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Nantes, quand la tête n’y est plus

Par Jérémie Baron
6 minutes
Nantes, quand la tête n’y est plus

Au ralenti en 2019, le FC Nantes semble incapable de sortir de la torpeur qui l'a envahi fin janvier à cause d'un terrible accident d'avion. Mentalement, il faudra encore du temps pour se remettre dans le droit chemin sportif.

La dernière sortie du Football Club de Nantes dans son jardin, dimanche face au dauphin lillois, a mis en évidence en un seul match deux de ses travers déjà observés récemment et symptomatiques de la triste deuxième partie de saison qu’il réalise. Comme face au Nîmes Olympique le 10 février (2-4, 24e journée), les Canaris se sont fait retourner au cours de la seconde période (de 2-0 à 2-3) après avoir pourtant inscrit les deux premiers buts de la rencontre. Comme au Roudourou le 3 mars (0-0, 27e journée), ils ont eu l’occasion de sauver leur rencontre avec un penalty tombé du ciel dans les dix dernières minutes, mais n’ont pas su le convertir. Et si Valentin Eysseric, qui a manqué le premier péno de sa carrière à la 82e face à Mike Maignan après avoir transformé sa première tentative 40 minutes plus tôt, n’est arrivé qu’à la toute fin du dernier mercato sur les rives de l’Erdre, difficile de ne pas voir là-dedans le reflet des failles psychologiques d’un groupe encore fragilisé par la disparition d’Emiliano Sala.

Quand la carapace de coach Vahid éclate

Un simple coup d’œil aux mots de Vahid Halilhodžić pour Le Parisien, cette semaine, suffit à comprendre que la plaie est loin d’être refermée. « Aujourd’hui, ma mémoire est très douloureuse. L’organisation du club en a été bouleversée pendant des semaines. Chaque jour, j’arrive à 7h30 et je repars à 20 heures. Tout ce temps, je pense à lui. J’ai mis sa photo dans mon bureau, mais elle est aussi dans mon cœur. Je suis obligé de continuer à vivre et à entraîner.[…]Emiliano nous manque tout le temps même quand on s’entraîne. Même quand on veut l’oublier. C’est terrible. Dire que je ne voulais pas qu’il nous quitte… »

Difficile d’imaginer l’ancien buteur réussir à insuffler une grinta à ses joueurs dans ces conditions. Surtout que le deuil a mis longtemps à débuter. « Le pire, cela a été l’attente entre l’accident et la découverte du corps, souffle-t-il. Cet espoir qu’on a entretenu nous a finalement épuisés. Quelque part, j’aurais préféré le savoir tout de suite. Cela aurait été moins dur. » Certes, tout n’a pas été noir : il y a eu le nul arraché avec le cœur contre Sainté (1-1) le jour de l’hommage de la Beaujoire à son Argentin, les deux qualifications en Coupe de France (Toulouse et Vitré) puis les deux courts succès face à Bordeaux et à Caen. Mais quelque chose s’est brisé dans cette équipe (désormais 15e), et même si la Jonelière a retrouvé – en apparence du moins – un peu de sa joie de vivre au quotidien, la fin de saison ressemble quand même un peu trop à un chemin de croix qui n’en finit pas. Tout ça sur fond de guéguerre glauque au possible entre la Maison jaune et Cardiff City.

« C’est dans la préparation que ça joue »

Ce n’est pas la première fois que le club de Loire-Atlantique doit se relever d’un tel drame. L’ex-portier Jean-Paul Bertrand-Demanes, dix-huit années en jaune et vert, le sait mieux que personne. Lui a notamment vécu la tragédie du 18 novembre 1984, jour où le milieu Seth Adonkor et le jeune du centre Jean-Michel Labejof ont perdu la vie dans un accident de voiture. Un épisode que l’international français avait réussi tant bien que mal à surmonter. « Je ne sais pas si ça avait changé notre saison (le FCN terminera deuxième de Première Division). Je me souviens qu’on avait été chamboulés, mais après, malheureusement avec le temps, la vie reprend ses droits. Même si on a mis du temps à oublier. » Quatre ans auparavant, les Nantais avaient également appris une terrible nouvelle avant une demi-finale de Coupe des coupes. « On avait appris la mort à l’entraînement d’Omar Sahnoun (qui avait quitté Nantes pour Bordeaux quelques mois plus tôt), à la veille du décollage pour Valence, continue Bertrand-Demanes. On peut penser que si on a perdu 4-0 là-bas (après un succès 2-1 à l’aller), ça a pu jouer. »

« Quand vous avez un proche, un collègue que vous rencontrez tous les matins, qui disparaît dans de telles conditions… Le mois ou les deux mois qui suivent, c’est dur d’aller travailler, se remémore le gardien. Pendant le match, une fois sur le terrain, on n’y pense pas. Mais c’est dans la préparation que ça joue. La performance peut être en dessous parce que la préparation n’a pas été optimale, ce n’est que la conséquence d’une préparation chamboulée par un drame. Chacun le vit comme il le veut et comme il le peut, c’est personnel tout ça. Il y a des gens qui vont rester bloqués six mois, un an, tomber en dépression. Ça peut renforcer un groupe, mais ça peut aussi le faire éclater, si chacun s’enferme dans son coin. L’impact sur le groupe dépend de beaucoup de choses : la relation que les joueurs ont, la place que le joueur avait dans le vestiaire… »

« C’est encore trop frais, il y a trop de souvenirs avec lui »

Dans le même registre tragique, le latéral Jean-Joël Perrier-Doumbé était sur le banc à Gerland le jour où Marc-Vivien Foé s’est écroulé lors de la Coupe des confédérations 2003 ; la sélection camerounaise n’en était pas ressortie indemne. « Ça a mis un certain temps à s’effacer, admet-il. Si tu n’es pas bien dans ta vie et que dans ta tête tu n’es pas à 100%, tes capacités physiques ne le seront pas non plus. On a enchaîné avec la Coupe d’Afrique six mois plus tard, forcément il y avait un vide. Comme c’était assez proche, à table etc. le sujet revenait souvent, on y pensait. Pour moi, ça a forcément eu un impact sur les mois suivants et pendant pas mal de temps. C’est inconsciemment aussi qu’il se passe quelque chose. Sur la finale (perdue face à l’équipe de France), ça a vraiment resserré l’équipe parce que tu te dis que tu joues vraiment cette finale pour lui, comme s’il allait revenir. Mais une fois que tu as passé ce cap-là en enchaînant sur une autre compétition, que tu comprends qu’il ne sera plus jamais là, c’est là que ça commence à diminuer inconsciemment. Parfois, on se dit« c’est bon, c’est oublié ». Mais non, c’est toujours à l’intérieur de toi, ça joue dans ta tête et donc sur tes performances sportives. Ce deuil au FC Nantes, il n’est pas fait. C’est encore trop frais, il y a trop de souvenirs avec lui. Il y a au moins un an à attendre avant que ton esprit se remette bien en place. »

Il y a un an, la disparition du capitaine de la Fiorentina Davide Astori avait provoqué un magnifique électrochoc pour la Viola (cinq succès de rang), que Jordan Veretout décrivait ainsi dans les colonnes de 20 Minutes : « Rien ne pouvait nous arriver. On jouait pour lui, on se battait pour lui et surtout on gagnait pour lui. On était comme dans une bulle et personne ne pouvait y entrer. On était tellement forts grâce à lui. » Coté nantais, l’effet a malheureusement été totalement inverse et le retour au sportif a eu beaucoup de mal à se faire. Le PSG-Nantes de ce mercredi soir verra donc s’opposer deux équipes pour qui cette fin d’exercice manque énormément de saveur. Mais pas pour les mêmes raisons.

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Par Jérémie Baron

Propos de JPBD et JJPB recueillis par JB, ceux de VH tirés du Parisien et ceux de JV tirés de 20 Minutes

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