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Musculation et performance : un mythe à dégonfler
Vous a-t-on déjà dit de vous méfier des apparences ? Dans le football moderne, nombreux sont dupés. En se basant sur une croyance bien installée dans l’imaginaire collectif, la musculation et la performance se relient étroitement. En réalité, ils ne sont pas forcément amis. Souvent mal utilisée par les joueurs, trop vite analysée par les spectateurs pour juger les acteurs, la musculation fait partie inhérente du football, sans qu’on en connaisse vraiment les risques ou les apports.
Dans une époque pas si lointaine, on avait l’habitude de retrouver des joueurs un peu grassouillets et hors de forme lors de la reprise des entraînements, début juillet, après avoir enchaîné côtelettes au barbecue pour certains et mojitos pour d’autres, pendant un mois. Mais le football a changé. Cette année, on a eu droit aux transformations physiques de Pedri et Maxence Caqueret, revenus bien gonflés de leur coupure estivale, ou de Kylian Mbappé qui a lui un peu fondu. Dans l’imaginaire collectif, des enseignements sont vite tirés quant à ces évolutions, notamment au sujet de KM7, qui devrait être plus rapide, mais moins costaud dans les duels. « Ce n’est pas forcément vrai, balaie d’emblée Xavier Frezza, préparateur physique personnel de joueurs de haut niveau européen. Il n’y a qu’à regarder le physique des sprinteurs. Ils sont très costauds et ont des muscles rentables. »
La perte de masse de Kylian Mbappé est nette. Son ancien gabarit à gauche et son nouveau poids à droite, il va gagner encore plus en vitesse et sera encore plus félin. Niveau duel il sera en revanche moins marquant, reste à savoir si c’est volontaire ou s’il va reprendre. pic.twitter.com/n2ctDrDDA4
— La Source Parisienne (@lasource75006) July 11, 2022
Préparateur physique de l’équipe de France championne du monde en 2018 et du Real Madrid sous Zizou en 2019, Grégory Dupont demande à prendre du recul : « Il faut faire l’analyse de la masse musculaire et de la masse graisseuse. Si le joueur perd de la masse grasse, il sera plus performant sur les sprints et dans la faculté à les répéter, à l’image des marathoniens. S’il perd de la masse musculaire, on ne peut pas dire qu’il sera plus performant, car le muscle est indispensable. »
Mohamed Salah tombe du fil
Ces raccourcis entre musculation et performance font perdurer un mythe alors que la question est plus profonde que ça. « La prise de masse n’est pas l’amie du footballeur, prévient Xavier Frezza. Certains partent en Angleterre, prennent 3-4 kilos de muscle, mais je ne les vois pas meilleurs pour autant. Prendre de la masse pour prendre la masse n’est pas intéressant, sauf dans certains cas où un déficit est vraiment relevé. Mais pas de là à en faire un bodybuilder. » C’est un dosage à trouver que pointe également Grégory Dupont, qui a monté Felis, sa société avec laquelle il exerce notamment l’activité de consultant pour le RC Strasbourg : « La vivacité est importante dans le foot, et si le joueur se développe trop, ce qu’on appelle l’hypertrophie, au niveau des jambes ou du haut du corps, ça va être contre-productif. C’est un équilibre à trouver. » Prendre du muscle, oui, mais pas n’importe comment donc.
À ce sujet, le fonctionnement se fait cas par cas, selon le joueur et ses objectifs. « Au haut niveau, ça se joue sur l’explosivité, sur des appuis qui font gagner des dixièmes de seconde pour changer de direction, assure Frezza. Avec Alexis Claude-Maurice, on a beaucoup travaillé ça. Lui a eu des problèmes de chevilles en plus, donc, cet été, on a fait de la proprioception. » « Si le joueur se fait bouger dans les duels, on va lui proposer un programme lui permettant d’améliorer sa force maximale ou sa force explosive » complète Grégory Dupont. Toujours pas une question de muscle, en somme.
Malgré ces avis, difficile de faire évoluer les idées reçues, coriaces même chez les stars du ballon rond. Lors de la saison 2019-2020, le surdéveloppement musculaire de Mohamed Salah avait été remarqué… et avait été pourtant synonyme de baisse de performance. Le Pharaon était apparu transformé, sec et musclé sur le haut du corps, sans que ses appuis ne soient aussi efficaces que la saison précédente.
La force de l’habitude
Jeffrey Quarshie a lui aussi vécu cette expérience. Néo-joueur du Mans, il a réalisé son meilleur exercice en National la saison dernière à 31 ans avec 10 buts sous les couleurs de Bourg-en-Bresse. Ce qui a frappé les observateurs, c’est la puissance dégagée par le buteur. Pourtant, son parcours mêlant foot et musculation a été sinueux. « Quand j’étais plus jeune, je ne connaissais pas vraiment mon corps et n’avais personne pour me suivre au quotidien. J’ai développé mon corps, voire surdéveloppé, et j’avais du mal à me sentir bien sur le terrain », se rappelle l’attaquant d’1,80m, qui pèse 78kg et ne compte que 8% de masse grasse. Le « juste milieu » tant recherché, il l’a finalement trouvé. Mais pour y arriver, il a parfois dû aller contre l’avis de ses entraîneurs : « J’ai l’habitude d’aller à la salle, je ne me sens pas bien si je n’y vais pas et j’ai l’impression que ça joue sur mon moral. À Bourg-en-Bresse, les préparateurs physiques avaient vu que j’avais des états de fatigue. Avec les séances qu’on avait, ils m’avaient dit que je ne pouvais pas combiner football et musculation. J’y suis allé en cachette, car mentalement, je ne pouvais pas arrêter, confie le Manceau. Finalement, ils ont vu que c’était adapté et que j’étais plus performant en match. D’ailleurs, depuis le début de ma carrière, je n’ai eu aucune blessure. »
??????????? Jeffrey #Quarshie nous fait une année de folie pour le moment ! En espérant que ça dure jusqu’en mai C’est son e but sur les derniers matchs de @NationalFFF et son e de la saison !#TeamBressan pic.twitter.com/88JdXHFJOv
— F. Bourg-en-Bresse Péronnas 01 (@FBBP01) February 28, 2022
Si le colosse évoque sa carrière sans pépins physiques, c’est qu’il est conscient des risques de la musculation. En l’occurrence, c’est bien une épée de Damoclès au-dessus des joueurs aveuglés par une prise de masse sans réel programme ni équilibre. Un phénomène que tente d’expliquer Grégory Dupont : « Certains sont habitués, ont des routines de travail à la salle, et ça les rassure. Il y a des joueurs qui ne veulent pas s’arrêter et veulent toujours développer leur masse musculaire, ce qui est néfaste, assène l’ex-préparateur du Real. C’est pour ça qu’aujourd’hui, on insiste aussi beaucoup sur la prévention pour éviter les blessures. On recherche l’équilibre agoniste-antagoniste : l’équilibre entre le quadriceps et l’ischio-jambier, entre le haut et le bas du corps ou bien encore la jambe droite et la jambe gauche. »
Salut les musclés
La prévention des blessures, cela se fait aussi en amont de la saison, accompagné par des préparateurs physiques personnels avant la reprise des entraînements. « C’est une très bonne chose, note Grégory Dupont. Si le joueur peut réduire la perte de masse musculaire pendant les vacances et aussi se préparer à encaisser cette charge qui l’attend, c’est du bon sens. » Une préparation physique personnelle qui s’étend aussi au reste de l’année, la faute à un manque de préparateurs physiques (seulement un ou deux) pour des effectifs de trente joueurs, rendant impossible la programmation individuelle de séances au sein du club. Les plus consciencieux sont alors obligés de combler ce manque ailleurs. Et là encore, la menace est grande : « J’entends de tout quand certains joueurs m’expliquent ce qu’ils ont vécu avec des préparateurs physiques. Certains engagent des amis dans ce rôle-là. Mais il faut s’entourer de personnes compétentes pour doser la charge de travail, pas des mecs qui vont vouloir faire plaisir au joueur ou faire des choses impressionnantes et les poster sur les réseaux sociaux », peste Grégory Dupont. « Des charlots, il y en a partout », soupire Xavier Frezza, qui entend la réticence des clubs à laisser leurs salariés dans d’autres mains. Dupont conclut : « Il faut sensibiliser les joueurs sur la nécessité de choisir des préparateurs physiques avec de l’expérience dans le sport. » Histoire que la musculation ne devienne pas définitivement un poids.
Par Alexandre Le Bris