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Neal Maupay : « Quand je dis que je joue à Brentford, on me demande où c’est »
Après une bonne saison à Brest, Neal Maupay a préféré signer dans l’ouest de Londres que cirer le banc dans le Forez. Le voici attaquant vedette de Brentford, club de Championship aux ambitions grandissantes. À seulement 21 ans, l’ancien Niçois, en sweat à capuche bleu foncé, son acné déclinante masquée par une barbe fine, ressemble toujours plus à un étudiant en IUT qu’à un joueur pro. Poli, posé dans un mobile home converti en salle de presse, il évoque ses premiers pas en Angleterre, revient sur ses débuts chez les Aiglons et raconte sa passion pour l’Argentine.
Après ta bonne saison à Brest, tu n’aurais pas pu tenter de jouer plus à Saint-Étienne ? Pourquoi ce choix de signer à Brentford ? Les émotions que tu as quand tu es sur le terrain, quand tu marques des buts, c’est indescriptible. Avec Brest, j’ai vécu des choses que je n’avais jamais vécues depuis que je joue au foot en professionnel. On a failli monter. À Saint-Étienne, le coach Óscar García m’a dit que je ne serais pas son attaquant numéro 1. Il voulait que je reste, mais ne pouvait pas me promettre de temps de jeu. Il m’a dit : « Honnêtement, moi j’irais dans un club où je pourrais jouer et progresser. » Alors je n’ai pas pris le risque de refaire une saison à Saint-Étienne sans jouer. Brentford, c’est un club qui fait attention à ses joueurs, qui ne recrute pas n’importe comment et qui essaie d’avoir un vrai projet. Ce n’est pas un gros club de Championship. Mais, sans faire de folie financière, ils essaient de passer un cap, après trois saisons en deuxième division. J’ai été séduit par le projet. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais je me sens vraiment bien ici. C’est un peu la même atmosphère qu’à Brest.
Les gens ne connaissent pas vraiment Brentford en France.La plupart du temps, quand je dis que je joue à Brentford, on me demande où c’est. Les gens ne savent pas forcément que c’est à Londres. Je ne vais pas vous mentir, moi non plus, je ne connaissais pas Brentford avant. J’y habite. C’est à une dizaine de kilomètres du centre de Londres. C’est vivant, très cosmopolite, il y a plein de petits commerces, plein d’écoles. Un restaurant polonais, un restaurant turc, des restaurants italiens. Un peu de tout.
Tu es né à Versailles. Tu as vécu en région parisienne ou tu as toujours vécu dans la région de Nice ?J’ai vécu deux ou trois ans en région parisienne, après ma naissance. Puis mes parents ont décidé de déménager en République dominicaine. Pour une expérience de vie. Ma mère est argentine et enseignait le français là-bas. Je n’y suis pas retourné, depuis, mais quand je vois des images, il y a plein d’hôtels, des maisons partout. C’est tout urbanisé. Quand j’y étais moi, il n’y avait rien. Pas de route, pas d’hôtels. C’était vraiment la campagne et c’était paradisiaque. Mes parents avaient des amis et je jouais avec leurs enfants. C’était extraordinaire. On avait une maison à cinquante mètres de la plage. On se levait en maillots de bain, on allait à la piscine. J’avais mon ballon sur la plage, je jouais sur les routes en terre. On est rentrés en France quand j’avais six ans. On a déménagé d’un endroit paradisiaque à un autre. Pour moi, Nice, c’est la plus belle ville de France. On était à Valbonne, un petit village à une demi-heure, avec plein de petites maisons provençales.
Tes parents faisaient quoi ?Ma mère est infirmière aide soignante à domicile et mon père est gérant d’une société de transport. Il a fait sport étude, donc il a aussi joué au foot. Il a joué quelques matchs de CFA. Il a joué au Red Star aussi.
Comment ta mère est-elle arrivée en France ?Par avion ? (Il pouffe de rire.) C’est un peu compliqué, je n’ai pas trop envie d’en parler… En Argentine, il y avait la guerre. C’était un peu compliqué. Elle a décidé de venir vivre en France quand elle avait environ vingt-cinq ans. Donc elle est très attachée à la culture argentine. À la maison, elle avait toujours son pot de maté. Maintenant, c’est un peu célèbre avec des joueurs de foot qui se prennent en vidéo avec ça, mais moi, j’ai toujours vu ça à la maison. Elle fait aussi des tartes argentines, et puis il y a le dulce de leche, la confiture de lait.
Quel est son club de cœur ?Ma mère supportait Boca Juniors. Mon grand-père maternel allait au stade. Quand j’étais petit, j’avais l’ensemble Boca Juniors. Je n’ai jamais eu l’occasion d’aller en Argentine, mais je regarde les derbys Boca–River. Parfois, comme c’est en pleine nuit, c’est un peu compliqué quand j’ai match ou entraînement le lendemain. Mais dès que je me lève, je regarde comment ça s’est passé et je trouve des rediffusions. Quand on t’apprend un truc tout petit, ça reste.
Pourquoi avoir fait les démarches pour obtenir la nationalité argentine ? Ma mère est très fière de ses origines. Moi aussi. J’adorerais aller là-bas. Je n’ai pas eu la chance de connaître ma famille du côté de ma mère, mais c’est quelque chose en moi. C’était naturel de faire cette démarche. Elle voulait qu’on le fasse petits, ma sœur et moi. Alors dès que j’ai eu l’âge de faire les papiers, je l’ai fait.
Tu as eu des idoles footballistiques argentines, du coup ?Je me suis toujours identifié à des joueurs argentins. Quand tu les vois jouer, tu les remarques directement. Quand je commençais à regarder la Ligue 1, à Lyon, j’adorais Lisandro López. Puis Tévez à Manchester United ou même Agüero aujourd’hui. J’adorais ce qu’ils dégageaient. Dans le style de jeu, il y a cette agressivité dans le bon sens du terme, cette manière de ne jamais rien lâcher, de toujours se battre. C’est quelque chose que les Sud-Américains ont en eux. J’aime ce supplément d’âme. On a l’impression qu’ils sont prêts à laisser leurs tripes. À mourir sur le terrain. À six ans, j’avais déjà ça sur le terrain. C’est quelque chose d’inné. Quand je fais quelque chose dans la vie, je le fais à 100% et sur le terrain c’est pareil. Certains critiquent ce genre de comportements. Comme quand Luis Suárez s’énerve, quand tu le vois râler… Mais ça peut faire gagner des matchs.
Comme tous les Argentins, tu es prêt à « mourir » sur le terrain ?Quand je suis sur le terrain, je suis prêt à te donner tout ce que j’ai. À ne plus pouvoir marcher tellement je suis fatigué. C’est quelque chose que vous ne pouvez pas comprendre… Je ne vais pas « mourir » , parce que ça reste du football, mais je suis prêt à finir sur les rotules. Ça m’est arrivé de finir des matchs à haute intensité et d’avoir mal partout. Comme quand on a gagné 3-0 à Bolton cette année. On a dû cravacher, beaucoup courir, parce que c’était une équipe physique. Quand la pression redescend, tu as mal partout. Et tu ne dors pas spécialement bien après ça.
Être argentin t’a permis d’avoir une relation particulière avec Dario Cvitanitch ?Oui. Quand je suis arrivé dans l’équipe première, il a su que j’étais argentin, alors il m’a un peu pris sous son aile. Mes parents allaient au stade et, un soir, Civelli et lui sont venus parler avec ma mère. Il a marqué 19 buts sur ma première saison. Il marchait sur l’eau alors qu’il faisait ma taille et allait encore moins vite. Il n’était pas puissant, il ne sautait pas haut. Et pourtant il était toujours placé au bon endroit et marquait dans toutes les positions.
Tu étais un gamin de Nice, on pensait que tu y resterais longtemps, et ça a surpris que tu signes à Saint-Étienne à 18 ans. Tu regrettes un peu ce choix ?Non. Je ne peux pas regretter d’être parti. Parce qu’à Nice, certaines personnes dans le club ne me voulaient plus. On m’a dit qu’on ne comptait pas sur moi et que je n’allais pas jouer. Ça m’a fait de la peine. Je l’ai un peu mal vécu. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi. Je pense que j’avais tout pour réussir à Nice. J’avais montré mes qualités, même brièvement. Les supporters m’adoraient, je les adorais, j’adorais vivre à Nice. C’était mon club depuis ma première année en benjamins. C’était mon club, ma ville, j’avais tous mes potes là-bas. Alors bien sûr que je voulais rester ! Il y avait un coach qui était en place, il avait ses joueurs, ses idées en tête. Mais je ne suis pas rancunier. Tout le monde peut se tromper. Moi aussi, j’ai dû faire des erreurs et je n’aimerais pas qu’on m’en veuille trois ans plus tard. Donc si je rencontre Claude Puel – parce qu’il s’agit de Claude Puel –, il n’y aura aucun souci.
On est obligé de parler de ton énorme occasion loupée contre Cardiff… Tu ne vois pas que le but était ouvert de l’autre côté ?Je n’ai pas vraiment d’explication. On fait un bon pressing avec l’ailier, on récupère la balle, il n’y a plus de gardien. Je prends mon temps. J’analyse bien la situation. Je vois le défenseur, mais au moment de tirer, je change d’avis. Et je loupe ! C’est la première fois que je loupe une action comme ça. Il fallait bien que ça arrive. Des fois, il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer. J’ai marqué des buts bien plus difficiles. Des ratés comme ça, il y en aura toujours. C’est tombé sur moi. Bien sûr, ça fait rire tout le monde. Bien sûr, c’était rigolo. Mais sur le coup, on perdait 1-0, c’était le but de l’égalisation et, deux minutes plus tard, on en prend un deuxième et on perd 2-0. Moi, c’est plus ça qui m’embête. D’avoir fait perdre des points à l’équipe. Mais si les gens vont chercher mes six buts de cette année, ils vont voir que j’en ai marqué des beaux. Il vaut mieux que ça arrive là que lors d’un match pour la montée.
Tu as 21 ans, mais tu as déjà cinq ans de carrière au haut niveau. Ça doit être bizarre, d’être si jeune et si expérimenté… (Il coupe.) En fait, je trouve ça cool. Quand on parle de moi, on oublie que j’ai fait 21 ans il y a trois mois. Certains commencent à jouer leurs premiers matchs en professionnel à 22 ans. J’ai de la chance. Même si j’ai 21 ans dans ma tête, je suis encore un gamin. Je ne vais pas me plaindre. On a de la chance de faire ce métier. Le plus beau métier du monde…
Propos recueillis par Thomas Andrei, à Isleworth