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Nérilia Mondésir, l’étoile d’Haïti à Montpellier
Nérilia Mondésir incarne une nouvelle génération de footballeuses haïtiennes. Arrivée en 2016 dans l'Hérault sur la pointe des pieds, l’attaquante de Montpellier était la première joueuse du pays antillais à poser ses crampons en D1 française. Six ans plus tard, « Nérigoal » s’est parfaitement acclimatée aux terrains et à la vie de l’Hexagone. Portait d’une femme qui ne cache plus ses ambitions, c'est-à-dire rejouer la Ligue des champions avec le MHSC et porter la sélection dont elle est la capitaine.
Nérilia Mondésir fait la moue. Ce n’est pas l’entraînement sous la trentaine de degrés au domaine de Grammont qui en est la cause, mais plutôt l’incompréhension en apprenant qu’un journaliste souhaiterait lui parler. Elle a pourtant des choses à raconter. Assise à une table de pique-nique sous l’ombre d’un pin, elle accepte finalement de replonger dans ses souvenirs, avant d’aller étudier en vidéo le placement de la défense de Bordeaux. Si la joueuse de 23 ans à Haïti est aujourd’hui une célébrité sur son île, elle l’était déjà en arrivant au MHSC à 17 ans. « Avant que je vienne en France, j’étais déjà une star chez moi, j’étais en sélection U15 et U17 et je marquais beaucoup », assure-t-elle calmement. Ce statut, elle devra le confirmer cet été lors de la Gold Cup féminine au Mexique. Et pourquoi pas dès le premier match face à l’ogre américain, le 5 juillet ? Nérilia Mondésir vient de trop loin pour se fixer des limites.
Kimono, bus et Barça
Le foot à Haïti, c’est le sport numéro un. Laurent Mortel, sélectionneur de l’équipe féminine nationale et un temps aussi des U20 féminines entre 2019 et 2020, est encore marqué par cet enthousiasme. « Il y a aussi un engouement chez les Grenadières(le surnom de l’équipe féminine, NDLR). Les Haïtiens sont passionnés par le foot. Ils sont à fond sur les réseaux sociaux et la radio, il y a des émissions en permanence. Les filles sont considérées comme une fierté, déroule le nouvel entraîneur des filles de l’ASSE. Quand vous prenez le bus après le match, il y a une foule autour. Parfois, c’est même dur de rentrer dans le bus, car beaucoup de monde veut approcher les joueuses. » De son côté, la jeune Nérilia ne rêvait pas de taper dans le ballon au plus haut niveau ni d’intégrer la sélection, mais plutôt d’enfiler un kimono. « Ma venue dans le football, c’est une longue histoire, se marre-t-elle. Je jouais pour le plaisir avant, je pratiquais le judo. Le foot, c’était quand je m’ennuyais. Je n’ai pas réussi au judo et je me suis dit pourquoi pas jouer au foot. » La suite : elle enchaîne but sur but et se fait repérer par un agent local, Billy Charlera. « Il m’a vu jouer une fois en U17, je crois, poursuit-elle. Je parlais avec les filles et je disais que mon plus grand rêve était d’être professionnelle et il m’a entendu. Il est venu vers moi et m’a dit que c’était possible, et cela s’est fait comme ça. » Des problèmes de visa l’empêchent de passer un essai à Lyon, cela sera donc à Montpellier.
« C’est la seule et unique fille que l’on a eue à l’essai. Autant chez les garçons c’est fréquent, autant chez les filles on les connaît, on suit, mais là pas du tout », lâche Jean-Louis Saez, alors entraîneur du MHSC en ce mois d’août 2016. Du haut de ses 17 ans, elle doit convaincre son coach de la conserver à l’occasion d’un tournoi de présaison à Albi. Seulement, l’adversaire se nomme le FC Barcelone. Un problème ? Quel problème ? Le coach du MHSC est de suite emballé : « Autant, parfois, c’est difficile sur un match avec l’adaptation, le collectif… Mais elle, elle avait quelque chose, elle était très maline, capable de se positionner dans la récupération entre deux, d’être à l’affût pour gratter le moindre ballon. Dans l’utilisation de balle et la percussion, elle était capable d’avoir des qualités de dribble, de technique. Je dirais qu’à part son pied gauche qui ne servait qu’à monter dans le bus, c’est une joueuse qui m’a paru très complète. »
L’actuel directeur sportif est conquis, le deal est signé, et Nérilia Mondésir traverse l’Atlantique pour de bon en début d’année 2017. « Lors de mon premier entraînement, c’était ma première dans une équipe pro, je me suis faite toute petite, je ne savais pas comment réagir. J’étais stressée, mais c’est le foot : tu stresses, mais tu veux faire mieux que les autres. Les filles m’ont prodigué plein de conseils et ça m’a boosté », décrit l’attaquante. Entre le football haïtien et le football français, elle avoue qu’il y a « beaucoup de différences : dans le jeu, le rythme, la technique. Il y a de bonnes joueuses à Haïti, mais c’est très différent. Physiquement, c’est plus dur ici. Quand je suis arrivée, je ne pouvais pas tenir 90 minutes. »
De Quartier-Morin à Montpellier
Si la jeune femme doit s’habituer aux changements sur le rectangle vert, ceux de la vie quotidienne sont également très importants. 7500 kilomètres séparent Montpellier de sa ville natale, Quartier-Morin. Un véritable choc culturel, qui ne la perturbe pas tellement. « Être loin de ma famille, j’y étais habituée, car depuis petite, je faisais des voyages pour aller en ville pendant un mois, six mois pour m’entraîner à l’académie Camp-Nous. Ça ne me faisait pas peur. Dans ma tête, je me suis dit que c’est ce qu’il fallait faire. Être attachée à ma famille, c’est bien, mais pouvoir aller chercher quelque chose ailleurs pour les aider, c’est mieux », explique-t-elle sereinement. Jean-Louis Saez invoque lui le fameux esprit paillade : « Même si elle parlait français, c’est lui donner une scolarité normale au lycée, un bagage pour s’intégrer dans la vie sociale pour l’après-foot, des heures de français et de soutien scolaire. »
Ville étudiante, Montpellier peut rapidement devenir un piège pour une jeune joueuse. Le centre-ville compte nombre de bars et de boîtes de nuit pour faire la fête, de restaurants pour faire des écarts ou de centres commerciaux pour claquer tout son salaire. Pas pour Nérilia Mondésir. « Elle a eu son chez-elle, elle a su se débrouiller en prenant les transports en commun, en étant autonome, en s’ouvrant aux autres et en étant discrète, développe Laurent Mortel, son entraîneur au centre de formation languedocien. Nérilia est quelqu’un de très discret. Elle s’était très bien acclimatée à la culture européenne. Elle avait même cherché un autre logement pour se rapprocher encore plus du complexe d’entraînement pour se faciliter les déplacements et optimiser son temps. Elle ne vit que pour le foot. » Pour des anecdotes croustillantes ou des traces de bêtises d’adolescente, ce n’est donc pas vers l’attaquante qu’il faut se tourner. Confirmation de Laurent Mortel : « Quand il y a des moments conviviaux organisés par les joueuses, elle hésite à s’ouvrir et à y aller, car elle veut être focus sur son entraînement et son match. Elle se refusait parfois d’y aller. Elle a un haut niveau d’exigence et avec ce qu’elle a vécu à Haïti, ce n’était pas possible de s’autoriser ces ouvertures. Elle s’est familiarisée avec ça, mais avant, c’était rédhibitoire pour elle de faire ce genre d’écart, ce n’était pas acceptable de faire autre chose que du foot. »
Haïti, c’est Mortel
Le statut de Nérilia Mondésir sur son île, c’est Laurent Mortel qui en parle le mieux et pour cause : « Je suis devenu sélectionneur, car j’entraînais Nérilia en jeunes à Montpellier. Le fait d’avoir travaillé avec Nérilia m’a permis de tisser des liens avec la Fédération et de devenir sélectionneur. Être son coach m’a permis d’avoir le poste, tout comme le sélectionneur actuel (Nicolas Delépine) entraîne deux Haïtiennes à Grenoble (Jennifer Limage et Sherly Jeudy). » Une fois à Port-au-Prince, il découvre « des filles qui ont de vraies qualités intrinsèques, très explosives, qui ne rechignent pas à la tâche, très disciplinées et très respectueuses. Là où il y a quelques manques, c’est sur la partie tactique. » Les mêmes constats effectués sur le niveau de Mondésir à son arrivée en France : « Elle devait être capable de jouer en fonction d’elle, mais surtout en fonction des autres, tout ce qui est jeu sans ballon, compréhension du jeu. Pour basculer à un certain niveau, il faut plus que des qualités physiques. Mais je n’avais aucun doute sur sa réussite. »
Le technicien est tellement convaincu qu’il s’est empressé de la nommer capitaine des Grenadières dès sa nomination : « À partir du moment où c’était la seule qui jouait en D1 en France, cela me semblait évident, de par son parcours et son expérience. C’était un exemple de réussite pour ses compatriotes et elle était acceptée et reconnue par toutes. Humainement, elle est irréprochable. Quand elles sont ensemble en sélection, ce ne sont plus les mêmes joueuses. Être avec la patrie, c’est très important, comme sur l’aspect religieux avec les croyances. Elle est capable de prendre la parole. Elle a l’aura qui fait que lorsqu’elle parle, elle est écoutée. » Une Zinédine Zidane à la sauce haïtienne, et dans la petite île antillaise, il faut dire que le statut de la joueuse se rapprocherait presque de celui de ZZ. « Nérilia c’est LA star, c’est Nérigoal, poursuit l’ancien prof de STAPS à Montpellier. Elle vient d’en bas, elle a tout sacrifié pour avoir une réussite dans le football en France. Tout le monde veut épouser son parcours. » Ce nom de scène est peut-être la seule chose qui perturbe la joueuse héraultaise : « J’aime le surnom quand je marque, c’est un plaisir. Mais quand je ne marque pas, c’est difficile de m’appeler Nérigoal. Pour ça, il faut que je marque. »
Un modèle et des manques
Depuis que Nérilia Mondésir est devenue la première Haïtienne à évoluer en D1 féminine en 2017, un fort contingent s’est formé : Batcheba Louis et Roselord Borgella sont à Issy, Kethna Louis et Melchie Dumornay à Reims… Un effet Mondésir ? Pas selon la principale intéressée : « Pour nous, les filles, c’est très difficile de jouer au foot à Haïti, de s’affirmer, il n’y a pas de professionnalisme. Je pense qu’on n’avait pas de contact avant, et en Haïti, si tu es toute seule, tu ne peux pas débarquer en France faire un stage ou trouver un contrat. C’est ce qui a changé. C’est toujours une fierté de recroiser mes compatriotes face à moi. On se chamaille, on se dit : « Tu ne vas rien faire, c’est moi qui vais gagner. »Ça nous motive. » Le football haïtien serait-il définitivement lancé ? « Je pense que dans l’équipe A, il y a des choses qui se rapprochent du niveau européen. Elles sont désormais capables d’accrocher le Canada ou de tenir les USA », argumente Mortel. Son ancienne capitaine est plus nuancée et temporise : « Il manque beaucoup de choses au football haïtien : de la préparation, du professionnalisme, de bons dirigeants… Si je commence à tout dire, on en a pour très longtemps ! » Si elle ne peut pas tout changer dans son pays, elle espère faire bouger les choses à sa manière : discrètement et crampons au pied. Prochains objectifs : briller à la Gold Cup avant d’emmener son pays au Mondial 2023.
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— MHSC (@MontpellierHSC) June 9, 2022
Pour devenir une héroïne à Haïti, cela passera aussi par ses performances dans l’Hérault. Prolongée le 9 juin dernier (fidèle à ses habitudes, le club n’a pas révélé les détails du bail), elle doit s’imposer comme une titulaire indiscutable. « Je suis là depuis six ans et je dois faire plus, confesse-t-elle. C’est comme une famille, je me sens bien au MHSC, donc avant quoi que ce soit, je veux gagner un truc ici. Je veux remporter le championnat, je veux jouer la Ligue des champions ici, aller le plus loin possible et pourquoi pas la gagner. » Coupe aux grandes oreilles dans la besace ou non, des terrains vagues de Quartier-Morin au maillot orange et bleu, son parcours force déjà le respect. Un exemple pour toutes les petites Haïtiennes campées près du poste de radio. « À chaque fois que je pense à mon passé, je me dis que je viens de loin et je suis fière de moi, car j’ai beaucoup travaillé pour être là. Si j’arrive à m’affirmer, d’autres joueuses peuvent le faire. » Ça aussi, c’est son désir.
Loïc Bessière, à Montpellier
Tous propos recueillis par LB