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Nancy, capitale de la déchéance

Par Alexis Billebault

Un an après avoir été reléguée en National, l’AS Nancy Lorraine vient de tomber un étage plus bas. Une véritable catastrophe industrielle pour le club qui a formé Michel Platini et remporté deux coupes nationales, mais qui paye les conséquences d’une gestion sportive et humaine grandguignolesque.

Nancy, capitale de la déchéance

À Nancy, la relégation de l’ASNL en National 2, le 26 mai dernier après un match nul à Bourg-en-Bresse (3-3), ne touche pas uniquement les supporters du club. « Ici, l’ASNL représente quelque chose. C’est un club ancré dans le professionnalisme depuis des décennies, il a gagné la Coupe de France en 1978 et la Coupe de la Ligue en 2006, a disputé plusieurs fois la Coupe d’Europe, Michel Platini y a été formé et y a commencé sa carrière, comme d’autres (Olivier Rouyer, Mustapha Hadji, Clément Lenglet, NDLR), alors forcément, le voir tomber aussi bas, cela touche beaucoup de monde. Des gens sont en colère, tristes ou sidérés », raconte sous couvert d’anonymat un ancien joueur, qui admet avoir du mal à réaliser une situation qui pourrait conduire au dépôt de bilan.

Gauthier Ganaye, le président fantôme

En terminant à la 13e place du classement, l’ASNL a pris place dans la charrette des six clubs invités à évoluer en National 2 la saison prochaine. Si elle avait battu Le Puy une semaine plus tôt, dans un stade Marcel-Picot bondé (19 000 spectateurs), elle n’en serait pas là. Mais face aux Ponots, déjà condamnés, les Lorrains avaient notamment manqué deux penaltys, tirés avec une certaine désinvolture, et presque obéré leurs chances de se maintenir avec cette défaite (1-2). Ce soir-là, le match avait été interrompu plusieurs minutes après que des supporters ulcérés avaient envoyé des projectiles sur la pelouse après le deuxième penalty manqué. Pourtant, le plus sidérant était ailleurs : malgré l’enjeu du jour, aucun dirigeant notoire n’avait jugé utile de se pointer à Picot. Ni Gauthier Ganaye, que certains à Nancy appellent « le président fantôme », ni les actionnaires. Le départ de GG, souhaité par les actionnaires américano-sino-indiens, selon une information de nos confrères de L’Est républicain datant du mois d’avril, aurait été acté par l’intéressé lui-même, juste avant le déplacement dans l’Ain.

L’espoir d’un repêchage

À l’issue de cette débâcle, Jacques Rousselot, l’ancien président de l’ASNL (1995-2021), avait tenu dans les vestiaires un discours mobilisateur devant des joueurs effondrés. « C’est quand même incroyable que ce soit l’ancien président, qui n’a plus de lien sinon affectif avec le club, qui parle aux joueurs », poursuit cet ex de la maison. Depuis, les supporters lorrains ont appris qu’il y avait encore un quelconque intérêt des actionnaires pour l’ASNL. Dans une interview accordée à L’Est républicain, l’un d’eux, Krishen Sud, est sorti de sa léthargie pour tenter de rassurer les salariés du club, les supporters et les collectivités. « L’ASNL a 80 % de chances de rester en National. Beaucoup d’observateurs et de spécialistes sont unanimes pour dire que quatre ou cinq équipes prévues pour le prochain championnat National rencontrent de grandes difficultés économiques. Si c’est le cas, nous serons en position d’être repêchés, à la suite de notre treizième place, à condition de passer avec succès la DNCG », en faisant référence aux difficultés financières de Dunkerque (pourtant promu en Ligue 2), Sedan, Châteauroux ou encore Versailles. « Nous passons 80 % de notre temps à travailler sur un budget de National. Les 20 % restant, c’est pour un plan B. » Sud n’a pas tort : les prochains passages devant la DNCG risquent d’être douloureux pour plusieurs pensionnaires de ce championnat de National au passage mal foutu, coûteux, où se mélangent clubs professionnels et (plus ou moins) amateurs, sans réelle exposition médiatique, et sur lequel les instances (FFF et LFP), que le monde entier nous envie, devraient sérieusement se pencher.

Des actionnaires absents

Cette hypothèse d’un repêchage, qui doit être prise avec toutes les précautions d’usage, est bien réelle. Mais elle ne signifierait pas pour autant la fin des problèmes d’un club qui évoluait encore en Ligue 1 en 2016-2017. « Un repêchage, oui, mais avec quel projet derrière ? Car si on se contente de se dire qu’on repart en National en ne changeant rien, on risque de revivre la même situation dans un an », suppose Abdeslam Ouaddou, formé au club et qui y a joué cinq saisons au niveau professionnel (1998-2001 et 2008-2010), et un des rares anciens à avoir accepté de s’exprimer ouvertement. Aujourd’hui entraîneur de Loto-Popo FC (Bénin), l’ancien défenseur international marocain n’est pas surpris par la chute vertigineuse de l’ASNL. « Depuis des années, cela manquait de vision à long terme. Après la victoire en Coupe de la Ligue, en 2006, on a peut-être cru que l’ASNL allait devenir un des meilleurs clubs français. Je ne sais pas si on s’est un peu emballés, mais ça ne s’est pas passé comme ça. Et la vente du club, en 2021, a accéléré les choses. »

Jacques Rousselot, essoré par 26 années de présidence, avait injecté beaucoup de son argent personnel dans les caisses du club, et instauré un mode de fonctionnement à l’ancienne au sein de l’ASNL. « C’était un président qui connaissait les noms de tous les salariés. C’était une gestion familiale, et il a été remplacé à ce poste par une personne, Gauthier Ganaye, un proche de deux des principaux actionnaires (Paul Conway et Chien Lee) qui ne venait que très rarement à Nancy et qui, d’après ce que je sais, ne disait bonjour à personne. » À Nancy, le nom du successeur de Jacques Rousselot donne de l’urticaire aux supporters, à de nombreux salariés du club et à d’anciens joueurs. « On nous l’a présenté comme un prodige. C’est vrai qu’un dirigeant qui arrive à faire passer un club, en un an, de la L2 au National 2, et a également réussi à faire tomber Ostende, dont il était également président, en L2 belge, c’est un prodige », ricane, toujours en off, l’ancien joueur nancéien. Et « un prodige » pas rémunéré à n’importe quel tarif, puisque Ganaye touchait, selon nos informations, 20 000 euros par mois à l’ASNL et à peu près autant à Ostende, détenu par Pacific Media Groupe, par ailleurs actionnaire à hauteur de 5 % de l’ASNL, et qui connaît des difficultés financières.

Mettre autant d’argent et donner l’impression de s’en foutre à ce point, c’est hallucinant.

Un ancien joueur de l’ASNL

Mais cet ex de la maison ne veut pas tout mettre sur le dos de Ganaye. Les joueurs et le staff technique ont également une bonne part de responsabilité dans ce désastre. « Déjà, être président de deux clubs professionnels en même temps, je ne comprends même pas comment cela peut être possible. Et puis, est-ce que les actionnaires lui ont donné les bonnes directives ? Avaient-ils vraiment un projet ? Ce qui est quand même fou, c’est qu’ils ont injecté autour de 12 millions d’euros. Et mettre autant d’argent et donner l’impression de s’en foutre à ce point, c’est hallucinant. Le pire, c’est que malgré cet investissement et un budget de 10 millions d’euros en National, on évoque des difficultés financières. À ma connaissance, certains créanciers commencent à râler» Les supporters lorrains, qui avaient pris Gauthier Ganaye en grippe – « c’est une des raisons pour lesquelles ses venues à Nancy étaient de plus en plus rares », explique une source locale – sont nombreux à espérer un départ des actuels propriétaires du club. Certains se mettent même à réclamer le retour aux affaires de Jacques Rousselot, qui n’a pas répondu à nos sollicitations. « Oui, c’est une rumeur qui prend forme ici », intervient Damien Grégorini, ancien gardien de but de l’ASNL (2007-2014), passé par le centre de formation lorrain jusqu’à son départ en juin 2022.

La rumeur Rousselot

Le Niçois, désormais entraîneur des gardiens du FC Mondercange (Luxembourg), mais qui habite toujours à Nancy, craint les conséquences de la relégation en N2, sans écarter l’hypothèse d’un repêchage. « Si le club tombe en N2, on peut envisager un dépôt de bilan, car l’ASNL est une structure assez lourde. Dans l’autre cas, il me semble impératif que les actionnaires définissent un vrai projet.  Depuis qu’ils ont repris le club, celui-ci navigue à vue. Il faut un président présent, qu’on voit au siège, au centre de formation et au stade. Or, Ganaye et les actionnaires, on ne les a vus qu’une fois au centre de formation ! Depuis 2021, on a surtout assisté à la mise à l’écart d’anciens du club. Cela se passe souvent comme ça dans le foot », explique-t-il. À leur arrivée, les nouveaux tauliers avaient remplacé Jean-Louis Garcia – « une erreur », selon Ouaddou – par l’Allemand Daniel Stendel, viré trois mois plus tard après un début de saison catastrophique (4 nuls et 6 défaites en 10 matchs), et remplacé par Benoît Pedretti (septembre 2021-décembre 2021), Albert Cartier (janvier 2022-2023), qui n’avait pu éviter la descente en National, et de nouveau Pedretti. « Ou alors, quelqu’un arrive avec une offre de reprise et à Nancy, tout le monde pense à Jacques Rousselot », reprend Grégorini.

Dans la ville encore sous le choc, on sait que les prochains jours seront déterminants pour l’avenir du club, dont l’image a été sévèrement écornée. Les incidents provoqués par certains supporters contre Le Puy et à Bourg-en-Bresse sont venus un peu plus plomber le tableau d’ensemble. « La violence ne résout rien, ce n’est pas la bonne façon de faire, mais cela fait des années qu’ils voient le club décliner, et ils ont toujours été là, même dans les moments difficiles, conclut Ouaddou. Je ne cautionne évidemment pas, mais certains ont exprimé leur ras-le-bol d’une manière plus radicale. » Et dire qu’il n’y avait même pas un dirigeant pour voir ça…

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Par Alexis Billebault

Propos recueillis par AB, sauf mentions

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