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Nantes, le logo de la « N »
En plus de dévoiler son prochain maillot, le FC Nantes a officiellement changé de logo mercredi, pour un résultat qui respire le marketing, crache sur sept décennies d'histoire et donne des sueurs froides. Comme si la saison n'avait pas déjà été assez tumultueuse.
Les nerfs des supporters nantais ont été mis à rude épreuve ce mercredi 22 mai. Tout d’abord, La Chaîne L’Équipe diffusait un documentaire revenant sur l’affaire Emiliano Sala, avec de nouvelles révélations et interventions, de Waldemar Kita notamment : de quoi plonger un peu plus tout le monde dans le caractère glauque de ce qui aura marqué la saison nantaise. Mais quelques heures avant cela, ce qui était déjà attendu depuis quelques semaines après des leaks sur les réseaux sociaux a été officiellement balancé sur les médias du club jaune et vert : un changement de logo qui n’est pas près de faire l’unanimité.
Écrire le futur sur les bases du passé ?Les bandes verticales jaune et verte, symboles du glorieux passé du Club, font leur grand retour sur le maillot 2019-2020 ? pic.twitter.com/UO5bmXxOII
— FC Nantes (@FCNantes) 22 mai 2019
De la Catalogne au Piémont, de l’identité à l’attractivité
Il y a onze ans, quelque temps après l’intronisation de Waldemar Kita à la tête du FCN, la direction avait déjà bouleversé l’identité du club avec une division du blason directement copiée-collée sur celui du FC Barcelone, les symboles nantais remplaçant les drapeaux du club blaugrana. Cette fois-ci, on a fait fort chez l’octuple champion de France, avec un tout simple « N » stylisé et épuré au possible, dans la droite lignée du déjà controversé logo sans âme de la Juventus et dans la continuité de nombreux clubs qui se refont une beauté parfois au détriment du bon sens. Bertrand Avril est directeur associé d’une agence de marketing sportif et a participé à une refonte de l’emblème du LOSC lorsqu’il était responsable marketing du club lillois (2002-2004). « Ce que va rechercher la marque FC Nantes, c’est d’être reconnue rapidement et par le plus grand nombre, déclare-t-il. Ça reprend un peu moins la forme des blasons tels qu’on les connaissait avant, mais les clubs doivent fabriquer leur marque, et plus le blason est simple, reconnaissable et efficace, et plus il va être efficient dans la logique marketing : il y a forcément des partis pris. En le voyant une fois, on peut le reproduire à la main. Ce n’était pas le cas avec tous les détails de l’ancien. »
Depuis 1943, seulement une fois la goélette, voilier étendard de la cité des ducs et qui figure sur les armoiries de la ville, avait disparu du symbole. C’était entre 1987 et 1997, une époque durant laquelle la Maison jaune a adopté le nom « FCNA » . Certes, cela a correspondu à l’un des passages les plus dorés de l’histoire nantaise, et certainement le plus marquant, preuve que l’on peut faire de belles choses même sans un logo légendaire. Mais jamais, en 76 ans, le blason (et encore, le terme est un peu usurpé ici) de l’écurie nantaise n’avait paru aussi impersonnel et loin de ce que devrait être sa fonction : représenter un club et rassembler les supporters autour d’une symbolique dans laquelle ils se reconnaissent et, surtout, qui dégage quelque chose. Les huit étoiles représentant les titres de champion de France ont disparu, le vert est par la force des choses ultraminoritaire, une seule moucheture d’hermine est présente au lieu des cinq habituelles (comme les cinq départements de la Bretagne historique), la date de création a été envoyée à la corbeille, exit également les rayures apparues en 2008 et rendant hommage à la génération 1995 de Coco Suaudeau… Ça fait beaucoup. Mais à entendre le club, tout va bien : le code couleur jaune et vert a été conservé (!) et la forme des armoiries de la ville a été reprise pour confectionner la chose.
Les exemples Barça et Real
« Les clubs internationaux comme la Juve ou Manchester City ont la volonté d’avoir quelque chose de plus épuré et moderne qui s’inscrivent dans une logique de globalisation de marque, pour mieux se vendre un peu partout dans le monde, analyse Nicolas Chanavat, maître de conférence en marketing du sport à l’université Paris-Sud et auteur de l’ouvrage Marketing du football. C’est un peu plus étonnant pour un club comme le FC Nantes qui a moins cette vocation et a plus une dimension locale, nationale. » Véridique : on verra difficilement des maillots jaunes floqués Kalifa Coulibaly en plein New York ou Pékin, même avec toute la bonne volonté du monde. « Mais il y a la volonté de s’inscrire dans une nouvelle stratégie de développement » , ajoute Chanavat.
Du calme, ce n’est que le logo qui change, en plus c’est la 10 ème fois. Twitter est cruel. #FCNantes pic.twitter.com/CDw0rqwPcr
— ℓαмsι E∂ιвнαï͏м (@okzalate) 22 mai 2019
Petit à petit, le club continue pourtant de foncer tête baissée dans une politique bling-bling brutale qui fait fi de toutes considérations historiques et affectives, même si le projet de nouveau stade est pour le moment enterré. « L’évolution du logo répond au besoin de développer l’influence et l’empreinte du FC Nantes.[…]Le Club travaille depuis de longs mois sur l’actualisation de sa stratégie de marque et le développement d’un style visuel plus actuel et attractif.[…]Le FC Nantes vise également à accentuer son développement sur tous les terrains. […]Le contexte, la société et la technologie ont énormément changé, et les symboles de la Maison jaune doivent aussi évoluer. » Voilà pour la justification de la direction, dans un charabia commercial qui nous emmène bien loin des mots-clés passion et plaisir. « Le changement de logo n’est pas la panacée non plus : il y a des clubs comme le Real ou le Barça qui n’ont pas changé grand-chose d’année en année » , rappelle Nicolas Chanavat.
« Celui qui aura le meilleur logo vendra potentiellement un peu plus de maillots »
Face à Dijon le 5 mai, la Brigade Loire avait anticipé la chose en déployant une nouvelle banderole salée à l’égard du président polonais : « Faire un logo immonde dans le dos de tout le monde, c’est ça la magie Waldysney ! » Car c’est aussi ce qui fait grincer des dents : si personne n’était dupe, jamais l’institution FC Nantes n’avait communiqué sur cette révolution avant mercredi et jamais les fans n’ont pu participer de près ou de loin. Problématique au cœur d’une période crispante côté cœur et tendue côté relation avec les supporters, et le club le sait d’ailleurs très bien, lui qui a déclaré regretter « d’officialiser le nouveau logo au cours de cette saison éprouvante, les contraintes équipementier obligeant d’anticiper dès septembre 2018, et de ne pas avoir trouvé une mécanique optimale pour intégrer les fans dans son processus de création » . Comme si tout ceci était fait à contre-cœur, mais que c’était de toute façon trop tard.
Pourtant selon Bertrand Avril, le FCN est dans le vrai : « Le nom du club est beaucoup plus visible comme ça. Entre deux clubs, celui qui aura le meilleur logo vendra potentiellement un peu plus de maillots. » Le directeur marketing concerné, Baptiste Huriez, pose quant à lui notamment l’argument digital : « Aujourd’hui, 50 à 60 % des contacts avec les marques se font à travers le mobile. L’écran est tellement petit qu’il était important d’épurer notre logo pour qu’il réponde aux besoins et permette un développement de l’image de marque. Regardez les marques Nike, Adidas, Mc Do, un enfant de 7 ans pourrait toutes les dessiner. » Sous réserve d’un retournement à la Leeds United ou d’une plainte du Nashville Soccer Club, voilà donc à quoi ressemble désormais le Football Club de Nantes. Et c’est le glorieux passé des Canaris qui s’éloigne un peu plus.
Par Jérémie Baron
Propos de Bertrand Avril et Nicolas Chanavat recueillis par JB, ceux de Baptiste Huriez tirés de 20 Minutes, les autres tirés de fcnantes.com
Crédit : FC Nantes - Arnaud Duret