- Allemagne – 16 janvier 2007 – Le jour où…
Neuf années de football sans Deisler…
Il y a 9 ans jour pour jour, le plus grand talent du foot allemand du début des années 2000 annonçait sa retraite. À 27 ans, Sebastian Deisler disait stop aux souffrances morales et physiques infligées par un monde qui n’était définitivement pas fait pour lui.
Il faut se mettre à l’esprit qu’on peut être béni des dieux pour exercer une activité qu’on n’aime pas. De même qu’on peut adorer pratiquer une discipline que jamais on ne réussira à maîtriser. Sebastian Deisler est l’exemple type du talent fou d’un sport, le football, qui ne lui aura pas permis de s’épanouir. C’est dommage, c’est excessivement frustrant même, mais c’est ainsi. Il a bien dû se résoudre à renoncer et à l’annoncer. C’était le 16 janvier 2007, en pleine trêve hivernale en Allemagne : l’un des maîtres à jouer du grand Bayern de Munich, qui a fêté ses 27 ans onze jours plus tôt, déclare que la saison de Bundesliga reprendra sans lui. Que le monde du football continuera de tourner sans lui. Qu’il s’en éloigne définitivement pour son bien physique et psychique. Qu’il quitte un sport qui l’avait élevé au rang de star, mais qui a bien failli le détruire. Le temps de s’arranger à l’amiable avec son employeur, le Bayern, avec qui il était encore sous contrat pour deux saisons et demie, le temps aussi d’écrire son autobiographie pour tenter d’expliquer l’inexplicable. Puis il a disparu des écrans radars des plus fins observateurs de l’actu foot. La comète Deisler est de l’histoire ancienne. Aux dernières nouvelles, il était devenu gérant d’un magasin spécialisé dans l’artisanat du Népal à Fribourg. Très loin de sa carrière de footballeur pro, qui aura duré à peine neuf ans.
Au Hertha, une histoire d’amour qui finit mal
Elle débute en 1998 à Mönchengladbach où le natif de Lörrach, une petite ville à l’extrême Sud-Ouest de l’Allemagne, a achevé sa formation. Les Borussians galèrent, mais déjà, le jeune Deisler illumine le terrain par son jeu de passes, son intelligence et sa vision du jeu. Dès 1999, c’est un Hertha Berlin ambitieux qui récupère le joyau. Le club de la capitale vient de terminer sur le podium de la Bundesliga et ambitionne de briller à la fois en championnat et en Ligue des champions, une compétition qu’il découvre. La plus belle des scènes continentales est le lieu rêvé pour achever de convaincre les derniers sceptiques : avec Preetz, Daei, Dárdai ou encore Wosz, Deisler s’éclate en C1, et le Hertha en profite pour surprendre de prestigieux adversaires, dominant notamment le Chelsea de Deschamps, Desailly et Lebœuf, mais surtout le grand Milan de Shevchenko, Bierhoff, Maldini et Leonardo. Dans la foulée, c’est l’Euro 2000. Deisler a 20 ans, il est le cadet d’une sélection vieillissante (Matthäus, Kirsten, Hassler, Bierhoff…) qui se fait piteusement sortir au premier tour.
L’Allemagne se cherche de nouveaux héros et les trouve dans les deux plus jeunes de l’équipe, Deisler et Ballack, trois ans plus âgés. Les seuls épargnés par la critique. Le nouveau sélectionneur Rudi Völler, ainsi que la figure tutélaire Franz Beckenbauer adoubent le Berlinois. Problème : le gamin s’avère fragile, très fragile. Ses genoux d’abord posent problème, avec une première rupture des ligaments croisés, puis il se déchire la membrane synoviale du genou droit en octobre 2001, ce qui le laisse sur le flanc le restant de la saison. Une absence des terrains qui n’empêche pas le grand Bayern de Munich de s’intéresser à la nouvelle star du football allemand. Avant l’issue de la saison 2001/02, le Hertha et le Bayern s’entendent sur une transaction, mais l’accord, qui est censé rester secret, fuite dans la presse. Scandale : Deisler est accusé de trahir le club qui l’a révélé, accusé aussi d’avoir négocié un juteux contrat, puis d’avoir joué les cachottiers plutôt que de se soigner. Le manager du Hertha, Dieter Hoeness, ne dément pas et laisse les médias et les supporters se déchaîner. Dans son autobiographie, Deisler expliquera que c’est à partir de ce moment et de ce qu’il considère comme une trahison de Hoeness, qu’il considérait comme son mentor, qu’il a commencé à se dire que le monde du football, ce n’était peut-être pas pour lui.
Au Bayern, l’impossible succession d’Effenberg
Au FC Hollywood, la pression est énorme et les angoisses de Deisler l’introverti ne font que croître, d’autant que son corps ne le laisse jamais longtemps tranquille. Il a pourtant la confiance et le soutien de son entraîneur Ottmar Hitzfeld, originaire de la même petite ville de Lörrach et à l’origine de sa venue à Munich pour assurer la succession d’Effenberg. Mais hériter des responsabilités du « Tigre » n’est pas chose aisée et l’état dépressif de « Basti Fantasti » ne s’arrange pas, bien au contraire. Fin 2003, il est hospitalisé à l’institut de psychiatrie Max Planck de Munich où il est soigné pour une forme de burnout. En 2005 néanmoins, son corps et sa tête semblent vouloir le laisser un peu tranquille, et Deisler, dans l’axe ou sur l’aile droite, en profite pour enchaîner les prestations de haut vol, de nouveau. Avec Ballack et Zé Roberto notamment, ils forment un sacré trio de milieux offensifs derrière Makaay et Pizarro.
La technique soyeuse, l’ex du Hertha régale à quelques mois de la Coupe du monde à domicile. Il en sera l’une des stars, c’est évident. Mais en mars 2006, il est encore arrêté pour un problème de synovie au genou et manque le rendez-vous planétaire, comme quatre ans plus tôt. Il faut imaginer les efforts surhumains à chaque fois pour récupérer de ces blessures, souffrir comme souffre Guivarch dans Les Yeux dans les Bleus pour ne citer qu’un seul exemple… À force, le mental déjà friable du prodige a fini par lâcher et l’idée de faire carrière dans le foot par l’abandonner. S’il revient à la compétition en novembre de la même année, le ressort est cette fois définitivement cassé. Deisler dispute son dernier match pro début décembre à domicile face à l’Energie Cottbus en remplaçant Andreas Ottl à la mi-temps. Un mois plus tard, il officialise l’arrêt de sa carrière. Il n’aura finalement pu disputer que 135 matchs de Bundesliga (18 buts, 27 passes) et 21 de C1 (3 buts, 3 passes), entrecoupés de 15 blessures, de 5 opérations et d’une hospitalisation en HP. « Je n’étais simplement pas fait pour le business du football » , écrira-t-il dans son autobiographie parue en 2009. Il a eu l’honnêteté et le courage de le reconnaître.
Par Régis Delanoë