- So Foot #168
- Spécial foot de rue
Nar-B : « On essaie de sublimer la street »
Posé au beau milieu des tours, le "San Siro" fait office de rayon de soleil dans cette grisaille du mois de juin. Bernard Messi, dit "Nar-B", est installé devant le mythique city-stade d'Argenteuil. Avant de créer Impulstar, une société qui organise l’un des plus grands tournois de foot de rue en France, l'homme a passé les meilleurs moments de sa vie ici. Il raconte.
Pourquoi Bernard Messi ?Mon père est camerounais, donc rien à voir avec l’Argentin. Je me suis appelé Messi bien avant lui ! (Rires.) Quand il a commencé à se faire remarquer chez les jeunes du Barça, des potes m’ont dit de faire attention à mon nom, parce qu’un crack allait débarquer.
Comment tu as eu l’idée de commencer à organiser des tournois ? De base, on faisait souvent des matchs contre la cité Saint-Just. Je tirais mon épingle du jeu en essayant d’organiser ces rencontres. Un jour, on apprend la mort d’un petit frère qui jouait beaucoup avec nous. Il revenait de la Fête des Loges et il a chuté en moto. Tout le quartier était en deuil. On a organisé un tournoi, car on a voulu se mobiliser et faire quelque chose de fort pour soutenir la famille. J’ai appelé un proche de la famille, pour lui soumettre l’idée et on a commencé par faire des flyers shootés par Fifou, un célèbre photographe. Ensuite, on a fait tourner sur les réseaux sociaux et on a passé un super moment, ensemble, pour cette famille.
C’est là que tu as réalisé que tu voulais en faire ton métier ?Avant, j’étais dans la musique. À 18 ans, j’ai commencé à travailler avec Première Classe, le label de Pit Baccardi et Jacky des Neg Marrons. Quand j’ai stoppé la musique, j’ai eu une période où j’ai tenté des choses. J’ai eu un restaurant
de pâtes, le « 1000 pâtes », j’étais un peu dans les locations de voitures… Bref, je me cherchais beaucoup. Mais je me suis réellement trouvé depuis que l’aventure Impulstar a pris de l’ampleur. L’acharnement, c’est ce qui nous caractérise ici. Au départ, Impulstar, c’était un pari, un kiffe qu’on s’est lancé avec mon associé Meïssa Ndiaye ! J’ai toujours été inspiré par le Quai 54. Hammadoun Sidibé, son créateur, est un ami de la famille. À l’époque, les fives étaient à la mode et j’organisais des petits tournois à vingt, trente ou quarante. Au départ, on a pensé à faire le Quai 54 du football, mais on n’avait pas forcément les moyens, ni l’expérience…
Comment s’est passée la première édition en 2011 ?Déjà, il fallait faire des équipes. Alors, on prenait nos voitures et on allait dans tous les quartiers. Du 91, du 92, du 93, du 94. Partout. Quand on voyait des mecs dans la rue, on leur filait des flyers. Les jeunes sont orientés vers le rap et le sport. Ça a toujours été ça, la banlieue. Ça peut paraître cliché, mais c’est la pure réalité. Pour faire monter la sauce, je savais qu’il fallait appeler des rappeurs et j’avais des contacts. En revanche, je ne vais pas te donner toutes les recettes du succès.
Qu’est-ce qui a été le plus dur pour pérenniser le projet ? Le plus dur, c’est de se remettre en question chaque année, de ne pas essayer de coller aux tendances. Sur la troisième édition, je pensais que les sponsors allaient se rapprocher plus rapidement de nous. Quand j’ai vu qu’on était toujours en indépendant, je me disais : « Putain, ça va jamais venir ! » Je n’y croyais plus et c’est à ce moment qu’ils sont arrivés. Et même quand ils sont arrivés, on a dû aller les chercher avec les crocs. Aujourd’hui, on organise l’un des plus grands tournois de France, mais malgré ça, c’est jamais facile pour nous.
Quelle est ta plus belle fierté ?Si tu regardes les photos de la première édition et des photos de maintenant, je suis toujours avec les mêmes personnes, avec la même équipe. On est un staff composé d’amis. On a pu monter, on a pu descendre, on a pu ne pas s’entendre, on a pu se blesser, mais on est toujours ensemble.
Qu’est-ce que tu penses de l’influence de la rue dans le marketing sportif d’aujourd’hui ?Tu vois, cet été le mot d’ordre était foot féminin et tu voyais du foot féminin partout, tout le temps. Nous, ça fait quelques années déjà qu’on travaille avec des joueuses, qu’on essaye de porter le foot féminin, aussi loin qu’on puisse le faire. Quand tu veux essayer de suivre la tendance, ce n’est jamais bon. Aujourd’hui, les marques veulent se placer dans la street et certaines ont fait appel à nous pour des lancements de produits. Elles veulent notre expérience, notre connaissance du terrain et nos analyses. On essaie de sublimer la street, comme le dit si bien Médine : « La banlieue influence Paname, Paname influence le monde. »
Qu’est-ce que ça veut dire, pour toi, vivre à Argenteuil ?Avec mes parents, nous avons beaucoup déménagé. En revanche, c’est ici que je me suis épanoui et que j’ai rencontré mes vrais amis. Comme dans toutes les banlieues, il y a des bons et des mauvais côtés. Quand t’es jeune et que tu viens d’ici, t’es plus susceptible de faire des bêtises, de rentrer dans des mauvais délires. À l’école, je n’étais pas un cancre, mais sur le comportement, j’étais souvent blâmé. Pourtant, je n’étais pas un fou ! Je kiffais le français et très rapidement j’ai aimé lire. Petits, ma mère nous avait offert une bibliothèque avec des livres du genre Le Petit Prince, des J’aime Lire…
Quel est ton premier souvenir de foot ?C’était à Paris, dans le 12e, on habitait à Porte Dorée. Je jouais sur le terrain de foot juste en face du stade Léo Lagrange. C’est là où est organisé le Quai 54 (une compétition de basket de rue organisée chaque année à Paris, N.D.L.R.). Je ne suis pas un fan du foot à onze, mais je kiffe le foot de rue. C’est l’authenticité à l’état pur, c’est brut. À travers le jeu de quelqu’un, tu peux même comprendre la personne que c’est.
On est au stade San Siro à Argenteuil. Tu te souviens de la première fois que t’as joué ici ?Il y avait un tournoi qui se déroulait dans notre ville et qui s’appelait le Trophée d’Argenteuil, organisé par un mec de chez nous. C’était de la bombe. Et ça te po
usse à vouloir faire mieux en matière d’organisation. Argenteuil est l’une des plus grandes villes de France ou, en tout cas, l’une des plus grosses villes de banlieue. Ça veut dire que nous, quand on organise un tournoi de quartier, il y a forcément du monde, avec beaucoup d’ambiance et un gros vivier de joueurs.
Qu’est-ce qui différencie Argenteuil des autres spots de rue en France ?Il y a une ferveur que tu ne retrouves nulle part ailleurs. Sans prétention, tu peux faire le tour de France, mais ici, ce n’est pas la même chose. Ici, il y a une histoire, une authenticité et une vraie identité footballistique. Les joueurs le savent, les coachs, les clubs et les marques le savent. San Siro, c’est notre point de ralliement, sans même se donner rendez-vous. S’il n’y avait pas ce terrain, il y aurait une tout autre ambiance… c’est clairement le cœur du quartier.
Comment tu as vu le foot de rue évoluer ?Le foot de rue est devenu à la mode. Aujourd’hui, entre les tournois organisés, les réseaux sociaux et les marques qui veulent être attachées à ce marché, il y a beaucoup de joueurs de foot de rue qui ont commencé à se faire connaître.
Pour toi, qui est le joueur professionnel le plus street du circuit ?Wissam Ben Yedder. Depuis Garges-lès-Gonesse, on entend parler de lui. C’est l’exemple même de l’abnégation du foot de rue. Même s’il n’avait pas un parcours footballistique classique, on savait qu’il avait quelque chose à faire. À force de travail et d’abnégation, on le retrouve à Séville en train de faire du mal à Sergio Ramos. Surtout qu’au niveau de la pression, dans nos quartiers, on y est habitués depuis petit. Il faut être fort mentalement pour entrer sur un terrain avec des types qui ont dix ans de plus que toi, plus costauds, plus nerveux. Mais justement, c’est là où l’on reconnaît qui est vraiment fort dans sa tête. Et Wissam, lui, l’était.
Retrouvez le So Foot spécial Foot de rue, actuellement en kiosques.
Tous propos recueillis par Kevin Charnay et Gad Messika