme quand St James’ Park se mettait à scander ton nom. Je peux te dire qu’on avait tous les poils qui se hérissaient… C’était le feu à l’époque. » Voilà sans doute après quoi court le peuple Geordie aujourd’hui. Frémir. Vibrer. Et cela, qu’importe l’absence de trophée depuis 1955.
Par Romain Duchâteau