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«Naples et Marseille sont deux villes stigmatisées qui s’accrochent à leur club»

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«Naples et Marseille sont deux villes stigmatisées qui s’accrochent à leur club»

Tandis que Marseille se déplace ce soir à Naples pour le compte de la quatrième journée de Ligue des champions, entretien avec l'ethnologue et sociologue du football Christian Bromberger, auteur d'une étude comparée entre l'OM et le Napoli dans les années 1990. L'occasion de voir que les deux cités ont beaucoup en commun, notamment dans ce qu'il appelle leur « passion partisane ».

Le match qui oppose les deux équipes ce mercredi sera avant tout passionné avant d’être passionnant…En réalité, je ne suis pas tellement sûr qu’il soit si passionné. Vu la large victoire de Naples au match aller, il n’y aura pas un engouement énorme dans les travées du stade, du moins pas autant que quand il y a du suspens ou une incertitude liée au résultat. Je ne pense pas que cette rencontre soit un moment d’émotion très forte pour les Napolitains.

Ce match constitue pourtant un choc entre deux cités qui ont beaucoup en commun, notamment au niveau historique.Naples et Marseille, ce sont deux grandes métropoles qui ont connu un passé glorieux. Au XIXe siècle, Naples était une capitale de royaume, qui a subi progressivement une régression politique et économique. Quant à Marseille, c’était un très grand port méditerranéen, incontournable pour le commerce avec les colonies au siècle dernier. La porte de l’Orient, ou du moins du Maghreb, où étaient concentrées nombre d’industries importantes. Malgré tout, ces deux villes ont connu depuis plusieurs décennies un déclin considérable. Naples est aujourd’hui une capitale déchue, Marseille est considérée comme le « Chicago français » . Les deux cités sont toutes les deux stigmatisées, car elles s’inscrivent dans une image de villes méridionales subalternes par rapport au Nord, qui domine économiquement et financièrement et les regarde de haut. À la vérité, les blagues contre les Marseillais sont transposables pour les Napolitains. Quand Naples va jouer dans le Nord, à Milan ou à Turin, certaines banderoles disent « Bienvenutti in Italia » , comme s’ils étaient en quelque sorte exclus de la Nation. L’antagonisme n’est pas aussi fort en France, car l’unité du pays est beaucoup plus ancienne, mais dans les deux cas, on retrouve du mépris pour ces villes d’opérette.

Outre leur passé, quelles sont les caractéristiques qui les relient encore aujourd’hui ?Outre la couleur du maillot azur, et le fameux bleu napolitain ou marseillais, on retrouve dans les deux stades un goût prononcé pour les spectacle. Pour le défi aussi. Il y a en quelque sorte une volonté de revanche symbolique vis-à-vis d’une histoire qui a été mal écrite depuis un siècle. Les velléités sécessionnistes des deux villes sont doublées d’un sens de l’honneur porté très haut. Il y a néanmoins beaucoup plus d’auto-dérision à Naples ; le symbole de la cité c’est O’Ciuccio, le petit âne battu par les gens du Nord.

Comment expliquer que ces deux villes entretiennent une relation passionnelle avec leur club de football ?Précisément parce que ce sont deux villes stigmatisées, qui s’accrochent à leur club avec d’autant plus de ferveur qu’elles sont régulièrement dévalorisées de l’extérieur. L’OM, c’est tout de même la première ville de France où les supporters ont loué la population locale autant que l’équipe sur le terrain ; notamment avec le chant « Marseillais, Marseillais, Marseillais » . Les virages du stade San Paolo à Naples ou ceux du Vélodrome à Marseille laissent entrevoir de belles manifestations et un engouement réel, avec des supporters qui savent encourager leur équipe.

Au point qu’il ne puisse y avoir de place pour aucun autre club, contrairement à de nombreuses autres métropoles, Londres, Milan, Istanbul ou Madrid en tête ?Ce ne sont pas des villes à derby. L’importance accordée aux deux équipes sature complètement le champ sportif de la ville. À Marseille cependant, il y a bien Consolat, en CFA, mais c’est vrai que le club n’obtient aucune attention par rapport à l’OM qui est le ciment de toute la population. L’aura du club lui permet d’avoir des supporters dans toute la France ; beaucoup de personnes du Nord aiment en réalité soutenir cette ville différente et démonstrative, à la réputation canaille. Les clubs de supporters dans les autres métropoles sont plus nombreux que pour n’importe quelle autre équipe. Les Marseillais ont l’impression d’être marginalisés et se posent en victimes, mais ce n’est pas vrai.

« Dans les deux villes, on aime la victoire, on veut prendre sa revanche »

Les deux équipes sont aussi connues pour la ferveur de leur public, qui ne faiblit pas même en cas de résultats contraires, comme l’OM en enchaîne actuellement.Oui, ça, c’est un phénomène assez étonnant. Comme l’OM rétrogradé administrativement en division 2 en juin 1994, le Napoli a connu une descente aux enfers à partir de 2004 avec sa descente en Serie C. Ces épisodes ont provoqué une véritable déchéance pour les deux villes, avec des crises très fortes comme l’affaire Tapie à l’OM. Malgré tout, le public a continué à répondre présent. Pour le Napoli, qui a évolué en Serie C jusqu’en 2007, il n’était pas rare de voir 50 000 spectateurs pour un match de troisième division ; le stade Vélodrome était lui aussi presque plein quand Marseille évoluait en D2. Pourtant, avant la victoire en Ligue des champions en 1993, l’engouement à Marseille n’était pas généralisé. Il était même en dents de scie : en 1965, il y avait à peine 434 spectateurs à domicile pour un match de D2 contre Forbach ; quelques mois après, une demi-finale de Coupe attirait 45 000 personnes. Aujourd’hui, si l’engouement s’est stabilisé, le manque de résultat n’est pas vraiment toléré. Dans les deux villes, on aime la victoire, on veut prendre sa revanche, et surtout on veut un football d’attaque qui laisse des traces dans les mémoires. Les joueurs les plus aimés sont ceux qui ont marqué, ceux qui se sont illustrés sous le maillot du club par leur virtuosité. Récemment, à Naples, ce sont Cavani, Lavezzi, Hamšík, qui se sont signalés, tous des joueurs d’attaque et de qualité. C’est ce qui manque actuellement à l’OM, même si on se souvient volontiers d’attaquants comme Skoblar, Papin ou Drogba.

Cette dernière confine parfois à la religiosité…Surtout à Naples, où des autels à la gloire de Maradona ont parfois été fabriqués, même si c’était souvent sur un mode parodique. La religiosité est plus un marqueur napolitain, même si on peut voir certains supporters marseillais déposer des cierges à Notre-Dame de la Garde les jours de grand match. De manière générale, on recourt à toute une gamme de rituels pour que le club gagne.

Concrètement, qui va au stade pour voir ces équipes ?C’est très varié aussi bien à Naples qu’à Marseille. À Naples, les spectateurs viennent d’abord des banlieues désinsdutrialisées pauvres, victimes de la crise. Mais il y a aussi un public du centre-ville, des quartiers plus chics. Ils ne se croisent pas en tribune, mais la représentation du stade dans sa totalité reste très significative de la population locale. Il n’y a pas que les pauvres ou les ouvriers qui viennent au stade, on y trouve aussi bien le chômeur que l’avocat ou l’industriel. Le club fait office de consensus dans ces villes divisées. Dans les deux cas, on observe une projection assez fidèle de la réalité sociologique, avec cependant une grande majorité d’hommes. Même s’il existe aussi beaucoup de femmes passionnées.

« Le club c’est le thème de conversation du mardi au samedi, et le lundi on fait le bilan du match de la veille »

Un autre point commun entre les deux clubs, c’est que leurs supporters sont exigeants en terme de qualité de jeu.Les Marseillais comme les Napolitains veulent du spectacle. Les broncas sont possibles si les joueurs ne donnent pas le meilleur d’eux-mêmes. En même temps, en Italie, ce qui est frappant, c’est la « cultura calcistica » , ou culture footballistique. Les supporters ne font pas qu’applaudir les locaux, ils connaissent très bien l’organisation de l’entraîneur, les différentes formules de l’équipe. Les discussions sont très techniques. Cette culture est moins prononcée à Marseille, mais elle existe aussi. On sait quel joueur doit faire quoi, on connaît le système de jeu, et on en discute à n’en plus finir. Concrètement, c’est le thème de conversation du mardi au samedi, et le lundi on fait le bilan du match de la veille.

Qu’est-ce qui différencie encore le supporter napolitain du supporter phocéen après toutes ces analogies ?Ce qui m’a frappé à l’époque de mon étude, c’est l’avance que les ultras napolitains avaient en terme d’organisation dans les années 90. Mais aujourd’hui, Marseille a rattrapé son retard, en s’inspirant notamment du modèle italien. Le monde des supporters est un monde très poreux, on s’inspire des autres, il n’est pas rare de copier ce qui se fait ailleurs.

Pour finir, un petit pronostic ?J’ai l’impression que Naples va gagner 2-0. Les joueurs de l’OM sont un peu démotivés, car maintenant il n’y a plus tellement de perspectives pour eux. Il faudrait un improbable concours de circonstances pour qu’ils rejoignent l’Europa League.

Propos recueillis par Christophe Gleizes

Christian Bromberger, Le match de football : ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Maison des Sciences de l’homme, 406 pages.

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