- Ligue 1
- J6
- Nice-Monaco
Myron Boadu et Calvin Stengs, potes d’Azur
Formés à l'Alkmaar Zaanstreek (AZ), les deux attaquants néerlandais sont devenus coéquipiers, potes, puis meilleurs amis tout en ayant deux ans d'écart. Un hasard dû à des problèmes physiques desquels ils puisent un supplément d'âme décisif dans leur percée au très haut niveau. Passés respectivement à Nice et Monaco, Calvin Stengs (22 ans) et Myron Boadu (20 ans) se voient pour la première fois de leur vie comme deux rivaux.
En ce samedi soir, la pelouse n’est plus vraiment verte. La faute à trois gamins maltraitant le ballon jusqu’à plus soif. Parmi eux, Myron Boadu, six ans, attend que son club, le FC Bijlmer, coupe l’électricité pour s’arrêter. La suite est la même chaque jour de match : retour au quartier de Strandvliet et dodo en contemplant l’Amsterdam ArenA, située à deux minutes à pied de l’appartement familial. Au même âge (mais deux ans plus tôt), le quotidien de Calvin Stengs était radicalement différent. Élevé seul par sa mère dans la bourgade de Nieuw-Vennep, lui était plutôt basketball, et occupait ses samedis soir en regardant Space Jam, après avoir passé la journée à poser comme modèle photo pour Calvin Klein. Nous sommes au tout début des années 2000 et une trentaine de bornes séparent les deux bonhommes. Au gré de leurs malheurs, cette distance va se réduire jusqu’à devenir invisible et former un lien aussi pur qu’indéfectible.
« J’ai dit à mes coéquipiers : ce gars n’est pas normal ! »
« Ce n’était pas clair du tout que Calvin soit footballeur professionnel. En revanche, ça se voyait qu’il était bien meilleur que les autres. Il courait différemment, sa mobilité était bien supérieure. Mais de là à être pro, c’était plutôt de l’ordre du rêve. » Johan Gomes, premier entraîneur de Stengs au SV DIOS (rien à voir avec Maradona ou tout autre prophète, NDLR), plante le décor. Jusqu’aux seize ans de l’ailier, tout le monde pense la même chose. Myron Boadu, arrivé à douze piges à l’AZ, fait bien davantage de bruit. Joel Donald, alors en U17, se le rappelle très bien : « Une fois, je suivais les U12 et au bout du terrain, j’ai vu un gars très costaud qui mettait tous les ballons qu’il touchait entre les poteaux. C’était Myron. J’ai dit à mes coéquipiers que ce gars n’était pas normal, et il est devenu énorme. » Comprendre : l’aîné Calvin et le benjamin Myron ont explosé à des moments différents.
Stengs au SV DIOS
Pendant que le dernier colle but sur but avec les premières classes de l’AZ, Calvin remporte le championnat U15, puis se heurte à un mur. Robin Schouten, coéquipier pendant plusieurs années, raconte : « À la fin de la saison U16, quand tout le monde est monté en U17, lui est resté. Les coachs disaient que c’était mieux pour son développement qu’il retape une année. C’était difficile parce qu’on était tous ensemble depuis les U12. » À l’époque, celui qu’on appelle Stokkie (bâton) pour ses longues et fines jambes ne fait pas le poids physiquement. Koen Stam, ex-entraîneur des jeunes d’Alkmaar et désormais responsable de la méthodologie de Feyenoord, fournit les détails : « Calvin est né en décembre, il est donc en quelque sorte un retardataire. Son âge biologique(c’est-à-dire physiologiquement parlant) était de 14 quand il avait 15 ans. C’était un petit garçon pendant longtemps. Mais différents scans ont déterminé qu’il avait un haut potentiel de croissance. En fait, Calvin attendait juste le moment où il grandirait. Il s’est épanoui tardivement. » L’épanouissement de l’ailier droit, numéro dix jusqu’en U15, va connaître un tournant durant cette deuxième année en U16. De fait, c’est ce redoublement forcé qui marque sa rencontre avec le surclassé Myron Boadu.
Thierry Henry et Wesley Sneijder
Plus jeune, Boadu était pourtant loin d’enfiler les pions des nouilles sur un collier de pâtes. « Avec moi, il était numéro dix, tranche Fred Bloem, son coach à Buitenveldert de neuf à douze ans. Le problème, c’est qu’il ne remportait pas ses duels en match, il n’avait pas ce côté tueur. Je lui ai donné l’exemple de Thierry Henry qui était très efficace avec des frappes à ras de terre. Je l’entraînais à viser un endroit en particulier dans les cages vides des dizaines de fois après chaque séance. » Des lacunes qui ont refroidi l’Ajax. Testé à l’entraînement et en match à onze ans, il ne convainc pas les formateurs amstellodamois à cause de son faible bagage technique. « Je leur ai dit que tout le monde ne pouvait pas être le nouveau Wesley Sneijder, rapporte Fred Bloem. Ensuite, l’AZ l’a invité et l’a recruté. Par la suite, il mettait un point d’honneur à marquer et battre l’Ajax. » Et son nouveau copain Calvin Stengs n’allait pas manquer de l’aider à prendre sa revanche.
Myron, 9 ans, visiblement heureux d’être là (tout en bas à droite)
Très vite, les deux gosses deviennent plus que de simples coéquipiers. « Ensemble ils ont une vraie connexion, affirme Erwin van de Looi, sélectionneur des espoirs néerlandais. La première fois que je les ai appelés ensemble en U21, on a battu le Portugal 4-2. Myron a marqué deux buts sur deux passes de Calvin. À chaque fois que l’un avait une occasion, c’est parce que l’autre lui faisait la passe. » Logiquement, un lien se tisse en dehors du terrain, où ils partagent les mêmes centres d’intérêts. « Ils aiment tous les deux le rap américain comme Burna Boy, mais préfèrent la musique néerlandaise, en particulier Frenna, glisse Joel Donald. Et puis ils sont un peu fous, font toujours les mêmes blagues. Comme mettre des taquets sur la tête des autres et faire comme si ce n’était pas eux, ou lâcher des caisses. (Rires.) »
Deux incontournables pour le prix d’un
Unis, ils ont la force. La suite, c’est Robin Schouten, coéquipier d’alors, qui la raconte le mieux : « Quand Calvin a fini par monter en U19, nous étions concurrents au poste d’ailier droit. Pendant toute la première partie de la saison, il était sur le banc, mais l’équipe ne faisait pas de bons résultats. À la trêve hivernale, le coach est venu me dire :« Qu’est-ce que tu penserais de reculer latéral droit pour mettre Calvin ailier ? » Je lui ai dit qu’on pouvait essayer. Le premier match qu’on a joué comme ça, c’était contre Willem II à l’extérieur, et on les a carrément défoncés, c’était incroyable. » Joel Donald démêle le pourquoi du comment : « En restant en U16, il est devenu le meilleur joueur de son équipe, avec les responsabilités que ça entraîne. Il n’avait plus de problème de taille avec des adversaires plus jeunes tout en étant meilleur techniquement, ce qui lui a donné une confiance énorme qui est restée. Au début, il n’était pas considéré comme un talent par l’AZ. Mais à ses dix-sept ans, c’était impossible de ne pas le voir. »
Wijndal, Boadu et Stengs.
Avec Myron Boadu et Owen Wijndal, ils s’imposent comme les trois mousquetaires du vestiaire. Et gagnent leurs gallons sur le terrain avec la réserve du club frison. Calvin est titulaire, et Myron, 15 printemps, s’adapte les doigts dans le nez à ses coéquipiers qui en facturent 19. Comme Joerie Church, qui se souvient du premier entraînement : « On faisait un exercice de possession à cinq contre cinq avec deux joueurs libres. On devait garder le ballon, mais il bougeait trop bien sur le terrain, avec des mouvements parfaits. » Les deux gamins se rendent très vite indispensables pour l’équipe B en troisième division. « Dès le troisième match de la saison, on avait besoin de Calvin, compte Schouten. Il a fait un excellent match contre l’Excelsior Maassluis en marquant le but de la victoire en fin de match. Myron, lui, a fait ses débuts dans un match compliqué à l’extérieur en tant que titulaire face au deuxième du championnat. Et il a marqué deux buts. »
Merci Mino
Enfin associés sur le terrain, les numéros 9 et 34 conduisent l’AZ B jusqu’au titre. Dans la fiesta qui suit, Boadu finit par énerver le vestiaire pour une raison surprenante : « Un joueur avait acheté une bouteille de vodka de six litres, glisse Schouten, tout en se marrant. Myron était au milieu du vestiaire et il l’a cassée. Mais lui s’en fichait, car à 15 ans, il n’avait pas le droit à l’alcool. Tout le monde était énervé après lui car il n’y avait plus rien à boire. » Un dernier moment d’insouciance avant de rejoindre, après les vacances, le groupe pro et de connaître de nouvelles galères. Victime d’une déchirure du ménisque du genou gauche contre l’Ukraine à l’Euro U17, Boadu n’est finalement pas du voyage.
Trois mois plus tard, Stokkie pense venger son pote en étant titularisé pour l’ouverture du championnat néerlandais contre le PSV, mais c’est raté. Après huit minutes de jeu, une intervention maladroite de Santiago Arias sur sa longue et fine jambe droite lui rompt le ligament croisé du genou. 432 jours de compétition partent en fumée. Une épreuve difficile qui va souder encore un peu plus son duo avec Myron. Johan Gomes, le coach de jeunesse, reprend la parole : « Calvin a été se faire opérer à Pittsburgh, aux États-Unis, par le même médecin que Zlatan Ibrahimović qui était connu pour être un des meilleurs. C’est Mino Raiola qui s’est occupé de tout. »
L’agent avait déjà arrangé une rencontre entre le Suédois et Boadu, son autre poulain. À la question de Zlatan : « Tu veux être aussi fort que moi ? », le Néerlandais avait répondu : « Non, je veux devenir meilleur. » Sur place, Boadu a ensuite retrouvé Stengs, qu’il n’a plus quitté de toute sa rééducation. Bien revenu, Boadu, déjà buteur le plus précoce de l’histoire de la D2 (15 ans et 233 jours), devient le plus jeune goleadorde l’AZ en Eredivisie (17 ans et 212 jours) avant de se casser la cheville. Pour combiner pour de bon avec Calvin, il faudra encore attendre. Premier trimestre 2019 : aucune trace de leurs noms sur une même feuille de match. Mais après sept petites minutes ensemble en avril 2019, ils prennent une place XXL dans le onze de John van den Brom dès la reprise. À eux deux, ils plantent 30 buts et lâchent 25 caviars toutes compétitions confondues.
Oranje pas encore mûrs
Ronald Koeman est séduit. Le 8 novembre 2019, le sélectionneur néerlandais convoque la belle brochette de Bataves pour la première fois. « Il y avait quelques blessures et eux jouaient bien, alors c’était l’opportunité, tempère Van de Looi. Mais je pense que c’était trop tôt, ils n’étaient pas prêts. » Forcément, le saut dans le grand bain met en exergue les défauts des deux teenagers. Erwin van de Looi toujours : « Calvin a de très bons skills, mais le football, c’est plus que ça. Il doit prendre ses responsabilités, et arrêter d’éviter les un-contre-un. À ce niveau, ce n’est pas possible. » Voilà sans doute pourquoi il a dû faire une croix sur un Euro auquel il pensait être convié par beau-papa Frank de Boer (il vit avec sa fille). « Myron, lui, c’est le genre de joueurs qu’on ne voit parfois pas dans un match, enchaîne le sélectionneur EVDL. On se demande s’il joue avec nous, mais la seconde d’après, il marque. C’était comme ça à l’Euro Espoirs où il a marqué deux buts dans les quinze dernières minutes contre la France. Marquer un but ici ou là n’est pas suffisant. Il faut participer au jeu ou à la défense. » Conséquence : il marque pour sa première avec les A contre l’Estonie le 19 novembre 2019, mais n’est plus appelé depuis.
Le chemin est encore long, mais le petit Myron peut être fier. En l’espace de seize ans, il a répondu à des chants racistes de parents lors d’un tournoi junior en éliminant leur équipe, a résisté aux sirènes d’Arsenal, qui lui a fait visiter l’Emirates Stadium en 2016 avec Arsène Wenger. Mais surtout, il a parcouru la centaine de mètres qui le séparaient de l’Amsterdam ArenA pour y marquer avec le maillot orange – qu’il a évidemment gardé. Calvin aussi a renoué avec les terrains de son enfance. Durant la pandémie, il est retourné tâter du cuir avec son premier entraîneur à Nieuw-Vennep. Avant de couper ses racines à l’été 2021 pour rallier Nice, alors que Myron choisit Monaco. Deux clubs rivaux, mais surtout deux villes distantes de 30 bornes, comme à une époque où ils ne se connaissaient pas. « Je sais déjà qu’ils passent beaucoup de temps ensemble, affirme Erwin van de Looi. Ça peut les aider, mais ça peut aussi être dangereux. Ils ne doivent pas garder la même routine. Il faut s’adapter aux Français, à la langue, la culture. Ça les fera grandir en tant que joueurs et personnes. » Tout sauf une promenade sur la Côte.
Par Emile Gillet
Tous propos recueillis par Emile Gillet.