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Nani, le soliste contrarié

Par Romain Duchâteau
Nani, le soliste contrarié

Talent aussi génial que frustrant, Luís Nani reste un homme à l’image ambivalente auprès du peuple lusitanien. Parce qu’en club comme en sélection, l’ailier n’a jamais répondu sur la durée aux attentes escomptées. Mais, décisif depuis le début de cet Euro, le Portugais est peut-être enfin en passe de conquérir le cœur de ses compatriotes.

À l’aube d’atteindre la trentaine, il n’imaginait sans doute pas que le temps défilerait à toute vitesse. Entre les promesses ensevelies et les attentes jamais véritablement comblées, Luís Nani demeure pourtant toujours debout. Le regard constamment difficile à décrypter, un sourire rarement ostensible, la posture souvent distante pour ne pas dire austère. Les sensibilités et les perceptions des autres, le Portugais a fini par s’en accommoder sans que cela ne vienne ébranler sa route. Samedi dernier, lors du très crispant huitième de finale Croatie-Portugal (0-1, après prolongation), il a accédé dans la plus grande discrétion au rang de centenaire et rejoint un cercle privilégié composé de Cristiano Ronaldo (130 sélections), Luís Figo (127) et Fernando Couto (110). « C’est toujours un joli nombre à atteindre, je suis content pour Nani » , l’a d’ailleurs félicité son sélectionneur Fernando Santos après la qualification décrochée. S’il imaginait sans doute une centième davantage enivrante sous la tunique de la Selecção, le joueur lusitanien a été impliqué sur le but salvateur de Quaresma. Peu l’ont mentionné. Tout comme le fait qu’il réalise jusqu’ici un Euro de très bonne facture.

Fin de romance et vertus turques

Qu’il le comprenne ou non, des doutes subsistaient pourtant quant au niveau auquel Luís Carlos Almeida da Cunha allait évoluer durant ce championnat d’Europe. Car, cette saison, l’ailier de vingt-neuf ans a connu un tournant majeur dans son parcours. À l’été 2015, après huit années passées à Manchester United, la romance est arrivée à son terme. Envoyé en prêt au sein de son club formateur du Sporting Clube de Portugal l’année précédente afin de retrouver de l’élan, il se voit signifier son départ à son retour par Louis van Gaal, qui ne lui a jamais accordé un quelconque crédit. Une sortie forcée par la petite porte que Nani, viscéralement attaché aux Red Devils, a vécu comme un crève-cœur. Quelques mois après son départ, encore plein d’amertume et la rancœur palpable, il ne manquera d’ailleurs pas d’évacuer sa frustration en fustigeant le management un brin despotique et brutal de la « Tulipe de Fer » . « Van Gaal et son assistant criaient sur les joueurs comme si nous étions des enfants, comme si nous avions dix-huit ans, regrettait-il en avril dernier au Sunday Times. Et moi je pensais : « Ce n’est pas une façon de nous traiter parce que je suis un professionnel, je m’entraîne tous les jours en mettant de la qualité et je ne fais rien de mal. » Ils nous disaient : « Il faut passer la balle comme ça ! Allez ! Blablabla… » C’est délirant. C’est difficile de jouer comme ça car le football, c’est une question d’instinct. »

Alors, à l’instar de Robin van Persie, le Portugais a succombé au défi qu’est la Turquie et plus précisément Istanbul. En ralliant Fenerbahçe, l’enfant de Praia a fait le choix délibéré de garder des émoluments élevés, mais d’évoluer aussi dans un championnat au niveau bien en deçà de la Premier League. Et alors qu’on pouvait s’interroger sur ses motivations, il a rapidement prouvé qu’il ne débarquait pas en tant que pré-retraité. « Il a marqué des buts, donné des assists (8 pions et 9 passes décisives en 28 apparitions en Süper Lig, ndlr) et a montré qu’il sortait du lot, analyse Ricardo Faty, milieu de Bursaspor qui l’a affronté à deux reprises cette saison. Il a été le vrai leader de l’attaque du Fener alors que tout le monde attendait Robin van Persie » . Si la saison du club turc s’est avérée être un échec (2e place en championnat, 8es de finale de C3 et finale de Coupe perdue face au rival Galatasaray), l’ailier, lui, a été la hauteur de son rang et statut. « Il a répondu présent, a fait des différences et montré qu’il était affûté, appuie Ludovic Sylvestre, milieu de Cayzur Rizespor. À chaque phase offensive de son équipe, tout passait par lui et il cherchait à être dangereux sur chaque prise de balle. C’est un joueur international et il l’a pleinement prouvé » .

L’ombre et le relais de Cristiano

Sans doute soucieux de retrouver un championnat au rayonnement plus conséquent sur la scène européenne, Nani devrait s’engager prochainement en faveur du FC Valence. En attendant d’exporter son talent en Liga, c’est un homme en mission. Impliqué. Déterminé. Pour sa quatrième compétition majeure avec la Selecção après l’Euro 2008 et 2012 ainsi que la Coupe du monde 2014, le virevoltant ailier a encore des choses à prouver. Comme celle, en premier lieu, de conquérir les cœurs lusitaniens. Parce que s’il figure parmi les cadres de l’équipe nationale, il ne bénéficie pas en revanche de l’aura de Ronaldo, Pepe ou encore de Ricardo Carvalho ni de l’immense cote de popularité de l’insaisissable Quaresma. La faute, trop souvent, à d’incessants rendez-vous manqués, à une inconstance immuable, à des promesses jamais concrétisées, à un individualisme exaspérant. Mais, aussi et surtout, à cause d’une image froide et distante auprès du peuple portugais qui l’a trop fréquemment empêché de faire l’unanimité. Sans compter que, bien malgré lui, l’ex-Mancunien a depuis toujours souffert de la comparaison avec Cristiano Ronaldo et dû composer avec son ombre écrasante. Les destins se ressemblent. L’éclat de leur itinéraire respectif, moins. Formé au Sporting, révélé et choyé à Manchester United par Alex Ferguson, Nani a marché dans les pas de CR7. Mais jamais à des hauteurs aussi vertigineuses.

Celui qui affiche vingt réalisations en sélection l’a accepté avec le temps. Et c’est désormais aujourd’hui un fidèle lieutenant au service du Madrilène. Son plus fervent défenseur également face à la litanie de critiques qui s’est abattue en ce début d’Euro. « Tout le monde sait ce que Cristiano peut faire à tout moment, à n’importe quelle minute dans un match, martelait-il après le doublé décisif de son partenaire face à la Hongrie (3-3). Je suis persuadé qu’il va continuer et marquer plus de buts. Personne ne peut dire quoi que ce soit sur lui. C’est un joueur fantastique et il le prouve chaque fois qu’il connaît des moments difficiles. Tout le monde devrait la fermer désormais sur Cristiano » . À jouer les paratonnerres, on en oublierait presque l’importance du soldat de Fernando Santos dans les résultats obtenus par la Selecção. Avec deux buts inscrits en phase de groupes et son implication pour la qualification en quart de finale, Nani a rappelé à tous qu’il demeurait un joueur capable à son tour de faire basculer un match. « Chaque fois que je joue pour l’équipe nationale, je fais de mon mieux et j’essaye toujours d’aider, soufflait-il récemment. Parfois, je suis meilleur que d’autres. Parfois je joue bien, d’autres pas. C’est comme ça. En ce moment, je fais les choses bien et j’en suis très heureux. J’espère pouvoir continuer de cette façon. Nous avons dit que nous voulions remporter cette compétition. Peu importe l’équipe que nous affronterons, nous devons croire que nous pouvons le faire » . Comme en 2004, le peuple portugais ne demande qu’à voir ses héros se hisser à nouveau en finale. En espérant, cette fois, que le dénouement ne se termine pas dans les larmes.

Dans cet article :
Le Portugal reste muet en Écosse
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Par Romain Duchâteau

Propos de Ricardo Faty et Ludovic Sylvestre recueillis par RD

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