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Nantes, Yellow Park… Kita fait perdre ?
Le YelloPark semble désormais condamné. La longue bataille menée par les supporters contre le projet de Waldemar Kita a connu un dernier épisode – politique cette fois – qui semble clore le débat. Et c'est la métropole qui a sonné le glas de l'affaire, autant par réalisme économique que pour se prémunir de mauvaises surprises judiciaires. Il n'empêche, cette longue et douloureuse saga a surtout, une fois de plus, souligné le fossé grandissant entre la dimension strictement business du football et la passion populaire qui l'entoure.
Il faut peut-être d’abord planter le décor. D’abord celui d’un bout de France, d’une région qui se remet douloureusement du projet avorté de second aéroport, de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et des remous politiques qu’ils ont entraînés. Ensuite celui du foot tricolore. Les déconvenues des grands stades (par exemple du côté du Vélodrome), les soupçons de corruption ou de malversations, voire les procédures judiciaires – de Lille à Nice – et qui ont sensiblement, ces dernières années, refroidi des collectivités locales, aux finances pour le moins fragiles et sous tension depuis les diverses réformes territoriales. Voici dix ans déjà, Jean-Marc Ayrault, alors premier édile de la cité des Ducs, avait refusé de se porter candidat pour accueillir l’Euro 2016, devant « le cahier des charges exorbitant de l’UEFA » et les 80 millions prévus pour mettre la Beaujoire aux normes.
Il faut sauver la Beaujoire
Le projet défendu bec et ongles par le président Waldemar Kita était ainsi, en soi, pour le moins contestable et bancal. Car la voix de la raison semble s’imposer dorénavant. Des clubs de dimension et d’ambition modestes – pour l’instant – en Ligue 1 n’ont guère besoin de stimuler leur folie des grandeurs quand La Beaujoire, avec ses 37 500 places, ne connaît qu’un taux de remplissage aux deux tiers. À cela s’ajoutait la fronde des supporters au sens large, et notamment la Brigade Loire et l’association « À La nantaise » , par ailleurs en guerre ouverte, à coups de punchlines dévastatrices, avec l’actuelle direction des Canaris. Mettant en avant leur attachement culturel et sentimental à l’actuel stade, les fans faisaient front commun.
La récente communion après la disparition d’Emiliano Sala, vendue à la sauvette dans l’incompréhension totale des tribunes et même du coach, avait démontré le poids des ultras et du peuple jaune, de même que le fossé grandissant entre le chef d’entreprise du FCNA et l’assise historique de ce vénérable pensionnaire du foot pro hexagonal. « Le club a perdu son identité, explique Florian Le Teuff d’À la Nantaise. Seul le public lui a permis de garder la tête haute. Tout le monde, et Johanna Rolland(maire de Nantes, N.D.L.R.), peut nous dire merci aujourd’hui… » D’ailleurs, parmi les nombreuses péripéties du projet, comme le quasi-effacement de sa dimension immobilière, la dernière version adoptée prônait cette fois la sauvegarde de la Beaujoire, en outre du YelloPark, à la suite d’une consultation publique qui avait illustré l’attachement à ce lieu. Avec bien sûr le risque d’un « doublon » quelque peu surréaliste à l’échelle des besoins du haut niveau nantais, tous sports confondus.
Coup de sifflet final
La métropole, présidée par la maire socialiste de Nantes, Johanna Rolland, a donc saisi l’occasion des déboires judiciaires de M. Kita – perquisition au centre d’entraînement, au siège parisien des laboratoires Vivacy, propriété de Kita, ainsi qu’au domicile du dirigeant – pour se débarrasser du problème. « L’annonce d’une enquête préliminaire du parquet national financier visant la situation fiscale de M. Kita rend impossible la cession d’un terrain public à son profit. Sans préjuger évidemment des suites de cette enquête, il est clair que le projet ne pourra pas, en tout état de cause, se dérouler dans les délais envisagés, ni dans un climat serein, quelles qu’en soient les conclusions » , peut-on lire dans un communiqué officiel paru dans Ouest-France. « C’est un prétexte, sourit Florian Le Teuff. Parce que finalement, avec la présomption d’innocence, pourquoi se précipiter ? La métropole cherchait une opportunité pour se sortir de ce pétrin dans lequel elle s’était fourrée elle-même. On se demande encore pourquoi les élus s’entêtaient à ce point. L’an dernier, une large majorité avait encore soutenu l’idée des deux stades. Heureusement que cette décision est arrivée. De toute manière, nous nous apprêtions à nous rendre devant le tribunal administratif pour attaquer le manque de transparence et de respect des procédures légales autour du YelloPark. Il s’agissait quand même de céder un quartier de Nantes, 23 hectares, à 50 euros le mètre carré… »
La vraie question reste désormais celle des suites. Nul doute que M. Kita va moyennement apprécier. L’homme qui a injecté 130 millions d’euros dans le club restera-t-il ? Des rumeurs évoquent déjà une reprise par Yoann Joubert et sa société Réalités, son partenaire « BTP » dans le YelloPark. Quoi qu’il en soit, ce dernier et sûrement ultime soubresaut ressemble à une victoire pour ses opposants au sein de la grande famille du FCN et peut-être une leçon politique. « Cela montre que lorsque les citoyens se mobilisent, on peut obtenir des succès, conclut Florian Le Teuff. En tant que supporter, un nouveau match va commencer. Johanna Rolland avait inscrit dans son programme électoral l’actionnariat populaire dans le club, nous allons lui rappeler sa promesse pour sortir de cette situation d’un propriétaire unique à 100%. » Au-delà du rêve de « socios » à la française, le rôle des supporters au sein de leur club et de la société a peut-être été quelque peu redéfini sur les bords de la Loire.
Par Nicolas Kssis-Martov