- Ligue 1
- J12
- Saint-Étienne-Lyon (0-5)
Nabil Fekir, un maillot trop grand pour lui ?
Il s'agit, paraît-il, d'un des derbys de feu de notre Ligue 1. Il devait sentir la poudre et le fumi. Bref, un match qui laisse une traînée de soufre derrière lui. Nous l'avons eu. Avec la confirmation de la grandeur retrouvée de Nabil Fekir qui, en plus d'être un joueur talentueux, n'a pu résister au plaisir de signifier au peuple vert l’avènement de son règne. Les supporters, qui n'attendaient que cela après une telle raclée, ont officié et envahi le terrain. Partout ailleurs en Europe, on se réjouirait de voir ainsi réciter la grande liturgie de la religion du ballon rond. Mais nous sommes, à jamais et pour le pire, le pays de Coubertin et de la LFP.
Nabil Fekir a illuminé le choc entre Sainté et Lyon. La punition a été terrible. Il a marché sur Geoffroy Guchard en offrant aux Gones une incroyable et inattendue, par son ampleur, victoire, en émergeant d’un brouillard de fumis censé l’effrayer comme un petit garçon. En retour, lorsqu’il a enfoncé le dernier clou sur le cercueil des Verts, il a eu le réflexe d’un grand bonhomme du foot : il a enlevé son maillot pour sanctifier son triomphe et, davantage que dans l’intention de provoquer gratuitement, imprimer son nom dans les mémoires de tous ceux présents ce soir-là. Mais la France reste la France. Un envahissement de terrain plus tard, et trente minutes de débats sur les plateaux télé, le voilà cloué au pilori.
Y compris par ses collègues, Gomis notamment. Y compris par son entraîneur, Bruno Génésio, qui a trouvé malin de lâcher son héros du soir, afin d’entonner son petit couplet du fair-play de comptoir. « Je trouve ça dommage. La meilleure réponse, c’était de gagner le match. C’est ce que l’on a fait. Ça ne servait à rien d’en rajouter et de provoquer les adversaires… Ça gâche un peu la fête. Fekir ? On n’aurait pas aimé si c’était arrivé chez nous dans un match inverse. Il faut savoir rester modeste. On a le droit de célébrer le but. C’est historique, surtout ici. Mais il ne faut pas faire des choses comme ça… J’espère qu’on pourra profiter de tout ça après. » La commission d’éthique va aussi, paraît-il, se saisir du cas. Beaucoup de déshonneur pour un seul homme.
Messi et Ronaldo, modèles de classe
Bien sûr, il existe des règlements fédéraux, UEFA et même FIFA (voire en Angleterre des textes de lois), des habitudes et du savoir-vivre. Ces petites choses sur lesquelles marchent ceux qui savent faire rêver le peuple. Tout le monde a encore forcément à l’esprit les précédents prestigieux de Lionel Messi (lors d’une victoire in fine en avril dernier contre le Real à Bernabéu), puis de Cristiano Ronaldo (en guise de retour à l’envoyeur, lors de la finale aller de la Supercoupe au Camp Nou).
Deux exemples qui avaient suscité étrangement beaucoup d’admiration et de fascination chez nous, dans la presse ou parmi les « pros » . Or, voilà que ces illustres et récents modèles ne servent pas à pardonner ou à exonérer l’attaquant de l’OL. Tout au contraire, ces deux cas ont surtout été utilisés pour lui appuyer la tête sur le gazon et lui rappeler sa principale faute : le manque d’humilité. Lionel Messi aurait lui agi avec la classe d’un deux ex machina du théâtre antique. Ronaldo est Ronaldo, il a répondu d’égal à égal au petit géant argentin, il pourrait voler la Joconde, il serait amnistié contre un selfie. C’est en fait presque logique.
Une image qui deviendra iconique
Si, depuis deux décennies, tous les acteurs du foot pro hexagonal ne cessent de réclamer à cor et à cri de donner les moyens, surtout fiscaux, à notre Ligue 1 de rivaliser avec les grands championnats d’Europe, ils oublient un peu vite que cela ne se limite pas à accroître les salaires et gonfler les chiffres d’affaires. Si le foot est un produit, il faut qu’il raconte une histoire, qu’il soit le cœur d’une légende, avec tous les naufrages et batailles qui charpentent les grandes odyssées. En brandissant son maillot (et qu’il l’ait fait après un cinquième but, ou que ce soit une vengeance après l’attentat qu’il avait subi durant le match), Nabil Fekir a octroyé un incroyable cachet à cette rencontre, autant qu’au score final. Une image qui va devenir iconique.
Cela fera mal aux Stéphanois, cela donnera des frissons aux Lyonnais. C’est l’objectif, tout comme les fumis et les tifos qui ont retardé le début de la rencontre ont honoré le statut de ce derby. Nabil Fekir était dans son rôle. Il a ainsi marqué son désir d’être un grand autant que par ses prestations balle au pied. Le foot n’est pas un sport, c’est une aventure romanesque. Seulement, le foot français ne sera jamais grand si on le désenchante. Alors, merci Nabil pour ce moment.
Par Nicolas Kssis-Martov