- CAN 2023
À Nantes-Malakoff, le rêve d'une demi-finale Guinée-Côte d'Ivoire
Abdoulaye Touré et Mouctar Diakhaby dans le onze de la Guinée, Émerse Faé sur le banc de la Côte d'Ivoire : le quartier de Malakoff, à Nantes, possède trois représentants en quarts de finale de la Coupe d'Afrique des nations. Une fierté pour la cité, où les trois hommes ont encore beaucoup d'attaches.
« C’était un mercredi. J’habitais au dixième étage de mon immeuble. Je voyais bien le quartier de là-haut, et notamment notre terrain et l’arrêt de bus. Personne sur notre terrain. Pas normal pour un mercredi. Je me mets à une autre fenêtre et je les vois tous à l’arrêt de bus. Là, je prends mon sac, mes crampons et j’y cours. Ils allaient tous à une détection du FC Nantes. J’y suis allé, et ma vie a changé à partir de mes 11 ans, chez les U13 du FC Nantes. » En 2019, Émerse Faé racontait dans ces colonnes le jour 1 de ce qui deviendrait sa carrière professionnelle. Cet immeuble en haut duquel tout a commencé, c’est « la Banane », qui longe la rue d’Angleterre, artère principale du quartier de Malakoff à l’est de Nantes. Comme les Dervallières ou Bellevue à l’autre extrémité de la ville, cette cité n’a pas bonne presse : cette semaine encore, un incendie y a causé la mort d’un octogénaire, et la police judiciaire a envoyé deux hommes du quartier en détention pour une affaire de stups. Mais loin de la rubrique faits divers, le mois de janvier a été historique pour les riverains : à l’occasion de la Coupe d’Afrique des nations disputée actuellement en Côte d’Ivoire, Faé et deux de ses « petits frères » de Malakoff font actuellement rayonner le quartier à l’étranger.
Comme l’ancien Aiglon (né en 1984), Abdoulayé Touré (1994) et Mouctar Diakhaby (1996) ont grandi dans cette barre, rentré leurs premiers dribbles de l’autre côté de la rue et grimpé dans le bus un bon paquet de fois pour faire du football leur métier. Aujourd’hui, les trois Malakoffiens, aux parcours bien distincts, sont en quarts de finale de la CAN avec leurs pays respectifs : la Côte d’Ivoire – avec sa toute récente casquette de sélectionneur – pour Faé, la Guinée – sur le terrain – pour les deux autres, par ailleurs cousins éloignés. De quoi rendre fières les trois familles, qui n’ont jamais quitté cette tour. « Quand la Guinée joue, on se regroupe, on va tous chez la daronne d’Abdou, témoigne Bilel – membre de la garde rapprochée du Havrais –, devant l’entrée du fameux gymnase Malakoff IV où évoluait jadis le mythique Nantes Bela Futsal. Avec le temps, cette habitude s’était un peu perdue, mais grâce à la CAN, on a retrouvé ça. »
Guerre de quartiers, Beaujoire et trajectoires
Touré et Diakhaby – qui ont pris leur temps avant d’enfiler le maillot du Syli national – disputent leur première Coupe d’Afrique, pour le plus grand bonheur de la grosse communauté guinéenne du coin, à commencer par Bafodé Touré, grand frère d’Abdoulaye : « J’ai souvent eu Mouctar et Abdou au téléphone ces derniers temps pour les motiver, mais il n’y a pas besoin, ils sont clairement concentrés et ça se ressent sur le terrain. Ils mesurent l’importance de représenter tout un pays. » « On suit cette CAN, car il y a forcément un engouement plus fort pour la sélection guinéenne, pose “Babou”, qui a grandi avec Diakhaby. Et on est fans de foot, tout simplement. » Absent lors des deux dernières rencontres à cause d’une blessure, Touré devrait être remis sur pied pour affronter la République démocratique du Congo, ce vendredi (21 heures).
« Malakoff, c’est un pilier, mon baromètre, nous expliquait Abdoulaye en octobre dernier. Quand j’arrivais à la Beaujoire, j’étais Abdoulaye le footballeur, mais au quartier, je redevenais Abdou, Monsieur Tout-le-monde. Quinze ans plus tard, je traîne avec les mêmes personnes, ça me fait un bien fou. Si tu ne sais pas où tu vas, rappelle-toi d’où tu viens, c’est ma philosophie. Je ne vais pas te jouer la carte du footballeur qui dit qu’il a tellement souffert, beaucoup en font trop. Moi, je suis seulement fier et heureux d’avoir grandi dans ces conditions malgré tout. » Mouctar Diakhaby ne dit pas autre chose, lui qui a pourtant explosé à Lyon plutôt qu’à Nantes, avant de faire son trou à Valence : « Malakoff, c’est mon enfance. Les personnes que je porte dans mon cœur, mes parents, y vivent toujours, donc j’ai un lien fort avec le quartier. » Bilel (aujourd’hui joueur de Nantes Doulon Bottière Futsal, club de D2) explique : « Tous les étés, on sait qu’on va les revoir. Eux aussi attendent ça pour venir reprendre de la force, se ressourcer. C’est fou l’attache qu’ils ont avec ce quartier, malgré leur réussite. » Et malgré les mésaventures, aussi : le 17 novembre 2014, Touré avait été violemment agressé à l’arme blanche, en plein Malakoff, sur fond de « guerre de quartiers ».
Au-delà de son rôle de modèle pour Touré ou « Mocko », Émerse Faé, premier footballeur professionnel issu de Malakoff (après Nantes, il est passé par Reading et Nice, avant une fin de carrière à 28 ans en raison d’une phlébite chronique), a eu son impact sur tout le quartier : « C’est grâce à lui que je suis allé pour la première fois à la Beaujoire, souligne Bilel. J’ai pu y aller parce qu’un mec de mon quartier avait signé pro au FC Nantes. » « Un gars de Malakoff qui est devenu champion du monde U17, vainqueur de la Gambardella… Tout le monde ne parlait que de lui, raconte de son côté Bafodé Touré. Les parents d’Émerse ont beaucoup aidé les miens : nous venions d’arriver à Malakoff, ils se déplaçaient pour de la plomberie, pour tout ! Ce n’était jamais pour de l’argent. »
Aujourd’hui, Faé (42 sélections avec les Éléphants, pour 3 Coupes d’Afrique disputées et une Coupe du monde passée sur le banc) a pris une nouvelle dimension, avec cette promotion. « Je m’y attendais, ce n’est pas une surprise, lâche son cousin, Patrice Tahé. C’était un des objectifs de la sélection ivoirienne à terme, et c’était surtout une évidence. Qu’il le devienne si rapidement c’est une surprise, mais il s’était préparé depuis longtemps pour, il est prêt. Dans la famille, tout le monde a poussé Émerse à accepter l’offre. » Bafodé Touré joue les prophètes : « La veille de la nomination d’Émerse à la tête de la sélection, j’envoie un message à mon frère et à mon cousin disant que la Côte d’Ivoire est dans le mal et que ce serait bien qu’après la CAN, ce soit Émerse qui prenne la relève. Le lendemain, il est nommé ! Au quartier, le rêve serait une demi-finale Guinée-Côte d’Ivoire(1). Émerse m’a dit que ce serait magnifique, entre Malakoffiens. »
À Malakoff, la foire aux phénomènes
Quand on lui demande de rembobiner dans ses souvenirs de kid, Faé décrit une cité « séparée en deux par une petite route et le gymnase. » « Et on se retrouvait souvent à jouer au foot, les “mecs du fond” contre les mecs de “l’autre côté”. Le foot, c’était 70-80% de notre temps. » Bien avant que la Banane ne soit réduite de moitié en parallèle de la construction du pont Éric-Tabarly, mais surtout que le terrain ne soit rasé pour faire sortir de terre une zone commerciale incluant aujourd’hui Basic-Fit et Carrefour Contact, Touré et Diakhaby ont reçu la même initiation que leur aîné : « On faisait des matchs, le samedi, le dimanche, ou le soir après l’école, continue Bilel. C’était sur convocation ! Il y avait trois ou quatre chefs d’équipe, le coach faisait une feuille, on la collait dans les halls d’immeuble, et tu venais pour voir si tu étais convoqué. Les matchs étaient au stade, un terrain en béton. Il n’existe plus. On entrait un par un, avec la musique de la Ligue des champions, et on tenait la main à des plus petits ! » Bafodé surenchérit : « C’était notre Bernabéu ! Il fallait s’affirmer, ne pas se faire marcher dessus. Le football est dans l’ADN de Malakoff. Quand le gymnase ouvrait les portes à 16h30, à 16h on faisait déjà la queue. C’est ça qui nous a permis d’apprendre le vivre ensemble et la discipline »
« Il faut se rendre compte que dans tous ces bâtiments collés, il y a quatre professionnels, enchaîne Bafodé. Au 35 Abdou, au 29 Mouctar, au 27 Emerse et au 17 Élie. » Élie, c’est Élie Youan (1999), attaquant formé au FCN sans s’y imposer et aujourd’hui à Hibernian (Écosse), à 24 ans. Sofian Bahloul (1999, passé par le SCO et aujourd’hui au FC Wil en D2 suisse) ainsi que Charles Koffi Acolatse (1995, milieu défensif international togolais, passé par la Jonelière et aujourd’hui à Târgu Jiu en D2 roumaine) sont également des produits locaux. « Et encore, il y avait tellement de phénomènes qui n’ont pas percé, dans ce petit quartier, appuie le frangin d’Abdoulaye. Ce qui est fou, c’est que contrairement à d’autres quartiers de Nantes, Malakoff n’est pas connu pour fournir les centres de formation. Pourtant, c’est chez nous qu’il y a eu le plus de pros. » Bilel y va d’ailleurs de son coup de gueule : « Aucun autre quartier à Nantes – et très peu de quartiers en France – n’a la chance d’avoir fourni autant de footballeurs professionnels. On ne trouve pas ça normal que dans un quartier comme ça, on n’ait même pas d’équipe de foot. On se prend des bâtons dans les roues. On a juste besoin du soutien de la mairie. » L’USSA Vertou (au sud de la cité des ducs de Bretagne) a d’ailleurs été un tremplin pour plusieurs Malakoffiens, dont Touré et Diakhaby.
« Je suis très content de voir Abdoulaye, Mouctar et Émerse à ce niveau-là, savoure en tout cas Patrice Tahé. Ils se donnent pour leur pays, rendent fiers pas seulement Malakoff, mais aussi tous les quartiers de Nantes. Il y a tellement de talents ici, ils permettent de montrer que l’on peut s’en sortir avec le sport, même si c’est compliqué lorsqu’on habite dans un quartier populaire. » Ce qui fait dire à Babou : « On aime parler de Malakoff uniquement pour les faits divers. C’est dommage, car la minorité salit la majorité qui se bat, fait des sacrifices pour réussir dans la vie. » D’ailleurs, Malakoff n’a pas fourni que des talents sportifs : pour rappel, Daniel Guiro et Thierry Rakotomanga ont également foulé ce bitume pendant leur jeunesse. En 1998, ils avaient fondé un groupe du nom de Tragédie.
@so_foot A priori, ça ne sera pas encore pour cette année, le Ballon d’or de Rayan Cherki… Par contre ce supporter ivoirien est déjà la star de la Coupe d’Afrique des nations 2023 ! #meme #CAN #CAN2023 #CAN2024 #can23 #can24 #coupedafrique23 #coupedafrique #coupedafrique24 #coupedafrique2023 #coupedafrique2024 #coupedafriquedesnations23 #coupedafriquedesnations24 #coupedafriquedesnations2023 #coupedafriquedesnations2024 #memetiktok #trend #trendtiktok #trending #fyp #foryouparty #foryou #pourtoi #pourtoipage #video #viral #humour #humor #coupedafriquedesnations
Par Diren Fesli et Jérémie Baron, à Nantes
Propos recueillis par DF et JB, sauf ceux d'Abdoulaye Touré, Mouctar Diakhaby et Emerse Faé, tirés de précédentes interviews pour sofoot.com.
(1) La Guinée affronte la République démocratique du Congo ce vendredi à 21h ; la Côte d'Ivoire joue le Mali samedi à 18h. En cas de qualifications, les deux nations se rencontreraient en demi-finales.