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Nathalie Iannetta : « Nous, supporters, avons un pouvoir : celui de nous abonner, ou non »
Nathalie Iannetta est en colère. L'ancienne conseillère jeunesse et sport du président de la République François Hollande, qui a également travaillé à l'UEFA de 2016 à 2018, est très remontée contre ce projet de Superligue. D'autant plus que son cœur est bianconero...
Tu t’es vivement exprimée sur Twitter à propos de la Superligue. Je cite tes mots : « honte, insulte, mascarade cynique ». Ce sont des mots forts. Oui… Ce sont des mots forts, mais ils sont à la hauteur de ma stupéfaction. Chez moi, en plus, c’est le double effet kiss cool. Je suis juventina, et le gars qui est à l’origine de ça s’appelle Agnelli… Quelle trahison, quelle erreur, quelle ingratitude. Quand c’est ton propre club, c’est terrible, ce qu’éprouvent les supporters de ces clubs aujourd’hui, c’est indescriptible, c’est une prise d’otage. Et le pire, c’est qu’Agnelli et Čeferin, ils sont très proches, Čeferin a raconté qu’il y a trois jours, Agnelli lui a dit : « Mais non, t’inquiète, ça ne se fera pas. » C’est une vraie trahison humaine, en plus de tout le reste.
Ce projet de Superligue n’est pas seulement une honte. C’est aussi une insulte à ceux qui le font, les joueurs, et ceux qui le vivent: les supporters. Qu’ils la fassent leur ligue fermée! On vivra sans eux. On vibrera sans eux. On aimera de nouveaux clubs. De nouvelles villes. ⤵️
— Nathalie Iannetta (@nathiannetta) April 18, 2021
Quelle a été ta réaction quand le communiqué est sorti ? La sidération. Je me suis dit : « Mais ce n’est pas vrai, c’est une blague ? » J’ai passé quelques coups de fil à l’UEFA, et non, ce n’était pas une blague. J’ai eu comme un sentiment de rupture, de tromperie. Andrea, tu es venu, tu as changé de logo, tu as fait un maillot dégueulasse, et maintenant tu viens nous donner des leçons sur la façon dont on doit repenser le système football ? Non, ce n’est pas possible. Ces gens-là sont complètement à côté de la plaque, ils raisonnent comme au début des années 2000, alors que leur démarche est insultante pour les amateurs de foot.
L’un de leurs arguments, c’est que le foot actuel ne passionne plus les jeunes et qu’il faut…(Elle coupe.) Alors déjà, il va falloir m’expliquer qui sont ces jeunes. Les jeunes dont parle Agnelli, ils existent sûrement quelque part, mais autour de moi, je n’en ai pas. Moi, autour de moi, je vois des jeunes qui regardent du foot, qui vont jouer au foot le dimanche, qui rentrent trempés après un match, et qui trouvent cette idée de Superligue abominable. Je vais te dire : mon fils est supporter du Bayern. Quand la nouvelle est tombée, il m’a regardé avec un air presque de dégoût, qui voulait dire : « Ah, ton club a fait ça ? » Et j’imagine que c’est ce que ressentent les fans de Liverpool, de l’Atlético…
Et peut-être aussi les joueurs.Oui. Eux aussi sont pris en otage. Je pense qu’aucun d’entre eux n’a été mis au courant, ou consulté. Ils ont dû découvrir ça comme nous. Je ne peux pas croire que sur la masse des effectifs concernés, ils soient tous à l’aise avec ça. Depuis ce matin, certains doivent se dire : « Attends, mais il se passe quoi là ? » Tu crois vraiment que Jürgen Klopp, il est confort avec tout ça ? Mais en même temps, leur position est hyper compliquée. Il faudrait qu’un Messi ou qu’un Cristiano Ronaldo s’exprime. Que l’un d’eux dise : « Les gars, arrêtez, nous, on ne va pas la jouer, votre Superligue. » Là, peut-être que s’enclencherait un mouvement.
Qu’est-ce que cela signifie pour le foot ? C’est un peu démago, mais beaucoup disaient hier que c’était « la mort du foot tel qu’on l’a connu ». Bon, le foot tel qu’on l’a connu, il est déjà mort hein, ne nous racontons pas d’histoires, et on y a tous participé. Toujours plus, jamais assez… Je ne fais pas partie de celles et ceux qui disent que le foot, c’était mieux avant. Le foot, c’était différent avant, et c’est différent maintenant, je n’émets pas de jugement de valeur sur ça. Moi, ma question c’est : pour quoi faire ? Parce que dire à outrance : « Oui, on veut faire le modèle NBA », c’est bien beau, mais allez-y, faites-le vraiment. Faites un salary cap, faites une draft, dites aux meilleurs jeunes des centres de formation qu’ils vont jouer dans les moins bons clubs pour rééquilibrer, allez-y, faites-le. C’est un autre modèle, c’est un autre continent, le marché de consommation américain n’est pas du tout celui de l’Europe, cela n’a rien à voir.
Cela n’a rien à voir, mais financièrement, c’est ce vers quoi ils veulent aller.Là encore, il faut m’expliquer des choses. Ils parlent d’un modèle financier, mais quel modèle financier ? Ils sont allés chercher la banque JP Morgan pour financer un projet privé. OK. C’est quand même la banque du capitalisme par excellence. Et ça montre qu’ils n’ont travaillé que sur une seule base : la finance. Très bien. Maintenant, JP Morgan, ils ne vont pas offrir 3 milliards à titre gracieux, il faudra des retombées derrière. Sur quoi se basent-ils ? Les diffuseurs télé font quand même le distinguo entre ce que ça vaut et ce que ça coûte. Est-ce qu’à l’heure du streaming, les fameux « jeunes » dont parle Agnelli vont casquer pour voir ça toutes les semaines ? Je demande à voir.
Les politiques devraient-ils intervenir ?Ils le font déjà. C’est même l’une des première fois que des chefs d’État se prononcent sur un tel sujet, alors que, bon, ils ont pourtant quelques dossiers prioritaires à traiter en ce moment. Ça en dit long sur l’aberration d’une telle proposition.
L’UEFA passe un peu pour la victime depuis hier alors que, clairement, elle n’est pas toute rose non plus… Bien sûr, les instances sont aussi responsables de ce qui arrive, puisqu’elles ont toujours cédé aux coups de pression de ces clubs, en leur donnant toujours plus. Ce sont des enfants gâtés, et personne ne leur a jamais dit « stop ». Donc quand tu perds le contrôle, voilà ce qui se passe. Mais je vais te dire quelque chose : je connais assez bien Alexander Čeferin, il a une personnalité assez spéciale et surtout, ce type est un immense avocat. Donc là, je te le dis, il va bosser. Il va faire de la politique, il va devoir défendre un innocent, le football, qui est accusé à tort d’un crime.
Justement, juridiquement, rien ne les empêche de créer cette compétition.C’est bien là le problème…
On pourrait vraiment imaginer que les joueurs concernés par la Superligue ne puissent plus jouer en sélection ?Là, c’est la FIFA qui doit faire entendre sa voix. C’est drôle, mais Gianni Infantino, on ne l’entend pas, là. Il est où ? Il a pourtant participé à cette déstabilisation massive. Or, c’est bien la FIFA qui possède les clefs de la régulation. Si elle sort du bois et qu’elle dit fermement : « Vous ne pourrez plus participer à la Coupe du monde », on est sûrs que les joueurs vont accepter sans broncher ?
Pour le moment, le PSG aurait refusé l’invitation. C’est un refus sincère ? J’ai envie de le croire, oui. Il faut savoir une chose : accepter l’invitation de la Superligue, c’est déjà mettre 425 millions d’euros dans ses caisses. Donc c’est colossal. Le PSG est financé par le Qatar. Ça va paraître un peu surréaliste de dire ça, mais les Qataris, ce n’est pas vraiment l’argent qu’ils cherchent, c’est le prestige. Donc oui, je pense que les dirigeants du PSG sont sincères, tout comme le sont ceux du Bayern.
Penses-tu qu’un retour en arrière est encore possible, ou que le simple fait d’avoir officialisé cette Superligue est déjà un point de non-retour ?Ce qui est sûr, c’est qu’il y a déjà des conséquences. Agnelli a démissionné de son poste à l’ECA, Rummenigge le remplace. Quelle que soit l’issue du projet, cela va laisser des traces, c’est sûr. Après, on peut aussi voir les choses autrement. C’est un rendez-vous historique pour le football. Soit on bascule dans ce truc de Superligue, et ce sera fini, on passe sur un autre sport, avec des nouvelles règles. Soit on renverse la table, et on repart autrement. Nous, supporters, nous consommateurs, on a quand même un pouvoir : celui de s’abonner ou non. Donc quelque part, on est décisionnaire aussi. Et si c’était l’occasion de se réapproprier le football ?
On a quand même perdu des gens en route… Bien sûr, des gens qui ont justement été écœurés par ce système, qui n’ont pas envie de payer autant chaque mois pour voir du foot. Entre la Coupe du monde 2006 et la Coupe du monde 2018, les audiences ont chuté. Cela fait plusieurs années que l’on observe un certain désamour entre les supporters et leur club. Mais ils croient vraiment qu’un tel projet, cela va les rapprocher ? S’il n’y a pas de supporters, pas d’ambiance, alors on n’aura plus d’intérêt pour ce sport. Évidemment, il faut changer des choses. Mais pas comme ça. Il y a tellement mieux à faire, tellement mieux à faire.
Propos recueillis par Éric Maggiori