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Nasser al-Khelaïfi et Jérôme Valcke : vus, mais pas pris…
La nouvelle est passée relativement inaperçue dans le contexte actuel : Nasser al-Khelaïfi et Jérôme Valcke sont quasiment sortis indemnes d’un procès, un des nombreux qui vont rythmer désormais la vie du football mondial, qui s’est tenu en Suisse autour de l’attribution des droits télé des Coupes du monde 2026 et 2030. Preuve que finalement, la FIFA a été fort bien inspirée de choisir la Suisse pour s’installer, et pas seulement pour des raisons fiscales. C’est surtout le signe que le fonctionnement du football international n’est pas près d’être assaini.
Le président du PSG n’a même pas eu à se déplacer, dispensé de se présenter en raison de la Covid-19. Le tribunal pénal fédéral (TPF) helvétique de Bellinzone l’a donc acquitté (28 mois étaient requis contre lui par le ministère) en son absence le 30 octobre dernier, dans le cadre de la procédure ouverte au sujet de l’attribution des droits télévisés des Coupes du monde de football 2026 et 2030. Pendant ce temps, son co-accusé, Jérôme Valcke, au titre de ses anciennes responsabilités à la FIFA, n’écopait que d’un petit sursis pour une charge annexe. Des centaines de millions d’euros en jeu, des soupçons d’entente illicite, de corruption passive, et finalement, la VAR du droit helvétique n’a pas réussi à déterminer l’intentionnalité de la faute.
Valcke dans les bras de « Bianca »
Cette péripétie juridique illustre bien ce qu’incarne désormais le football « d’en haut », un secteur économique mondialisé, avec des multinationales dont les « seniors » s’arrangent entre « amis » tout en usant d’une conception très particulière du libre-échange et de la morale. L’un des principaux faits, contesté par aucune des parties, y compris la défense, résidait dans l’acquisition par le dirigeant qatari d’Al-Jazira et beIN Media de la villa « Bianca » en Sardaigne, une broutille de 5 millions d’euros, dont l’usage gracieux fut accordé fort opportunément au secrétaire général de la FIFA, Jérôme Valcke. Une affaire strictement « privée » à en croire les accusés, juste au moment où se négociaient les droits télé pour le Moyen-Orient et en Afrique du Nord des Coupes du monde 2026 et 2030, pour lesquels le groupe médiatique du Golfe a déboursé finalement pas moins de 480 millions de dollars. Que peut donc représenter dès lors ce petit geste de pure camaraderie ? Un pourboire ? Les gens ont mauvais esprits, il est vrai.
Il existe deux façons de réagir à ce jugement. Tout d’abord en étant choqué qu’une fois de plus les grands dirigeants du football mondial passe à travers les gouttes dès qu’on leur demande des comptes sur leur cachotteries financières. Naturellement, les attendus des magistrats s’avèrent d’une rigueur et d’un formalisme incontestables, ils se fondent sur le droit confédéral, en particulier commercial. L’éthique est une valeur avec laquelle on communique, elle n’est pas convoquée souvent comme témoin. Y compris lorsque que les preuves semblent accablantes ou que le « bon sens » ferait douter n’importe qui. Résultat, tandis que trente-six mois de prison pendait au nez de l’ex-numéro 2 de la FIFA, le tribunal a considéré qu’« aucun élément n’a permis de retenir que la FIFA aurait pu conclure des contrats plus avantageux sur le plan économique pour les droits média précités ». Son avocat, Patrick Hunziker, peut triompher : « Jérôme Valcke vient d’être acquitté pour la quasi-totalité des poursuites lancées contre lui par la FIFA et le MPC. » Certes, le Français doit en principe rendre 1,75 million d’euros à la FIFA, pour la villa et des magouilles cette fois-ci pour les droits télé en Grèce notamment, inutile toutefois de passer par la case prison. Et dire que d’aucun hurle quand un joueur mange un steak doré… De son côté, Nasser al-Khelaïfi avait au préalable procédé à un arrangement à l’amiable avec la FIFA qui avait allégé énormément les charges retenues contres lui, et par ricochet son co-accusé.
Impunité des uns, impuissance des autres…
La seconde manière de digérer l’info consisterait à se demander ce qui pourrait enfin changer la donne. Qui oserait imaginer que l’arrivée d’Infantino, après le mini-cataclysme Sepp Blatter / Michel Platini, ait pu constituer un renversement de tendance. D’ailleurs, le nouveau boss de la FIFA s’est trouvé récemment sous le feu d’une plainte auprès du CIO par la société helvétique Sport 7, qui demande, ni plus ni moins, « d’ouvrir immédiatement une enquête à l’encontre de M. Infantino en vue de son exclusion du CIO et qu’elle le suspende provisoirement dans l’intervalle, comme les articles 3.8 et 59 de la charte olympique en prévoient la possibilité ». Peu de chances cela dit que la grande maison de l’olympisme puisse se permettre d’entrer en guerre contre la FIFA, qui, par ailleurs, peut très bien se passer des anneaux pour exister et s’enrichir. La maison-mère du ballon rond va donc continuer de ronronner, saupoudrant sa bonne conscience de deux ou trois sanctions contre des dirigeants africains ou des sous-fifres.
La multiplication des révélations, des Leaks, et les FIFAgate conduiront juste à des aménagements sur la marge ou un renouvellement du personnel. Même la justice d’un État, certes il s’agit de la Suisse, où l’on sait ménager les « bons clients » , semble donc incapable d’imposer « sa » loi (on verra si la France fait mieux pour ce qui concerne les soupçons de corruption dans la candidature de Doha à l’organisation des Mondiaux d’athlétisme). Car la décision du TPF tout comme l’impuissance du ministère (nous ne sommes pas loin d’une vingtaine de procédures pénales autour de la FIFA depuis 2015), le révèlent en creux. L’humour de la justice suisse reste unique, le procès sur l’attribution du Mondial 2006 a été annulé, la prescription a été dépassée en raison de la Covid-19.
Par Nicolas Kssis-Martov