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- FC Nantes 2000-2001
- Partie 3/3
Nantes 2001 : « Et là, je comprends que le stade va rentrer sur la pelouse »
Il y a 20 ans, le FC Nantes prenait la tête de la Ligue 1 à la trêve. Un semestre plus tard, il remportait un championnat où tous les gros se sont plantés, où Lyon a démarré trop tard, où les attractions s’appelaient le LOSC de Vahid et le Sedan de Pius N’Diéfi, où le meilleur joueur du FCN et du championnat - Éric Carrière - nageait dans un maillot trop grand. Le club nantais ne le savait pas encore, mais il s’agissait là de son chant du cygne, avant de passer les années suivantes à se saboter. Retour en témoignages et en trois chapitres sur la saison du dernier titre nantais à ce jour, avec 10 protagonistes de l’épopée. Au menu de ce troisième et dernier chapitre : match du titre, Johnny et Denoueix à la porte.
CASTING
Sylvain ARMAND (SA), latéral gauche, transfuge de l’ASSE, néo-pro et noctambuleFrédéric DA ROCHA (FDR), attaquant-ailier droit, ascendant guerrierRaynald DENOUEIX (RD), un régal d’entraîneurGeorges EO (GE), entraîneur-adjoint, Johnny addictNicolas GILLET (NG), défenseur tireur de coups francsMickaël LANDREAU (ML), « votre gardien et capitaine! » Nicolas LASPALLES (NL), latéral droit, recruté du PSG.Eric LEPORT (EL), directeur général du FC NantesNicolas SAVINAUD (NS), définition de la polyvalenceStéphane ZIANI (SZ), meneur de jeu excentré gauche, prêté par Bordeaux
N’hésitez pas à lire la première et la deuxième parties avant de commencer ce dernier épisode !
17. « Pourtant, intrinsèquement, Lyon était bien plus fort que nous »
ML: Lyon a gagné le samedi (contre le LOSC, le 28 avril 2001, N.D.L.R.) et revient à un point de nous. Le dimanche, on joue à Troyes, l’ESTAC de Rothen, Alain Perrin. Ça joue bien, ils aiment bien taper les gros. Pas simple d’aller là-bas.
FDR: Le dimanche, toute la Ligue 1 est aux Trophées UNFP. Notre match passe avant la cérémonie. Je me rappelle dire au groupe : « Ce serait bien que Lyon voit en live que le titre, c’est fini pour eux. » (Rires.) J’ai de la chance, je marque dans un match compliqué. Troyes manque d’ouvrir le score en début de match, mais on gagne 1-0. (Et Éric Carrière est élu meilleur joueur de Ligue 1, Raynald Denoueix, meilleur entraîneur, lors de ces trophées UNFP, N.D.L.R.)
ML: Pour la première fois, après le match, Maram’ lance une pagaie générale devant notre kop. Mathématiquement, rien n’est fait, mais on se dit que pour le titre, c’est terminé pour Lyon. Pourtant, intrinsèquement, ils étaient bien plus forts que nous. Ils nous ont battus à l’aller et au retour.
FDR: Avec 4 points d’avance sur Lyon, à deux matchs du bout, ça nous tient à cœur de prendre le titre sur une affiche comme celle de Sainté, à la maison. T’as pas le droit de perdre cette affiche, chez toi, pour être champion.
NS: Psychologiquement, on n’est quand même pas loin de la rupture. C’est ric-rac contre Bastia à la Beaujoire, à Troyes aussi. Mais on le sent bien, ce match du titre, à domicile, contre une équipe qui joue le maintien, Sainté.
SA: C’est ma première saison pro, donc je ne fais pas le malin à parler trop tôt du titre. Mais avant le match à Troyes, t’as un collègue qui me fait discrètement : « Imagine, on est champion… » « … Non, mais t’es fou toi, parle pas de ça ! » « Non, mais imagine, ça arrive, tu ferais quoi ? » « Ah ben je prends une grosse banane déjà. » La semaine du match contre Sainté, on en parle beaucoup plus entre nous. Et ça te met quand même une petite pression, cette histoire.
Nantes – Saint-Etienne, le 12 mai 2001
18. « Il est pas là « l’idole? » Ouais, Johnny, je l’appelais « l’idole » »
NL: Je prépare le match comme d’hab : petit-déj’, cartes, télé, sieste et direction le stade. Toute la semaine, tu sens déjà une énorme attente des journaux, des dirigeants, de tes proches. Comme pour une finale de coupe. Arrivé au stade, tu sens bien plus tôt une température plus élevée que d’habitude. Intérieurement, je ressens une immense fierté par rapport à mon parcours depuis gamin, vis-à-vis des entraîneurs m’ayant fait confiance. Je marche vachement à l’humain. Je me dis : « Je suis en train de bien leur rendre. Putain, si on peut être champions… » Je pense à Denoueix aussi, que j’estime énormément. Je ne suis pas rancunier, mais je repense au début de saison, où il est chahuté. Il m’a emmené tellement haut…
SZ: Tu mesures évidemment l’événement, mais les gars ont émotionnellement l’habitude des matchs couperets. Et même si tu perds contre Sainté, ton destin est encore entre tes mains. Le groupe est mature, ne pense qu’au jeu, pas au résultat. T’as des garde-fous expérimentés, rassembleurs, gagneurs dans chaque ligne. Ok, Micka est jeune, mais quelle expérience déjà… Nestor et Nico Laspalles derrière, Da Roch’ et moi dans le cœur du jeu, et Viorel devant.
FDR: Sainté tape la barre en début de match, et puis Marama met son but, classique, après 20 minutes. Et on serre les miches les trois quarts du temps ensuite.
ML: Même si, psychologiquement, tu te raccroches aux bons signaux, il est dur, émotionnellement et techniquement, à jouer ce match.
Marama Vahirua, la pagaie du titre
EL: Dans la presse, on a communiqué sur le changement de pelouse en fin de saison. Les supporters interprètent ça comme un message d’autorisation implicite à envahir la pelouse. Alors que c’était purement informatif, vraiment. (Rires.) Mais on a anticipé un éventuel envahissement, plutôt un bon signe. (Sourire.) Nos équipes de sécurité ont briefé les stadiers.
NL: Une ou deux minutes avant la fin du match, les gens franchissent les barrières, derrière les buts. J’ai le cœur compressé, mais aucune peur. Sans doute parce que je suis le plus proche du tunnel. Mais putain, tu vois que tu rends fiers les mecs, quoi.
NG: Je guette l’arbitre. Sauf qu’en même temps, je me dis : « Reste concentré, tenons le 1-0 et n’en marquons pas un de plus. » Hassan a deux occasions énormes. S’il en met une des deux, on ne finit probablement pas le match.
EL: Je vois les stadiers alignés se tenir par la main pour empêcher le public d’entrer sur la pelouse. J’ai franchement une seule trouille : ça lâche avant le coup de sifflet final, l’arbitre arrête ou invalide le match. Honnêtement, je n’ai pas le règlement en tête à ce moment-là.
SA: Je suis dans mon match. Ça joue à mon opposé, et Micka vient me voir discrètement : « Rapproche-toi, rapproche-toi, sinon on va être pris. » « Qu’est-ce qu’il me dit, lui ? » Là, je vois les supporters, les stadiers qui serrent les fesses. Je comprends que tout le stade va entrer sur la pelouse.
SZ: Une minute avant la fin, une émotion ultra-intense m’envahit, proche des pleurs, mais je résiste. Je revois mon année d’avant, mes doutes, les échéances ratées avec les Bleus. Je suis nantais, je reviens dans le club où j’ai commencé à 8 ans et je vais être champion avec. Putain ! T’es de passage, comme tout le monde, mais en train de participer, avec humilité, à l’histoire de ce club. Et je vais partager ça avec Raynald, mon coach-formateur, celui qui m’a lancé, boosté, rassuré. Je suis là, sur le terrain, mais perdu dans mon monde parallèle. Et je redoute le mouvement de foule. Gamin, j’adorais ces images, mais j’ai déjà vécu ça avec Lens (titre de 1998) à l’aéroport. Malgré les flics, je peinais à respirer et rejoindre le bus. Gervais Martel avait fait un malaise dans la foule.
NS: Je suis sur le côté droit, je m’apprête à faire une touche. L’arbitre siffle enfin, et je mets un grand coup de pied dans le ballon. Je suis con, j’aurais dû le garder. La marée humaine ne me fait pas peur. Elle ne nous veut pas de mal.
Avant le Quai West
RD: En deux secondes, t’es englouti. Je vois rien, même pas le temps de dire ouf, de lever les bras ou d’avoir peur. Oh la vache… Six mois après, sur cassette, je revois les images de la foule vue d’en haut, des types assis sur la barre transversale des buts, à découper les filets. Ça m’a ému. Très chouette.
NG: Tu veux fêter ça avec les supporters, mais si tu restes dans la foule, t’es foutu. Je sprinte jusqu’à l’entrée du tunnel. C’est stressant, plaisant et incroyable à la fois. Mais tu n’as pas le recul pour te rendre compte que tu ne reverras plus un envahissement comme ça. Ce serait impossible aujourd’hui.
FDR: J’ai ressenti une atmosphère aussi forte, voire plus, sur la dernière journée 2004-2005, où on se maintient grâce à un gros concours de circonstances. Un truc de fou.
ML: Je ressens à la fois un accomplissement, donc un relâchement, de l’émotion et la joie de partager ça. C’est vraiment magique et gravé à jamais, ce moment. Et je n’ai aucune peur de la foule. Bon, ok, je sprinte vers le tunnel, mais au pire, il va m’arriver quoi ? Je n’ai jamais vécu ce métier avec de la peur.
SA: Putain, ça me donne encore la chair de poule. Je ressens le truc un peu plus fort encore parce que je suis champion contre Sainté, qui n’avait pas voulu me garder. J’ai regardé mille fois les images sur Youtube, pour être sûr de n’avoir rien raté. Jérôme Alonzo se fait happer au niveau de son but par la foule, côté Brigade Loire. Extraordinaire ! (Rires.)
GE: On passe vite sur la plate-forme, en présidentielles, pour partager avec tous les supporters venus sur la pelouse. Et là… Da Roch’ me file le micro. « Faut faire quoi ? » « Ben chante ! »
SZ: Georges est un hyper rigoureux à l’entraînement. Mais il adore souvent chanter du Johnny. On le chambre tout le temps là-dessus.
GE: « Allumeeez le feu ! Allumee-ez le feu-eu ! » me vient tout de suite. J’ai passé mon temps à chanter du Johnny, que du Johnny, depuis que je l’ai connu. Je l’ai rencontré une fois dans les années 1970 lors d’un concert tenu au Champ-de-Mars à Nantes, la salle où jouait le basket. Alain Garnier, journaliste à Ouest-France et dans le staff de la mairie, vient me chercher à la fin du concert pour aller dans la « loge » de Johnny. Il sort de la douche, j’attends qu’il s’habille. Y a le respect, quand même. On reste 10 minutes et on prend une photo, Philippe Gondet – ancien joueur du club et alors président du comité des fêtes de la ville -, Johnny et moi. Les deux regardent l’objectif et moi, je regarde Johnny. C’est simple, j’ai vu Johnny partout. Je suis même allé manger dans un resto de l’un de ses associés à Paris, en disant : « L’idole est pas là ? » Ouais, Johnny, je l’appelais l’idole. À son décès, j’ai chialé sans m’arrêter, putain, alors que je ne pleure jamais. Mon époque foutait l’camp.
Showcase pour Georges Eo
19. « Depuis qu’on a l’âge de sortir, on connaît bien le patron du Quai West »
NL: Après les festivités en tribunes, les feux d’artifice, on grignote un petit truc au stade, on s’octroie tous un moment libre et on se retrouve tous en boîte, à Nantes.
SA: Chez Philippe, au Quai West. Micka nous a organisé ça, à nous filer les bracelets et tout.
ML: En gros, pour que ce soit bien cadré, j’organise tout en amont, je prends la responsabilité sur les épaules, pour préserver tout le monde, mais toujours avec le même discours : « Les gars, y a que le match qui compte. » En fait, le groupe a toujours su que je négociais toujours le meilleur pour eux. On partageait tout le temps les primes, par exemple. Sur l’enveloppe globale, on faisait 50% pour l’ensemble des joueurs et du staff, et l’autre 50% au prorata des matchs joués. On avait une grande confiance mutuelle. Le moindre comportement suspect est recadré direct.
GE: Moi, je ne finis pas en boîte. Ma femme ne venant pas aux matchs, je rentre toujours rapido à la maison. Et on a Téléfoot le lendemain. Faut avoir les yeux en face des trous. Mais je ne réussis pas à dormir.
RD: Après les matchs à domicile, on va souvent avec le doc et le kiné dans un resto de poissons, Amarine, au bord du périph’, à côté d’une concession BMW, un bruit de mouettes quand tu passes la porte d’entrée. C’est ouvert relativement tard, t’as un parking. Pratique. Je crois qu’on y va après le titre, mais pas sûr. Je suis nul, putain.
GE: Quelques jours plus tard, Raynald a offert L’Atlantide à tout le staff et nos femmes, un très bon gastro nantais. Super bon.
NG: Depuis qu’on a l’âge de sortir, on connaît bien le patron du Quai West, Philippe Clément. Le soir du titre, il nous met bien, avec un espace réservé à l’étage. La génération 1995 allait plus au Marlowe. Nous, c’est le Quai West, ou le Tex. Un peu plus tard, le Cookoo.
SZ: Philippe était la personne emblématique de la nuit à Nantes. C’est un très bon pote de Marcel Desailly, donc il côtoyait souvent les footeux du club. Il était même un peu paternaliste, capable de refuser des jeunes du centre en boîte.
SA: « Si t’as un problème, t’appelles Philippe », me disait Pape, qui le connaissait, via Marcel. Philippe, comme un chaperon, prenait des nouvelles au téléphone, discutait des matchs. Quand Pape venait à Nantes, on mangeait avec Philippe. J’aimais bien aller manger ou boire un coup chez lui. On l’appelait Olivier Quint dans l’équipe d’ailleurs. Il ressemblait à fond à Olive. Et quand Olive est arrivé au club à l’été 2001, toute le monde l’appelait Philippe. (Rires.)
Téléfoot featuring Pierre Peyronnet
NL: Quand Téléfoot vient à la Jonelière, tu vois les mecs arriver un par un, avec une drôle de tête.
GE: Sylvaine Mignogna, la productrice de Téléfoot, me dit qu’elle a gueulé sur le cameraman, quand je chantais sur le podium, pour qu’il reste branché sur moi. Je suis scié. L’après-midi, je remets ça, devant la mairie, qui nous balade en camion dans la ville. Ayrault fait son discours et se retourne : « Vous voulez chanter ? » Hop, 2-3 chansons. Du Johnny évidemment.
SZ: Et on remet ça en début de semaine. Un sponsor, qui nous a offert un pot, nous ramène en car à la Jone’. Certains se regardent : « Bon, on va pas se laisser là-dessus quand même ? Allez, on se boit vite fait un verre à La Belle Équipe. » En costard du club, on se met dans le fond du bar.
FDR: Ça part en banane. Certains, sur le trottoir du bar, appellent leur copine, la voix pas sûre : « Ouais, bon là, je serai pas là tout de suite pour manger parce que je bois un coup avec les collègues… »
SZ: Et puis une heure plus tard « Euh, je rentre dans une heure », pour finir par « Euh… Je rentre pas, en fait. » On a passé une soirée exceptionnelle.
NL: On a fini tard, à 10 sur les tables du bar, le nez bien rouge.
Revue de presse
20. Hélice en panne et récital à Lens
SA: Dans l’avion pour Lens, l’une des hélices coupe pendant le vol. Ça aurait été con qu’on finisse là-dessus. On en aurait profité que 5 jours, quoi! (Rires.) Bon, on atterrit. Mario Silva, phobique de l’avion, est tellement sous le choc que je passe titulaire. Je suis content. Tu ne dis jamais non à un Bollaert.
FDR: La veille de ce match, au Mercure de Lille-Lesquin, avec quelques-uns, on reste à discuter, à rigoler, à boire des coups dans les chambres, en bas. On ne s’est pas couchés tôt.
SZ: Je veux absolument faire un bon match à Lens, avec qui j’avais déjà été champion. Donc je la joue soft.
NS: Le coach Denoueix nous dit à la causerie de bien savourer le moment, devant le public lensois en plus : « Souvenez-vous, l’année dernière, on joue notre maintien sur le dernier match. Avant, on ne jouait rien. Là, vous n’avez qu’à célébrer votre titre. Ça n’arrivera peut-être plus jamais dans votre carrière, donc profitez-en à fond, de ce moment rare. » Lens n’a plus rien à jouer et nous, on est euphoriques, à oublier les fêtes et la fatigue.
FDR: Micka, Eric et Nico (Gillet, N.D.L.R.), convoqués avec les Bleus pour la Coupe des confédérations, sont absents. En entrant sur le terrain, Bollaert te fait la fête. C’est beau. On gagne 4-1, et en matière de jeu, je te raconte pas… On aurait pu en mettre plus.
SZ: Match exceptionnel dans le lâcher-prise. Du plaisir pur, comme avec tes potes en amateur, où tous les gestes rentrent. On s’éclate et on part tous en vacances. Là-dessus.
EL: Dans les bureaux, on prend une décision, pour la saison suivante, pas très populaire : les abonnements en tacite reconduction. Jusque-là, on devait relancer les abonnés un par un chaque été. Une déperdition colossale. Là, on n’invente rien, on reproduit le système d’abonnement de Canal Plus. Si tu fais ça dans une période de creux sportif, tu te fais dézinguer.
Aquagym
21. 1995 vs 2001
NL: Je n’ai pas joué avec l’équipe de 1995, mais contre eux, en cadets, avec Guingamp. J’ai pris des chtouilles contre Ouédec, Loko, Makélélé. Mis à part ça…
ML: Nous, on ne gagnait pas tous nos matchs 3-0. On était juste au taquet, on s’arrachait. Le point commun entre ces deux équipes, c’est l’histoire d’un cycle. Une génération vient du centre de formation, joue 3-4 ans ensemble, acquiert l’expérience du haut niveau et le recrutement vient améliorer l’ensemble. Et comme en 1995, notre groupe avait de l’ambition. Quelque part, on se préparait à vivre des moments comme ça.
GE: En 1995, fallait pas arriver en retard aux matchs. On va à 200 à l’heure, beaucoup de contre-attaques. L’équipe de Denoueix n’a pas le même style, Loko, Pedros, Makélélé, Karembeu pour demander cette accélération systématique au jeu. Non, on est plus dans la conservation et la progression du ballon, plus patiente.
RD: Je n’aime pas trop le terme patience. Trop passif, du style t’arrives à la gare deux heures avant le train et t’attends, pour pas le louper. Quand tu ne trouves pas d’espaces, tu construis, pour ne pas te fracasser la tête contre un mur. Pendant ce temps de possession, tu dois constamment avoir l’œil sur les espaces qui peuvent s’ouvrir. Pas question de patience donc, mais d’opportunisme. Si t’as rien déplacé, au haut niveau, les défenseurs font rarement d’erreur, ramassent tout. Sauf s’ils sont cons, roupillent ou si tu les as payés. (Rires.) Avec Da Roch’, Zian’, Monterrubio, Eric, si tu joues sans préparer, dans la seule confrontation, t’es foutu. Pareil pour Messi. Il le fait tellement peu que quand il part seul balle au pied, tout le monde s’en souvient. Comme contre Getafe.
NS: La différence entre 1995 et 2001, c’est un peu la différence entre Suaudeau et Denoueix, deux caractères opposés.
FDR: Le mélange des deux aurait donné l’entraîneur ultime. Si Suaudeau a de la rigueur, Denoueix en a encore plus dans son travail. Suaudeau adore l’improvisation, les trucs géniaux improbables. En 1995, il a les joueurs pour. Denoueix privilégie des circuits préférentiels très travaillés à l’entraînement. Suaudeau et Denoueix ont une école, une envie communes du jeu. Leurs exercices et leurs animations diffèrent, mais t’apprennent à t’adapter à toute situation. Ils aiment bien ça, l’intelligence.
NS: Sans les psychanalyser ou ni les offenser, Coco est plus expressif, dans sa manière d’être. Denoueix, plus réservé, même quand il faut recadrer des choses.
SZ: Suaudeau te stimule différemment, par la provocation. Raynald est plus formateur, sait prendre du temps.
GE: Au niveau pédagogie, formateur, Raynald, c’était très très fort, une pointure. Et à un moment, il a voulu vraiment entraîner chez les grands.
RD: J’adorais gérer le centre et entraîner la réserve en semaine, mais ta prépa était souvent ruinée le week-end quand tu récupérais quelques pros frustrés. Après 16 ans, j’en ai eu marre. Et là, le père Ruello (président de Rennes, N.D.L.R.) m’appelle, me propose les pros, pas la formation. Ça me tente bien. Et Coco me dit : « Tu me fais chier. Depuis le temps que je te dis de venir avec moi. Tu ne pars pas à Rennes et seras avec nous à la reprise, au stage en Autriche. Après, on verra. »
GE: Au bout de quelques jours en Autriche, Coco fait : « Raynald, tu prends le manche à partir de maintenant. »
RD: J’ai accroché dès mes 19 ans avec Coco. Il est alors entraîneur-joueur du FC Nantes et moi joueur. Il me laisse parfois faire des bouts de séance et j’irai entraîner les jeunes aussi. Coco m’interroge sans cesse. On a toujours échangé, été proches. Mais quand il me laisse les pros, il veut vraiment souffler. Et toi, tu veux fabriquer ton propre truc. Deux cuisiniers avec les mêmes ingrédients, au gramme près, te sortiront toujours un plat différent. Une phrase de Coco m’a marqué : « Je partirai avec mes idées. » Il ne sous-entendait pas : « Je ne les partage pas » mais que chacun a ses idées et sa propre personnalité. Entraîneur, c’est un mélange des deux. Il m’a fait la réflexion un jour : « Tu fais chier Raynald, tu ne veux pas qu’on t’aide. » Je déléguais peu, sans doute un tort. Je ne lui demandais pas conseil, mais c’était ma conception du boulot, pas une question de fierté. Coco et moi, on n’est pas si malléables que ça.
Raynald Denoueix, dans les pas de Coco Suaudeau
22. 11 septembre 2001, Gripond et Noël triste
RD: Dès la fin de saison du titre, lors d’une réunion sur le recrutement avec le président et Bud, je vois le père Bobin gêné. Ça ne lui ressemble pas. « Si la Socpresse reprend vraiment la main, je ne serai plus là pour vous protéger, Raynald. » Il n’ose pas trop le dire, mais ça sous-entend que moi non plus, je ne serai bientôt plus là. La Pension mimosas, comme on nous appelait depuis vingt ans à cause de notre penchant pour la formation, c’est fini.
EL: Après le titre, la Socpresse convoque Kléber et moi à Paris. Bizarre. Yves de Chaisemartin (DG de la Socpressse, N.D.L.R.) nous dit en gros que le titre, c’est de la chance, que Bud et Kléber sont vieux et qu’il faut du sang neuf. « On a choisi un nouveau président. Suivez-nous, il est dans la pièce à côté. » Et on voit pour la première fois Jean-Luc Gripond. Voilà comment Kléber apprend, assez violemment, son éviction. Ça éclaire sans doute sa gêne lors de la réunion dont parle Raynald.
SZ: Le début de saison 2001-2002 est pénible, tu sens que ça va se tendre, en haut lieu. On marche bien en C1 pourtant. Mais pas du tout en championnat.
EL: On joue notre premier match de C1, à la Beaujoire, contre le PSV, quelques heures après les attentats du 11 septembre 2001. Les Hollandais ne veulent pas jouer. Les officiels de l’UEFA, le préfet disent qu’on peut. On gagne, et le PSV dépose une réserve, déboutée plus tard. On fait une première phase de poules incroyable : premiers devant Galatasaray, le PSV et la Lazio.
SZ: Gérer les émotions d’un match de C1 est déjà compliqué pour des joueurs habitués. Alors imagine l’énergie laissée par un effectif jeune comme le nôtre…
RD: À l’inverse des grosses écuries européennes, le Nantes de l’époque, à 70%, ne bat pas le 10 ou le 15e de son championnat. Mentalement, les joueurs ont du mal à décrocher de la C1. Et je comprends.
NS: Gripond arrive à l’automne 2001. Avec Denoueix, ça ne pouvait pas coller. Il n’avait connu que des présidents ne se mêlant jamais du sportif.
RD: À son arrivée, il me demande de lui parler du club. Ma réponse le choque : « On fait les entraînements qu’on veut, on joue comment et avec qui on veut. Personne dans le vestiaire, sauf le staff et les joueurs. Le reste, ça nous regarde pas. » Depuis mes 17 ans, c’était comme ça ici. Puis il me dit qu’il veut, dans les dix ans, le FC Nantes dans le top 10 européen. Comme un con, je le prends au premier degré : « Avec les Manchester, Madrid, Barcelone, Juve ? Historiquement, économiquement, c’est impossible votre truc. » Et il enchaîne sur autre chose, comme si de rien n’était : « Pour l’instant, on ne change pas de coach, mais dès qu’on va avancer un peu… »
EL: Mais les premières pressions pour vider Denoueix viennent après le maintien acquis au Havre. Pas de la Socpresse, mais de la mairie. Kléber m’en avait parlé.
Comedy Club
RD: Dès octobre 2001, les rumeurs de mon licenciement enflent. Je tanne longtemps Robert pour qu’on tire ça au clair chez Gripond. On le rencontre, il veut vite régler mon cas. Il me propose, sur la forme, des trucs innommables. « Non, moi, je veux un truc clair, payer mes impôts dessus, surtout pas ce que vous me proposez, là. » Il en a marre et m’envoie vers Eric Leport, qui me parle des premières pressions du Maire d’ailleurs. On était alors dans un contexte de municipales, avec la Socpresse, de droite, M. Ayrault, pas tout à fait de droite, et la création d’une télé locale. Tout sauf du foot.
EL: Je fais ce rendez-vous à contre-cœur, c’est douloureux. La négociation est courte et sera finalisée par les avocats. On paie ce qu’on doit au coach.
RD: On est début décembre, mais Gripond ne veut pas que je le dise avant la fin de l’année, pour ne pas mettre le bordel et ne pas permettre à mon successeur d’organiser son propre staff. « Tant que vous êtes là, Raynald, il ne pourra rien faire. » Je ne dis rien. L’inverse aurait servi à quoi?
SA: On voit Raynald faire son taf jusqu’au bout, pro, sans rien montrer, sans chambouler l’équipe. Il aurait pu, pourtant. Mais on entend des choses. Micka organise une petite réunion entre les joueurs et Gripond. On lève tous la main pour que Raynald reste. C’est marquant de voir les joueurs aller au front comme ça, pour leur coach.
ML: Même à la veille du dernier match de l’année, contre Troyes, on se réunit encore, au Westotel, pour sauver le coach. Finalement, il se fera virer après ce match, une victoire d’ailleurs.
NG: Gripond s’en fout de notre avis. Il veut asseoir son autorité, diviser pour mieux régner. Et il présente Angel Marcos, le jour où il vire Denoueix.
Jean-Luc Gripond
FDR: Cette passation de pouvoir est un sketch. Avec Denoueix et Angel Marcos dans la même pièce, la salle vidéo, Gripond dit : « On vire certainement le meilleur entraîneur, mais c’est comme ça, on le remplace par Angel. » Et on part s’entraîner avec Angel. Il a ses qualités hein, on a passé des bons moments avec lui. Mais la façon dont ça s’est fait…
ML: Le monde à l’envers, Raynald qui présente Angel. Mais ça montre la classe et l’homme qu’est Raynald.
SA: Tu changes de logiciel avec Angel. Il est marrant, gentil, mais je n’ai jamais trop compris ce choix. Les Qataris, au PSG, ont remplacé Kombouaré par Ancelotti, pour changer de dimension. En passant de Denoueix à Angel Marcos, tu changes juste de logiciel, pas de monde.
NG: J’ai mes diplômes et j’entraîne aujourd’hui les jeunes à Carquefou. Je me sers des incohérences de management que j’ai pu voir chez les entraîneurs que j’ai connus. Mais avec Raynald, y a que du positif. Quand il était consultant sur Canal, je ne regardais même pas le match. J’écoutais sa voix. Il te faisait deviner, expliquait le match, la prestation d’ensemble. Pas une critique sur un joueur. Je l’ai eu longtemps Raynald, mais pas assez.
RD: Quelques jours après l’officialisation de mon licenciement, la Real Sociedad m’appelle. « M. Denoueix, c’est pour l’équipe professionnelle. » Là, je me souviens que, quelques mois avant, Serge Le Dizet avait insisté pour me présenter un éducateur de la Real, venu observer le fonctionnement de nos jeunes pendant une semaine. C’était jour de match. Je n’aime pas trop discuter les jours de match. Avec le recul, je pense que cet entraîneur était venu se renseigner sur moi. Je ne suis pas arrivé par hasard à la Real, club qui marchait très fort chez les jeunes. Quand j’arrive à San Sebastián, Mikel Etxarri, un très bon entraîneur et recruteur du club, me présente les installations et me dit : « Je suis sûr que je connais tous les joueurs de Nantes mieux que toi. » Il me cite tous ceux que j’ai eus. J’ai eu vraiment beaucoup de chances de rebondir à la Real, un super club.
FDR: Son licenciement est mon moment le plus dur au club. Pourtant, j’en ai connu des trucs ici, comme les descentes. De la formation jusqu’aux pros, j’ai apprécié Raynald. On pouvait discuter avec lui, même s’il valait mieux avoir ton sac à arguments, sinon t’étais cuit. J’ai longtemps eu du mal à accepter son départ. En 20 ans, j’ai tout vécu au FC Nantes, certainement le plus beau au début, et le moins bien ensuite. Je me rappelle un après-match, sur la table de massage. Je fais à Daguillon, notre kiné historique : « Putain, je crois que sur le 11 de départ, je suis le seul issu du centre de formation. Et j’ai 34 ans. Il y a un truc qui ne va pas Dag’, là. Non ? »
Fred Da Rocha et Dag’
23. « Après le départ de Raynald, le foot est parti… »
GE: On a vécu une très bonne période avec Raynald. On pouvait encore bricoler. Mais après, chaque défenseur de la politique historique du club est parti, bon gré mal gré. Et puis l’étiquette du club avec. Aujourd’hui, ça préside depuis Paris, le directeur sportif est en Belgique. Ça ne parle que de bonus, de transfert. Une foire aux bestiaux. Et le football est où là-dedans ?
FDR: Je ne suis pas contre le changement, mais pourquoi s’être éloigné, au fur et à mesure, de ce qui fonctionnait très bien : la formation comme base du groupe pro ?
ML: C’est ça, l’âme du club. Notre équipe avait une énergie, une solidarité, parce que 75% des joueurs étaient issus de la formation. Depuis tout petit, on nous avait toujours martelé de « progresser, progresser, progresser » . On a été formés pour progresser d’abord et pour gagner avec les pros ensuite. C’était ça, le but.
RD: À partir de 2002, le sportif ne décide plus. Quand j’y repense, Coco m’avait par exemple désigné comme son successeur, pas le président. C’est rare comme fonctionnement. On ne pensait qu’au terrain. « Les dossards, les planches et puis on y va ! », comme disait Coco avant l’entraînement. Du foot, quoi…
SZ: Je fantasme encore ce FC Nantes-là : d’abord un club formateur et combler par des recrues chez les pros, pour accompagner nos jeunes. En fait, avec Lens et Nantes, sur les deux années où je finis champion, je remarque trois constantes : une énorme capacité de travail à l’entraînement, des joueurs formés au club et un coach à la fibre formatrice. Tu gagnes du temps quand les générations se forment et passent en pro sur les mêmes principes de jeu, assimilés depuis tes 15 ans. Je crois – peut-être naïvement – encore à ces valeurs-là. Quand tu ne peux pas tous les ans jouer les premiers rôles, de par ton budget, tu ne peux que t’en sortir comme ça.
Didier Deschamps, époque centre de formation
NS: On apprenait à courir ensemble depuis nos 15 ans. Beaucoup pensaient qu’on ne s’entraînait qu’avec le ballon, mais créer des espaces, ça demande surtout beaucoup de foncier.
FDR: À 16 ans, je vois pour la première fois Suaudeau dans un couloir de la Jone’. Je tremble de partout et il me sort : « T’aimes quoi toi, dans le foot ? » « Bah jouer, faire des passes, marquer… » « T’as rien compris ! Faut aimer courir ! » C’est vrai que pour exister à Nantes, fallait aimer ça. En moins de 17, on jouait des petits matchs contre les pros, pour apprendre. Je me coltinais Desailly parfois. Il m’avait fait : « Mais t’en as pas marre de courir, toi ? »
RD: On demandait beaucoup, mais avant tout de faire des efforts pour l’autre. Je parlais de J.E.U, pas de J.E. Quand tu commences à dire à un mec qu’il faut courir, là, t’es fini. Je leur disais toujours : « Vous êtes payés pour courir et moi, pour vous faire mieux courir ensemble, pas pour vous implorer un petit effort. » La racine latine du mot motivation, c’est se mettre en mouvement, quand même.
ML: Le départ de Raynald est évidemment un tournant terrible pour le club. On se rend compte très très rapidement que le projet du club change. Bon, ça reste ton club, donc tu te bats et tout, mais bon… Il m’a mis capitaine, Raynald. J’avais une relation privilégiée avec lui. Pour les matchs de coupes d’Europe, on partait toujours ensemble faire la conf’ de veille de match. On avait des échanges extraordinaires. J’ai eu l’énorme chance d’être sous ses ordres, d’apprendre sa connaissance du jeu. Il est le premier, par exemple, à m’avoir dit « Micka, viens t’intercaler entre tes défenseurs centraux quand on a le ballon, on a besoin de toi ici, ça fait un joueur de plus. »
RD: Un jour, j’entends Gripond vouloir acheter un joueur pour une question de taux de change. On en était là… Avant, quand j’arrivais à la Jonelière, tous les entraîneurs, des 15 jusqu’aux pros, fonctionnaient avec un vestiaire commun. On se connaissait de A à Z et on discutait de 8h à 20h d’exercices, de jeu. Et puis, des années plus tard, ça a changé. Pour moi, c’est ça un club : tous les entraîneurs dans le même vestiaire. Le fait de ne plus être peinard en tant que coach a beaucoup joué dans le fait que je n’ai pas voulu retrouver de banc. Les présidents disaient « Je veux ci, je veux ça… » ou « on va faire notre présaison en Asie, ça nous rapportera tant, vous en pensez quoi? » Ça donnait pas trop envie. T’es pas le Real Madrid, à quoi bon récupérer 3 francs 6 sous ? Et tous les préparateurs physiques te disent que ce n’est une prépa appropriée. Mais c’est la mode. Donc aux présidents qui assumaient ça, et choisissaient le profil des joueurs recrutés, je disais : « Ok, c’est votre pognon, mais ce sera sans moi. »
NL: Ici, j’ai appris énormément dans le jeu sans ballon, codé pour les adversaires, mais limpide et calculé pour nous. Littéralement (il ferme les yeux, N.D.L.R.), je pouvais jouer les yeux fermés. C’était fou. J’avais 27 ans, ok, mais j’avais progressé tactiquement de 5 ans en une saison. Putain, en deux années et demi à Nantes, désolé, mais j’ai bandé. Et au départ de Denoueix, le foot est parti.
Retrouvez l’intégralité de notre série sur le titre de champion du FC Nantes 2000-2001 :Partie 1/3 Partie 2/3 Partie 3/3
Raynald Denoueix à la Real Sociedad
Merci à IconSport pour les photos !
Propos recueillis par Ronan BOSCHER