- International
- Match amical
- France/Pays-Bas
Mythes et réalités sur l’arrogance de la Tulipe
Un esprit moutonnier accable systématiquement les Oranje lorsqu’ils perdent un match, une finale ou bien lorsqu’ils se font éliminer d’une compète. L’arrogance, bien sûr ! Après tout, on sait tous que l’Italien est gai, le Français est râleur, l’Espagnol ombrageux et l’Anglais flegmatique, non ?
« Nous sommes les meilleurs et aucune équipe n’est plus forte que le Brésil ! » C’est cette exhortation habituelle que l’immense Cafu prononçait en rassemblant ses Brazileiros dans le vestiaire avant n’importe quel match de la Seleção. On aurait pourtant cru que les Auriverde étaient vaccinés du péché de présomption ultime datant de cette finale du Mundial 1950 qu’ils avaient gagnée avant de l’avoir jouée (1-2 contre l’Uruguay au Maracaña)… Au printemps 2002, l’équipementier de l’équipe de France avait fait broder une deuxième étoile sur la tunique bleue et Johnny beuglait sur TF1 que la France serait encore championne du Monde en Asie… Au Mundial 1982, les joueurs de la RFA rivalisaient de bons mots avant d’affronter l’Algérie : « Je dédicacerai notre 7e but pour mon fils ! » (sic)… À la Coupe du monde 2006, les géniaux Argentins font mu-muse avec les pauvres Allemands depuis qu’ils mènent 1-0 : Pékerman sort alors Riquelme pour le préserver pour la demi-finale, déjà dans la poche. Le brillant coach venait de signer l’arrêt de mort de l’Albiceleste, finalement battue aux pénos… Depuis 1966, toute l’Angleterre s’est gonflée d’orgueil avant chaque Euro et chaque Mondial en trompetant à la une des tabloïds que « ce coup-ci, les boys seraient les winners, the champions ! » Il a fallu attendre l’Euro 2012 pour voir Albion en rabattre et se satisfaire par avance d’un petit quart de finale… On continue ou bien on tape encore sur le foot hollandais ? Parce que la vérité est qu’en foot, l’arrogance est la vanité la mieux partagée au monde. Alors ? Tout serait donc faux à propos de ces footeux néerlandais qui regardent plus que d’autres la concurrence de (très) haut ? Oui et non.
Le péché originel de 1974
L’origine officielle de « l’arrogance hollandaise » , bien réelle, remonte à la finale de la Coupe du monde 1974. Dans le couloir qui mène à la pelouse de l’Olympia Stadion de Munich, les Oranje toisent les Allemands avec des sourires narquois, du genre : « Alors, les gars ! On vous en met combien aujourd’hui ? Trois, quatre ? » (dixit Johnny Rep pour So Foot). Mais le pire, c’est que les Allemands ne sont pas si choqués que ça : c’est de l’intox classique de la part d’une équipe qu’ils redoutent terriblement… Et qu’ils admirent même secrètement ! Déjà en mars 73, l’Ajax avait trucidé le Bayern en quarts de C1 à Amsterdam (4-0). Au tour suivant, après un match aller très serré pour l’Ajax face au Real (2-1), les rock stars ajacides hilares avaient annoncé la couleur pour le retour : « On gagnera 1-0 à Bernabéu ! » Ce qu’ils firent, les cons ! Et sous les applaudissements du public madrilène, en plus… Et puis, il y eut aussi l’épisode du trophée ramené en car dans le bac à linge sale sous les yeux ahuris des joueurs de la Juve battus en finale de cette C1 par la tornade ajaxienne… En fait, et on ne le dira jamais assez, les joueurs de cet Ajax révolutionnaire 71-73 et matrice de l’équipe des Pays-Bas 74 avaient tout simplement atteint le Nirvana du football, au point d’oublier que la défaite pouvait exister. Du coup, les têtes ont gonflé et l’enthousiasme ravageur a contaminé toute la sélection néerlandaise. Et pourtant, les Hollandais s’étaient rendus en Allemagne en 74 dans le but de simplement faire une bonne Coupe du monde, sans même espérer vraiment gagner. Mais le malheur a voulu qu’ils jouent divinement… Retour sur la finale de Munich ! Sur le terrain, depuis qu’ils mènent 1-0 sur péno de Neeskens à la première minute, les demi-dieux descendus de l’Olympe tuent le temps à jouer à la ba-balle. Ils ne réalisent même pas que les deux buts de la RFA qu’ils prennent en fin de première mi-temps (1-2) viennent de sceller leur destin : ils ne seront pas champions du monde ! Les héros déchus de 74 méditeront amèrement cette fable du lièvre et de la tortue. Mais pas tout de suite ! En demies de l’Euro 1976 en Yougoslavie, les Oranje prennent là encore de haut leur modeste adversaire tchécoslovaque : ils vont gagner et donc pouvoir retrouver ensuite la RFA en finale pour une revanche intergalactique… Sauf que la bande à Panenka plantera la bande à Cruyff 3-1 en prolongation ! En finale, une Mannschaft elle aussi un peu trop confiante se fera piéger par les Tchèques (2-2, 3 tab à 5).
Depuis cet Euro 76, on peut dire que l’arrogance absolue (la vraie, celle qui blesse l’adversaire avant même d’avoir joué) a grandement quitté les Oranje. Car dès le Mundial suivant en Argentine, les Bataves échoueront une nouvelle fois en finale, sans avoir frimé avant de jouer l’Argentine. Et pire encore, ils zapperont les deux Coupes du Monde 1982 et 1986, soit le truc qui fait bien redescendre sur terre… Il y aura bien de la présomption avant certains matchs, de la frime, de la provoc, de l’orgueil ouvertement affiché, des comportements vraiment imbuvables, des attitudes méprisantes envers les médias étrangers (les joueurs néerlandais traînent une réputation antipathique souvent justifiée), et mêmes des sales coups distribués sur le terrain par vexation et impuissance. OK, tout ça reflète bien une forme d’arrogance, mais jamais au point de s’être vus vainqueurs avant d’avoir joué et de le proclamer haut et fort. Les échecs répétés de 1974-1986 ont quand même bien dégonflé les melons. À l’Euro 92, il y eut bien un peu de suffisance dans la demie perdue face au Danemark, mais les Oranje tentèrent vraiment tout pour gagner et furent battus par plus forts qu’eux (2-2, 4 tab à 5). S’ils avaient été vraiment arrogants, ils auraient perdu plus nettement et en 90 minutes chrono. Même lors de l’Euro 2000 « à la maison » (et co-organisé avec la Belgique), la super sélection oranje de Rijkaard l’avait jouée plutôt modeste au vu du plateau très relevé qui l’attendait (France, Espagne, Portugal, Italie).
Des losers, vraiment ?
Parler d’arrogance néerlandaise tient à la fois de la vérité, mais aussi de la mauvaise interprétation d’un banal sentiment de supériorité propre aux vrais sportifs. En fait, les petits Pays-Bas maltraités par l’Histoire ont toujours surinvesti leur fierté nationale dans le sport, vecteur direct vers la reconnaissance mondiale. Foot, patinage de vitesse et hockey sur gazon, ça ne rigole pas ! Dans ces trois disciplines, la Hollande a mis le paquet pour briller et elle le fait très bien. Depuis plus de 50 ans, le foot batave a grandement révolutionné le foot mondial au point de figurer dans le top 5 planétaire au niveau tactique et dans la production quasi continue de grands joueurs, voire de cracks d’exception (Cruyff, Van Basten, Bergkamp). Du coup, comment blâmer les Oranje lorsqu’ils revendiquent haut et fort leur qualité, leur force, leur confiance en eux et leur volonté de vaincre ? Est-ce qu’on critique les sprinteurs jamaïcains et les basketteurs US qui chambrent la concurrence avant une compète ? Non. C’est du sport : ces sprinteurs et ces basketteurs revendiquent un statut légitime de « champions » , point barre. Oui, mais… Les Hollandais, eux, ne gagnent jamais ! C’est faux. Le foot néerlandais a tout gagné : en clubs (6 C1, 4 C3 et 1 C2), en sélection (Euro 1988), en titres individuels (7 Ballons d’Or, numéro 1 ex aequo avec l’Allemagne) et en prestige (Rinus Michels sacré par la Fifa meilleur entraîneur du XXe siècle). Manque la Coupe du monde, évidemment. Mais une seule a été vraiment perdue « par arrogance » . Et encore ! Qui peut affirmer qu’en ayant été moins « arrogante » , la Hollande aurait gagné le Mondial 1974 ?… Et puis trois finales perdues en 36 ans pour un petit pays qui s’est mis en plus au foot professionnel tardivement (en 1954, 1930 en France), c’est plutôt pas mal. Autrement dit, les Hollandais ont le droit de la ramener quand même un peu…
Même s’ils le confessent eux-mêmes, à l’image d’un Sneijder qui déclarait qu’ « à l’Ajax, on apprend à être arrogant » , le foot néerlandais accole à cette supériorité revendiquée l’exigence absolue d’excellence. Quand ce même Sneijder raconte ce qu’il en coûte de sacrifices pour finir pro à l’Ajax (qui reste aujourd’hui encore l’un des tout meilleurs centres de formation au monde), il est tout naturel de témoigner de sa fierté de jouer dans un club prestigieux ou sous le glorieux maillot orangé. L’autre limite à l’éventuelle arrogance déplacée des footeux néerlandais tient à la vigilance populaire et médiatique de tout un vrai pays de foot : malheur à la grande gueule qui revendiquerait pour lui ou pour l’équipe un statut usurpé. Il faut d’abord avoir beaucoup prouvé avant de l’ouvrir. Le foot hollandais est sans pitié pour les égarés comme Babel, Drenthe, Afellay, Elia, etc. Enfin, un autre garde-fou aide à contenir les dérives arrogantes : le foot néerlandais se remet constamment en question après chaque échec. Dans le cas contraire, il aurait disparu du top 10 mondial depuis bien longtemps. C’est d’ailleurs comme ça que les Pays-Bas ont gagné l’Euro 1988 : grâce à leurs talents individuels, bien sûr, mais aussi grâce à une autre approche psychologique et tactique imaginée par Rinus Michels : responsabilisation des joueurs et passage au 4-4-2. Une anecdote pour finir… L’an dernier, dans le cadre d’une action caritative de la KNVB (Fédé hollandaise), Louis van Gaal s’est rendu dans un centre pour enfants trisomiques. Questionné par un môme qui lui demandait si les Pays-Bas remporteraient la Coupe du monde 2014, Killer Louis lui a répondu : « Non. Les Pays-Bas ne gagneront pas la Coupe du monde… » Après un silence, il a ajouté : « Mais nous avons une chance de pouvoir la gagner. Cette chance, nous la jouerons à fond. » Traduction : même si, évidemment, Van Gaal fera tout pour que ses Oranje gagnent le Mondial brésilien, il annonce le véritable statut de son équipe un an avant la compète : outsider et rien de plus. Louis redoute l’Espagne, craint le Chili et se méfie des Australiens… Vous appelez ça de l’arrogance ?
Par Chérif Ghemmour