- Ligue 1
- J38
- Nantes-Angers (1-0)
Nantes, meurs un autre jour
Habituée aux soirées de gala ces derniers mois, Nantes s’est rappelée, ce samedi soir face à Angers, qu’elle aimait aussi vibrer au moment de sauver sa peau. Récit de la soirée qui a vu le FCN revenir d'entre les morts.
Avoir l’occasion d’envahir deux fois la pelouse de son stade, à seulement un an d’intervalle, est un luxe auquel très peu de supporters accèdent. Alors, le faire trois fois en l’espace de deux saisons frôle l’indécence. Mais les suiveurs du FC Nantes n’y ont pas réfléchi, au coup de sifflet final synonyme du maintien des Canaris en Ligue 1 au bout de cet exercice de galériens et de cette deuxième partie de championnat horrifiante. Tout cela, en parallèle d’une frissonnante campagne de Ligue Europa et d’un quasi back to back en Coupe de France.
À Nantes, on a appris à jongler avec les émotions : si c’était l’excitation qui animait joueurs et supporters au moment de la précédente marée humaine sur le carré vert, le 5 avril après avoir tapé Lyon en demi-finales de coupe, c’est le soulagement qui s’est emparé de la cité des ducs de Bretagne deux mois plus tard au terme d’une rencontre mêlant enthousiasme et crispation face au voisin – et déjà condamné – angevin. Les mots du soldat Jean-Charles Castelletto après la bataille, sur l’estrade face au peuple jaune et vert, ne trompent pas : « Ils ont voulu nous tuer, on est encore là ! » Ainsi soit-il.
Comme en 2005
Quelques heures plus tôt, ce samedi, c’est pourtant avec un pied dans l’ascenseur direction l’étage inférieur que les Nantais affluent vers leur temple. Et forcément, beaucoup d’entre eux ont le regard tourné 492 kilomètres à l’est du côté de l’Abbé-Deschamps. « Je suis confiant pour le maintien, je ne sais pas pourquoi. J’ai un pressentiment, mais on regardera très régulièrement sur notre téléphone pour savoir ce que fait Auxerre », explique Jo’, originaire de Saint-Nazaire. Alors que le parvis de la Beaujoire se garnit de jaune et vert, le duo Christophe-Cédric – qui s’est lié d’amitié un mois plus tôt, lors d’un triste soir de finale contre Toulouse – résume de la meilleure des manières la situation : « On est encore en vie. » Pour Christophe, un brin superstitieux, inutile de penser à Auxerre : « Déjà, il va falloir gagner, et je regarderai le score de l’autre match à la fin. Si on est présents ce soir, c’est qu’on est confiants et qu’on croit en notre équipe. »
Son acolyte pose un œil dans le rétro, avant cette J38 : « On n’avait pas l’effectif pour jouer sur les trois tableaux. Honnêtement, j’ai du mal à comprendre comment on se retrouve dans cette situation. » À l’image du soleil déjà estival qui rayonne au-dessus de l’enceinte, la confiance des supporters en leurs poulains semble en tout cas totale. Rien n’indique, dans l’ambiance générale, qu’il n’y a plus eu de victoire en championnat depuis quatre mois et que la Ligue 2 se trouve peut-être au bout de ces 90 minutes. « Ils vont se maintenir, ils vont le faire, j’en suis certain », affirme un bambin de 9 ans déjà piqué par le FCN. Même si lui n’a pas connu le miracle de 2005, le but de Mamadou Diallo et le sauvetage miraculeux des coéquipiers de Mickaël Landreau dans une configuration (quasi) similaire.
Foule et fumigènes
Difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver des supporters inquiets : « On n’est pas maîtres de notre destin, mais franchement, on ne peut pas descendre. Je n’arrive pas à m’imaginer ce scénario », tente de se rassurer Renaud, abonné depuis huit saisons, maillot de Fernando Aristeguieta sur le dos. Un signe : il y a dix ans tout rond, le Vénézuélien était l’un des héros de la remontée dans l’élite. À leur sortie du car, les coéquipiers d’Andrei Girotto sont en tout cas accueillis en grande pompe par une foule dense et le craquage de plusieurs fumigènes.
Plus que la composition de départ, la principale interrogation porte sur la présence ou non en gradin de la Brigade Loire pour ce dernier match de la saison (sa tribune étant à huis clos, et le club ayant décidé de ne pas replacer ses abonnés dans le stade). À 20h08, le doute est levé quand les ultras pénètrent à l’intérieur pour se placer à l’opposé de leur emplacement habituel, en bas de la tribune Erdre, sous les acclamations du reste de l’assistance : une entrée mystique, qui donne le ton de ce que seront les trois heures suivantes.
Forcément, L’Hymne de la Beaujoire est l’un des plus vibrants de la saison. « Faites-nous kiffer, putain », lâche un supporter du fond du cœur, à la fin des dernières notes de la chanson d’Olivier Tronson, Jean-Luc Trécan et Gérard Troupel, sous les yeux d’un parcage angevin superbement garni pour dire au revoir à la Ligue 1. Et, pourquoi pas, embarquer le grand frère nantais dans la chute du SCO. Au cœur d’une Beaujoire aux trois quarts bondée et vide dans le dernier virage, le sol tremble alors que les chants anti-Kita résonnent avant même le début des hostilités. Ces derniers se retrouvent même, chose assez rare, repris par le haut de la tribune Jules-Verne… Juste au-dessus de Waldemar et son fils, donc.
Au coup d’envoi, le pressing intense opéré en tribune se ressent sur le terrain où Ignatius Ganago et Ludovic Blas font rapidement plier Yahia Fofana. Il est 21h15, et à peine le temps de se remettre de l’éruption provoquée par l’ouverture du score que le stade rugit une deuxième fois quatre minutes plus tard grâce à la magie du multiplex, de la connexion 4G et de l’application Prime Video allumée sur de nombreux téléphones : Lens vient de passer devant à Auxerre, et ne se laissera plus rejoindre.
Porto et vidéo
La suite sera longue et angoissante pour tout le monde à Nantes, dans une atmosphère digne des soirées les plus prestigieuses vécues dans cet écrin ces derniers mois. Il y a eu l’Europe, les épopées en coupe nationale et les victoires de gala… Mais Nantes sait aussi frissonner comme il se doit dans un tout autre contexte, à savoir sa survie. « Autant je souhaite à tout le monde de vivre l’émotion que j’ai vécue au coup de sifflet final, autant je ne souhaite à personne de vivre la deuxième période que j’ai vécue, admettra Pierre Aristouy, enfant du club et pompier de service dans cette opération sauvetage. C’est très rare qu’une dernière journée se passe comme tout le monde l’a prévue, c’est ce que j’ai mis dans la tête des joueurs. Je n’ai pas trop suivi le match d’Auxerre, je me suis renseigné à la mi-temps et je n’en ai pas parlé aux joueurs. J’ai demandé à tout le monde de ne pas les avertir, même si ça a fuité un peu. »
D’où le stress de Quentin Merlin, revenu de blessure pour vivre les émotions ambivalentes de cette fin de saison : « Sur le banc, j’avais l’impression que les minutes n’avançaient pas. J’ai dit à Pedro (Chirivella) de ne plus regarder le match, on regardait par terre et on attendait juste le coup de sifflet final. Quand c’est arrivé, délivrance totale ! » Lorsque se clôt le temps additionnel, le peuple nantais respire enfin après un mois et demi d’apnée : « Oh putain, que ça fait du bien, bordel ! », lâche Guy, qui prend sa petite fille dans ses bras.
En l’espace de quelques secondes, le gazon de la Beaujoire est pris d’assaut. Merlin, comme ses comparses, est submergé : « Au début, je me disais : “Ils ne vont peut-être pas rentrer, peut-être pas pour un maintien.” Et je vois que ça rentre, ça rentre… J’esquive les gens, et à un moment, il fallait que je parte. Quand tu montes en haut, que tu vois ça… C’est un maintien, ça n’est pas un trophée, mais c’est encore plus beau. On sait tous que ce club ne peut pas descendre. » Sourires, larmes, câlin : à ce moment-là, c’est la totale chez les supporters. « On s’est fait peur jusqu’au bout, j’étais stressée avant le match. Mais voilà, on sera encore en Ligue 1 », exulte Élise, qui cavale sur le billard. À l’inverse, les membres de la BL – plutôt sage niveau pyrotechnie, pendant la rencontre – remontent à contre-courant en direction de leur chère et tendre tribune Loire pour brûler devant celle-ci les dernières torches de la saison.
Sur le pré, l’habitude fait que le show est désormais rodé : alors qu’un cordon d’une quinzaine de CRS s’est très rapidement formé pour évidemment bloquer l’accès au tunnel, les joueurs sont montés pour admirer la vue et le « Qui ne saute pas n’est pas nantais ! » est lancé par Samuel Moutoussamy. Porteur du brassard depuis le changement d’entraîneur, le touffu milieu de terrain kiffe son moment : « On m’a demandé si c’était mieux pour la Coupe de France… C’est mieux ce soir, c’est plus fort ! » Après l’hymne maison, la sono reste dans le local et crache du C2C (groupe culte des années 2010, et originaire de la ville). « Ce qui est bien avec Nantes, c’est qu’on ne s’ennuie pas, continue Guy. Bien sûr que le niveau affiché est vraiment décevant, et que ça risque d’être compliqué la saison prochaine avec la Ligue à 18. Mais je m’en fous, les émotions sont immenses. Voir tout ce peuple heureux, j’ai les frissons. »
Alors que la Beaujoire se vide et que le père Kita s’envoie « un verre de porto » avant d’aller faire le coq devant les micros, le coin buvettes au pied du stade est toujours aussi garni. Autour d’une bière et d’un américain, on se refait la rencontre qui aura sa place dans les livres d’histoire. « Merci Ganago, bordel ! La prestation n’est pas fabuleuse, mais on est heureux, et c’est le principal », exprime Vincent, qui a perdu dans le mouvement de foule son maillot floqué Veretout. Héros du jour, « Gana » a dû filer rapidement pour embarquer dans un avion direction le Cameroun. Mais qu’importe : ce samedi, Nantes est en fête. Un concert de klaxon s’organise, les drapeaux flottent dans la nuit bretonne et quelques loubards dansent sur la route. De là à vouloir revivre ce genre de moment ? « Ce maintien à l’ultime journée est dingue, mais on aimerait bien vivre une saison prochaine plus tranquille », admet Antoine, au volant de sa Twingo direction La Roche-sur-Yon.
« Il y a beaucoup de soulagement pour tout le peuple nantais, tous les gens qui ont le cœur jaune et vert et toutes ces personnes qui se réveilleront demain avec le sourire parce que leur club de cœur reste dans l’élite », savoure Aristouy, qui voit enfin le bout de ses « quatre semaines très difficiles, pas très épanouissantes ». L’entraîneur se la joue même Pascal Dupraz : « On avait passé la journée de la meilleure des manières avec pour finalité un petit moment émotionnellement sympa, une vidéo pour les joueurs dans laquelle on avait fait intervenir tout un tas de personnes qui souhaitaient, comme nous, que le club se maintienne et qui souhaitaient leur parler. Lors de l’envahissement, il y a plein de souvenirs qui remontent. J’ai vécu pas mal d’envahissements de terrain ici, notamment lors de moments bien plus fastes. C’est la passion. Les supporters nantais ont peut-être plus l’habitude qu’ailleurs, parce qu’ils ont attendu la fin du temps réglementaire. » C’est peut-être à ça qu’on reconnaît un club qui fait encore partie de l’élite, finalement.
Par Tristan Pubert et Jérémie Baron, à la Beaujoire
Propos recueillis par TP et JB